Commandé par les dirigeants politiques lors de la COP21 à Paris, le nouveau rapport du GIEC sur un monde à +1,5°C depuis le début de l’époque préindustrielle, leur revient comme un boomerang: par manque d’ambition, leurs actuelles promesses, dans le cadre de l’Accord de Paris, mènent elle-mêmes à la catastrophe.
Confirmant que la planète Terre va globalement devenir de plus en plus invivable sous l’effet de son réchauffement global, et que bon nombre de points de bascule vers des changements catastrophiques et irréversibles se situent plus près de 1,5°C-2°C que de 4°C, le rapport sur un monde à 1,5°C du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) rejoint en fait ce que disent depuis des années des scientifiques comme l’Américain James Hansen: un réchauffement de plus de 1,5°C c’est déjà trop !
Seulement voilà, le temps a passé depuis que la communauté internationale s’est émue du problème du CO2 et plus généralement des gaz à effet de serre, et a créé le GIEC dans les années 1980 pour faire consensus, puis les conférences des Nations-Unies pour lutter contre un réchauffement dont les origines principales étaient déjà clairement identifiées: le charbon, le pétrole, le gaz naturel… Que le Terre devienne à assez court terme invivable restait impensable à la fin du XXe siècle, sauf guerre nucléaire. Deux dizaines d’années plus tard, l’impensable est devenu le plus probable, sans même aucune bombe.
Sortir des énergies fossiles à marche forcée
Pour le GIEC, limiter à présent le réchauffement à +1,5°C depuis l’époque pré-industrielle reste sur le papier toujours possible… Mais à la condition que les émissions de CO2 chutent lourdement dès 2020 jusqu’à ce que l’on ne consomme quasiment plus de charbon, de pétrole et de gaz naturel à l’horizon 2050, et que l’on développe en revanche très fortement d’ici la même date les énergies renouvelables autres que la biomasse (plus ou moins 1000%) tout comme le nucléaire (jusqu’à +500%), toujours selon le GIEC. Le calendrier de cette « transition vers un monde à +1,5°C » est ainsi resserré de 25 ans par rapport au calendrier visant à limiter le réchauffement à 2 degrés. De plus, moins les émissions chuteront d’ici 2030, plus les technologies de géo-ingénierie prendront le relais… Tour d’horizon de ce monde à 1,5°C qui, en tout état de cause, ne s’annonce lui-même pas vraiment clément.
1- Nous sommes dans un monde à 1°C
Le GIEC confirme que nous sommes dès à présent entrés dans un monde à +1°C, éventuellement jusqu’à 1,2°C depuis le début de l’époque industrielle, les 1,5°C pouvant être atteints dès 2030, avec donc un rythme de réchauffement global capable de grimper de 0,3 degré par décennie. L’accélération du réchauffement est donc elle aussi confirmée.
2- Le réchauffement est et sera deux fois plus important à la surface des continents
Le GIEC confirme que le réchauffement reste plus fort à la surface des continents qu’à la surface des océans. Si bien que le réchauffement global de 1°C peut se traduire dans beaucoup d’endroits et en beaucoup de saisons par un réchauffement deux fois plus élevé que la moyenne globale, voire trois fois plus élevé dans les hautes latitudes comme celles de l’Arctique. Il en sera de même à 1,5°C, 2°C, etc.
3- Plus le temps passe, plus les destructions seront importantes
Le GIEC confirme que les risques du réchauffement planétaire concernant les systèmes naturels et les systèmes humains s’aggravent en fonction de l’ampleur et de la vitesse de ce réchauffement, de la situation géographique, du niveau de développement et de vulnérabilité, ainsi que des choix et de la mise en œuvre d’options pour atténuer ce réchauffement et s’adapter à la situation. Au fur et à mesure où le réchauffement se renforcera entre 1°C et 2°C, les températures moyennes progresseront à la surface de la plupart des terres et des océans. Les pluies s’intensifieront là où il pleut déjà et les sécheresses augmenteront là où l’on manque déjà d’eau.
Déjà modifiés avec la situation actuelle, les écosystèmes auraient de plus en plus plus de mal à se maintenir au delà de 1,8°C de réchauffement. Jusqu’à 20% des terres pourraient subir une transformation d’écosystèmes avec 2°C de réchauffement, plus ou moins 10% avec 1,5°C. Entre 1,5°C et 2°C, deux fois plus de plantes (16% contre 8%) et de vertébrés (8% contre 4%), et trois fois plus d’insectes (18% contre 6%), perdraient plus de la moitié de leur aire géographique normale. Un monde à 1,5°C éviterait également, toujours par rapport à un monde à 2°C, la fonte de 2 millions de km2 de sols gelés en permanence (permafrost) pendant les siècles à venir…
4- La vie marine est en péril
Le GIEC confirme que l’élévation du niveau de la mer est fonction de l’ampleur et de la vitesse du réchauffement global. Ainsi, pour un réchauffement de 1,5°C, il envisage à ce jour une augmentation pouvant aller jusqu’à 0,77 m en 2100 par rapport à la moyenne 1986-2005 contre environ 0,93 m pour un réchauffement global de 2°C. Dans les deux cas, la hausse du niveau des mers se poursuivra bien après 2100, pendant des centaines à des milliers d’années. Le point de bascule de la fonte de la calotte polaire arctique, entraînant à terme une hausse supplémentaire du niveau des mers de 6 mètres, pourrait se situer vers la barre de 1,6°C de réchauffement, voire en-dessous. Le GIEC confirme par ailleurs que l’absorption de CO2 par les océans et leur réchauffement vont de pair avec l’augmentation de leur acidification et la baisse de leur oxygénation.
