Dans l’Arctique, le réchauffement est nettement plus fort que sur le reste de la planète, la superficie minimum de la banquise en fin d’été pourrait marquer un nouveau record en septembre 2016, les glaces fondent plus vite que prévu, les effets naturels du réchauffement accélèrent eux-mêmes le réchauffement, un réservoir de méthane est susceptible de dégazer dans l’Est sibérien… Mais l’humanité semble encore dormir tranquille.
Selon le professeur Peter Wadhams, qui dirige le Groupe de physique de l’Océan polaire à l’Université de Cambridge, l’Océan Arctique pourrait battre son actuel record de surface minimum de glace de mer en septembre prochain. Etabli en 2012, l’actuel record est de 3,4 millions de kilomètres carrés. Cette surface de glace de fin d’été pourrait même, selon lui, tomber en dessous du million de kilomètres carrés. Dit autrement, un Océan Arctique libre de glace en fin d’été, situation que certains scientifiques n’attendent pas avant des décennies, pourrait en fait exister tout prochainement. Ce qui serait une première depuis environ 100 000 ans.
Plus il fait chaud, plus la glace fond et plus la glace fond, plus il fait chaud
Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) précisait pour sa part dans son dernier rapport sur les éléments scientifiques des changements climatiques, publié en 2013, qu’un Océan Arctique « presque sans glace en septembre » est « probable avant 2050 », dans un scénario « business as usual ». Ce qui laissait également présager que l’on avait encore une marge…
Pourquoi un tel décalage ? D’abord, outre les rapides progrès scientifiques, force est de constater que la fonte de la banquise arctique s’avère bien plus rapide que ce que les modèles mathématiques ont jusqu’alors initialement envisagé. Or, Peter Wadhams travaille de manière empirique à partir des observations réelles tandis que les prédictions usuelles sont issues de modèles mathématiques. Ensuite, et cela est lié, ce décalage pose le problème des rétroactions du système climatique, c’est-à-dire des interactions entre les changements provoqués par le réchauffement global dans le milieu naturel… Des interactions qui, globalement, renforcent la tendance au réchauffement et ont même la capacité de bouleverser les climats actuels de la Terre. Pour l’instant, on peut schématiser cette spirale infernale ainsi: plus il fait chaud, plus la glace fond et plus la glace fond, plus il fait chaud.
Selon Peter Wadhams, pour établir des prévisions réalistes, il est nécessaire que les modèles soient très précis concernant les processus clés de la fonte des glaces, y compris par exemple en ce qui concerne la fragilisation de glaces provoquée par la fonte d’autres glaces ou encore la désintégration de glaces due aux vagues quand de larges zones d’eau deviennent libres de glace. Représentant ces processus, un modèle conforte les prédictions de Peter Wadhams: c’est celui du professeur Wiselaw Maslowky, de l’US Naval Posgraduate School de Monterey, en Californie.
30°C le 05 juin 2016 en Sibérie Orientale, à proximité de la côte arctique
Pour l’instant, les superficies enregistrées depuis le début de l’année vont dans le sens d’un nouveau record. Le Centre national de données sur la neige et la glace (NSIDC) des Etats-Unis montre que la surface de la banquise arctique était au 31 mai d’environ 11,203 millions de kilomètres carré contre 12,674 pour la moyenne des 30 dernières années et 12,437 pour le 31 mai 2012, précédente année « record », durant laquelle le minimum de 3,387 millions de km2 avait été atteint le 17 septembre.
Cela s’explique: alors que la période janvier-avril 2016 a connu dans l’hémisphère nord une température moyenne plus chaude que la moyenne du XXème siècle de 1,39°C (+0,85°C à la surface des océans, +2,28°C à la surface des terres), selon l’agence NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), de véritables records de chaleur ont été établis aux plus hautes latitudes, notamment dans l’Alaska et la Sibérie, avec des températures moyennes pouvant bien dépasser + 5°C par rapport aux moyennes 1981-2010… Et cela se poursuit: le thermomètre a par exemple pu dépasser 30°C le 05 juin en Sibérie Orientale, à proximité de la côte arctique. 30°C !
Des rétroactions qui accélèrent de fait le réchauffement de l’Arctique
Pour des scientifiques comme Peter Wadhams, de tels coups de chaud dans ces régions réputées froides sont inquiétants parce qu’ils ont le pouvoir de provoquer de nombreuses rétroactions naturelles, accélérant de fait le réchauffement dans la région:
– Changements des courants-jets avec des vents qui peuvent transporter la chaleur loin au nord, accélérant de fait la fonte des glaces, et donc le réchauffement de l’Arctique.
– Réchauffement de l’eau des rivières qui se jettent dans l’Arctique, ce qui provoque une disparition supplémentaire de glace et un réchauffement de l’océan, jusqu’au fond de la mer.
– Mise en place de terrains favorables au feux de forêt, ce qui est source d’émissions de CO2, de méthane et de polluants.
– Déstabilisation des sols initialement connus comme permafrost. Au fur et à mesure où la glace fond, les dépôts organiques décongelés se décomposent, émettent du méthane et du CO2, tandis que les sols deviennent de plus en plus sujets aux incendies.
– Dégradation du rôle tampon de la glace. La neige et la glace de l’Arctique agissent en effet comme des tampons qui absorbent la chaleur en fondant. En leur absence, c’est l’océan qui devra absorber plus de chaleur.
– Réduction de l’albedo, cette capacité des couleurs à plus ou moins renvoyer la lumière vers l’espace. La couleur blanche de la neige et de la glace renvoie ainsi beaucoup de lumière, d’énergie. Plus cette couleur blanche disparaît, plus l’océan, de couleur foncée, retient de chaleur, plus la glace fond, et ainsi de suite.
En Sibérie orientale, le permafrost sous-marin a en fait « commencé à se réchauffer au début de l’Holocène », d’où son état incertain aujourd’hui
Avec de telles rétroactions naturelles qui auto renforcent le réchauffement, Peter Wadhams a estimé, de manière jugée « prudente », que la quantité de méthane qui pourrait être relâchée dans l’atmosphère en une décennie dans le secteur de la Sibérie orientale, possède le potentiel de provoquer un pic de réchauffement additionnel (aux actuelles prévisions) de 0,6°C quinze ans plus tard.
Dans une étude. il précise en effet qu’un réservoir de 50 milliards de tonnes de méthane -stocké sous la forme d’hydrates dans l’Océan Arctique de l’Est sibérien- est « susceptible d’être dégazé avec le réchauffement du fond de la mer, soit de manière progressive sur 50 ans, soit soudainement ». En outre, plus ce CH4 sera dégazé brutalement, plus sa durée de vie dans l’atmosphère sera importante. Or, à quantité égale, le méthane est un gaz à effet de serre 86 fois plus puissant que le CO2 sur une échelle de 20 ans.
Une autre étude menée par la scientifique russe Natalia Shakhova stipule que, dans cette région, le permafrost sous-marin a en fait « commencé à se réchauffer au début de l’Holocène, il y a plusieurs milliers d’années », d’où son état incertain aujourd’hui, et que maintenant « des quantités significatives s’échappent du plateau de l’Est sibérien ».
Avec un scénario « basses émissions », Peter Wadhams prévoit que la barre de +2°C serait quand même franchie dès 2040
Par ailleurs, les statistiques scientifiques montrent que la concentration atmosphérique de méthane est en augmentation sensible depuis 2005. En Arctique, cette augmentation a même connu une forte accélération en 2014, selon les relevés des stations spécialisées norvégiennes, dont celle du Spitzberg. Un étude est en cours pour expliquer cette accélération.
Si ce méthane du plateau de l’Est sibérien est émis en 10 ans, par exemple entre 2015 et 2025, cela « avancerait de 15 à 35 ans la date moyenne à laquelle l’augmentation de température excéderait +2°C depuis les niveaux pré-industriels », ajoute l’étude menée avec d’autres chercheurs par Pater Wadhams, soit en 2035 dans un scénario d’émissions « business as usual ». Cette étude conclut que « les impacts des changements provoqués auraient alors un coût additionnel de 60 000 milliards de dollars », ce qui équivaut presque à la valeur du produit intérieur brut mondial du début des années 2010. Avec un scénario « basses émissions », Peter Wadhams prévoit que la barre de +2°C -limite à ne pas franchir pour conserver un monde vivable- serait quand même franchie dès 2040.
Des périodes de l’histoire de la Terre marquées par de brusques variations à la hausse de la température moyenne
Dans cette spirale infernale, la « vraie » réalité dépendra en fait des rétroactions naturelles qui seront elles-mêmes générées au fur et à mesure de la poussée du thermomètre et qui pourront encore aggraver cette situation: faculté des écosystèmes terrestres et de l’océan à capter ou au contraire à émettre des gaz à effet de serre, lutte contre la pollution des aérosols ayant paradoxalement tendance à refroidir la température au sol, modification de l’albedo en fonction de la disparition des glaces, éruptions de méthane, rétroactions dues à la vapeur d’eau (le premier des gaz à effet de serre)…
Les paléoclimatologues ont déjà mis à jour des périodes de l’histoire de la Terre, notamment à la fin de la dernière glaciation, qui sont marquées par de brusques variations à la hausse de la température moyenne, de l’ordre de +5°C. Pouvant prendre place en quelques dizaines d’années, ces phases ont pu générer après quelques centaines ou milliers d’années, de non moins brusques variations à la baisse…. Dans un climat en somme très chaotique et cherchant un nouvel équilibre plus durable.
Ce fut fait avec l’Holocène, période géologique qui vit la montée en puissance du genre humain jusqu’à ce que l’on entre dans la présente Anthropocène, nouvelle période géologique où l’homme a lui-même transformé l’évolution naturelle du climat, du fait de l’utilisation massive des énergies fossiles: charbon, pétrole, gaz.
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