Entre autres différences entre un monde à 1,5°C et un monde à 2°C: les inondations côtières pourraient se généraliser dans les systèmes sensibles au-delà de 1,7°C; les coraux auront disparu à 70-90% quand on atteindra 1,5°C et en totalité quand les 2°c seront en vue. Aux basses latitudes, la petite pêche côtière pourrait être très impactée dès 1,1°C de réchauffement. Les pertes annuelles de captures de poissons pourraient atteindre 1,5 millions de tonnes dans un monde à 1,5°C, et le double avec +2°C… Sans parler de la perte de ressources côtières: aux latitudes moyennes, des coquillages comme les huîtres et les moules, souffrent déjà du réchauffement, de la perte d’oxygène et de l’acidification des océans. Au programme: croissance limitée, calcification réduite, anomalies de développement, mortalité…
5- Des pauvres de plus en plus pauvres et en danger de mort
Le GIEC confirme que le réchauffement menacera de plus en plus la santé des êtres humains, leurs moyens d’existence, l’offre en eau, la sécurité alimentaire et la sécurité en général. Plus le réchauffement sera important, plus la capacité d’adaptation des systèmes humains connaîtra des limites. La mortalité due à la chaleur, à l’ozone ou encore aux maladies infectieuses (dengue, malaria, maladie de lyme, virus du Nil occidental…) progressera avec l’intensité du réchauffement…. Les rendements du blé, du riz ou encore du maïs auront eux tendance à baisser. Les communautés locales dépendant de l’agriculture ou des ressources côtières seront très vulnérables dès +1,5°C, tout comme les écosystèmes de l’Arctique, les régions sèches, les petites îles et les pays les plus pauvres.
Avec 1,5°C, deux fois plus de grandes villes (par exemple Lagos au Nigéria ou Shanghai en Chine) pourraient déjà exposer plus de 350 millions de personnes supplémentaires à une chaleur mortelle d’ici 2050. A 2°C, des villes comme Karachi au Pakistan ou Kolkata en Inde pourraient connaître des vagues de chaleur mortelle annuelles. A travers ses impacts sur l’agriculture et les prix de la nourriture, le changement climatique pourrait pousser plus de 100 millions de personnes vers l’extrême pauvreté.
6 – La géo-ingénierie est entrée dans les prospectives
Le GIEC confirme que l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à +1,5°C n’est désormais plus atteignable sans ce qu’il appelle un « retrait de CO2 » de l’atmosphère (« carbon dioxide removal », CDR). Ce qui, outre certaines démarches comme l’afforestation, fait référence à différentes technologies de géo-ingénierie ou technologies à émissions négatives qui veulent augmenter les puits naturels de CO2 (océans, écosystèmes terrestres) ou qui sont directement liés au CO2. Le GIEC n’emploie cependant pas le terme de géo-ingénierie dans son rapport. Il ne considère pas à ce jour que les options de modification de la radiation solaire (SRM), par exemple l’injection d’aérosols dans la stratosphère, faisant également partie des manipulations envisagées du climat, font partie des actions d’adaptation et d’atténuation du réchauffement planétaire, contrairement donc aux technologies de retrait de CO2. Avec ces technologies, les différents scénarios envisagent de pomper dans l’atmosphère de 100 à plus de 1000 milliards de tonnes de CO2 pendant ce siècle. Par comparaison, nos émissions de CO2 sont actuellement de l’ordre de 40 milliards de tonnes par an. Le recours à ce type de technologies est également envisagé pour l’objectif de limiter le réchauffement à +2°C.
7- Nouveaux objectifs: diviser par deux les émissions de CO2 d’ici 2030, tendre vers zéro en 2050
Outre les technologies de géo-ingénierie qui ont l’ambition d’extraire du CO2 de l »atmosphère, les scénarios de réduction décrits par le GIEC pour espérer limiter le réchauffement à +1,5°C imposent que les émissions de CO2 soient environ divisées par 2 entre aujourd’hui et 2030 pour atteindre un niveau de zéro émission net vers 2050. Zéro émission net, cela veut dire qu’il peut il y avoir encore des émissions mais à la condition qu’elles soient compensées par les retraits de CO2 de la géo-ingénierie. Par rapport à l’objectif 2°C (-20% d’émissions en 2030, niveau zéro net vers 2075) le calendrier est ainsi avancé de 25 ans environ. Cette véritable chute des émissions tous azimuts impose selon le GIEC « des transitions considérables » dans les domaines de l’énergie, des terres, des villes, des transports, de la construction, des systèmes industriels…
8- Le GIEC propose un scénario sans géo-ingénierie
Un des scénarios envisagés par le GIEC pour limiter le réchauffement à +1,5°C ne fait appel ni aux technologies de capture et de stockage de CO2 ni à celles des bioénergies avec capture et stockage du carbon (BECCS), faisant partie des technologies à émissions négatives. Le seul retrait provoqué de CO2 de l’atmosphère serait celui de la plantation de forêts et de l’usage des terres, des domaines qui passeraient globalement d’émetteurs de carbone à puits de carbone.
Selon le GIEC, ce scénario implique une chute des émissions de CO2 de 58% d’ici 2030 et de 93% d’ici 2050 par rapport à celles de 2010, plus faibles que les actuelles. Si l’on prend en compte tous les autres gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d’azote, halocarbures…) alors la baisse doit atteindre 50% en 2030 et 82% en 2050. Pour parvenir à de tels résultats, voici ce qui s’impose, toujours selon le GIEC, par rapport à l’année 2010:
– Baisse de la demande d’énergie finale de 15% d’ici 2030, de 32% d’ici 2050.
– Baisse de l’énergie primaire issue du charbon, du pétrole et du gaz, de respectivement 78%, 37% et 25% d’ici 2030, et de 97%, 87% et 74% d’ici 2050. Précision: ces énergies représentent actuellement environ 80% de la consommation d’énergie primaire dans le monde.
– Baisse de l’énergie primaire issue de la biomasse de 11% d’ici 2030, de 16% d’ici 2050.
– Part des énergies renouvelables dans le mix énergétique mondial de 60% d’ici 2030 et de 77% en 2050.
– Hausse de l’énergie primaire issue des énergies renouvelables autres que la biomasse de 430% d’ici 2030 et de 832% d’ici 2050.
– Hausse de l’énergie primaire issue du nuclaire de 59% en 2030 et de 150% en 2050.
– Baisse des émissions de méthane de l’agriculture de 24% d’ici 2030, de 33% d’ici 2050.
9- Le GIEC propose un scénario dans lequel la géo-ingénierie monte en puissance
Un scénario du GIEC envisage que la chute des émissions n’ait pas lieu dès 2020 mais plutôt après 2030, la période 2020-2030 connaissant cependant une légère baisse. Dans ce cas, les 1,5°C seraient donc dépassés pendant un certain temps. Pour revenir en arrière, la chute des émissions devraient alors être encore plus brutale dans les deux décennies qui suivront pour atteindre une baisse des émissions de 97% en 2050 par rapport à 2010 après une hausse de 4% jusqu’à 2030… Et l’on compterait en plus lourdement sur la géo-ingénierie pour compenser les émissions de CO2 issues du pétrole et du gaz naturel que l’on aurait continué à brûler de plus en plus jusqu’en 2030. Voici ce qu’envisage cette option:
– Hausse de la demande finale d’énergie de 44% entre 2010 et 2050.
– Part des énergies renouvelables atteignant 25% en 2030, 70% en 2050.
– Baisse de l’énergie primaire issue du charbon de 59% en 2030, 97% en 2050.
– Hausse de l’énergie primaire issue du pétrole de 86% d’ici 2030, puis baisse jusqu’à arriver à -32% en 2050 par rapport à 2010.
– Hausse de l’énergie primaire issue du gaz naturel de 37% d’ici 2030, puis baisse jusqu’à atteindre – 48% en 2050 par rapport à 2010.
– Hausse de l’énergie primaire issue du nucléaire de 106% en 2030, 468% en 2050.
– Hausse de l’énergie primaire issue de la biomasse de 1% en 2030, 418% en 2050.
– Hausse de l’énergie primaire issue d’énergies renouvelables autres que la biomasse de 110% en 2030, 1137% en 2050.
Ce à quoi s’ajouterait l’équivalent de 1200 milliards de tonnes de CO2 qui seraient retirées de l’air par la géo-ingénierie de type bioénergies avec capture et stockage du carbon (BECCS). C’est l’équivalent de 30 ans de nos émissions actuelles de CO2.
10- Les promesses actuelles, même si elles sont tenues, mènent à la catastrophe
Le GIEC confirme que les ambitions affichées par les états du monde à l’occasion de l’Accord de Paris sur le climat ne limiteraient pas le réchauffement à 1,5°C. Elles conduiraient en revanche à des émissions qui, tous gaz à effet de serre confondus, pourraient atteindre 58 milliards de tonnes équivalent CO2 en 2030 contre 49 milliards en 2010 (dont environ 37,5 milliards de tonnes de dioxyde de carbone). Ces émissions seraient alors trop importantes pour ensuite espérer revenir dans la limite de 1,5°C de réchauffement, même avec des ambitions de réductions des émissions très élevées après 2030.
Dans le cas où elles sont tenues, ce qui n’est pas pour l’instant le cas, ces promesses aboutiraient à un monde à +3°C. A ce jour, nous sommes plus sur la perspective de +4-5°C en un siècle. C’est environ la différence de température moyenne planétaire qui nous sépare de la dernière glaciation.
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