Si les négociateurs “climat” désirent vraiment contenir le réchauffement global à +2°C, alors l’aspect contraignant de l’accord universel annoncé découlera de l’obligation imposée par l’objectif lui-même et qui n’est scientifiquement pas négociable: laisser sous terre les 4/5 des réserves actuelles de pétrole, de charbon et de gaz, c’est-à-dire enclencher dès maintenant et de manière crédible une sortie définitive des énergies fossiles.
Quoi qu’il arrive, la Conférence 2014 des Nations-Unies sur le climat de Lima (COP20) aura eu au moins une vertu: elle aura montré que les scientifiques ont été suffisamment clairs pour que les négociateurs n’échappent pas à leur responsabilité historique, y compris devant leurs propres enfants et petits-enfants. Du Groupement intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) au Programme des Nations-Unies pour l’Environnement (PNUE), l’objectif global à atteindre pour contenir le réchauffement à +2°C est en effet désormais officiellement quantifié: il consiste grosso modo à ne plus émettre que 1 000 milliards de tonne de CO2 dans ce siècle, ce qui revient à un quart de siècle de nos émissions actuelles.
Le PNUE a traduit cette évaluation du GIEC en disant qu’il fallait parvenir à la “neutralité carbone” (zéro émission nette de CO2) entre 2055 et 2070, et à zéro émission de gaz à effet de serre entre 2080 et 2100. Cela revient également, toujours selon les données scientifiques, à laisser dans le sous-sol terrestre les 4/5 environ des réserves actuelles d’énergies fossiles. En l’absence de technologie efficace, sécurisée et rentable de captage et de stockage de CO2, force est de constater que cela équivaut également à affirmer qu’il faut effectivement programmer dès maintenant une sortie du pétrole, une sortie des énergies fossiles. Cela fixe de fait, si l’on veut effectivement rester sur une trajectoire de +2°C, l’aspect contraignant de l’accord auquel les négociateurs de plus de 190 pays disent vouloir aboutir fin 2015, lors de la Conférence des Nations-Unies sur le climat de Paris.
En allant au bout du raisonnement, quelle utilité conserve la prospection pour trouver et extraire des hydrocarbures ?
L’enjeu devient alors le partage équitable de cette contrainte tandis que, si l’on va au bout du raisonnement, les conséquences de cet état de fait tombent comme des dominos:
1- Puisqu’ils ne peuvent plus extraire toute l’énergie fossile déjà trouvée sauf à faire preuve d’irresponsabilité pour l’avenir de l’Humanité, les géants du pétrole, du charbon et du gaz, devraient préciser avec quels calendriers ils vont renoncer à sortir de terre toute goutte de pétrole, tout morceau de charbon, toute vapeur de gaz… Même si cela peut à première vue sembler surréaliste. Pourquoi par exemple n’envisagent-ils pas de se reconvertir totalement aux énergies décarbonées ?
2- Dès lors que, sous peine de krach écologique, nous avons déjà trop d’énergies fossiles à disposition, il ne sert plus à grand chose de payer toujours plus et d’émettre en masse du CO2 pour continuer les prospections pétrolières, pour exploiter des hydrocarbures de schiste, pour chercher à brûler des hydrates de méthane. Alors que Big Oil a de plus en plus massivement injecté des fonds ses dernières années dans la prospection, pour cause de pic pétrolier sinon de déplétion, il y aurait là une énorme source d’économie à faire.
70 investisseurs pesant 3 trillions de dollars ont écrit à 45 compagnies fossiles pour qu’elles évaluent les risques que le changement climatique leur fait courir
3- Si, comme c’est prévu, dépasser une quantité “létale” d’émissions de CO2 obligera, de manière de plus en plus certaine, nos enfants et petits-enfants à vivre (ou plutôt à mourir plus rapidement) dans un monde de plus en plus invivable, que peut dès lors “valoir”, en espèces sonnantes et trébuchantes, le pétrole, le charbon et le gaz qui se trouvent encore sous terre aujourd’hui ? La question est ouverte.
Cependant, les traders et autres investisseurs ne font généralement pas dans la philanthropie et le sentiment. Fin 2013, une coalition de 70 investisseurs pesant 3 trillions de dollars a écrit à 45 compagnies fossiles pour leur demander d’évaluer les risques que le changement climatique faisait courir à leur business. Ce courrier fait suite à une étude de l’organisme londonien indépendant Carbon Tracker au sujet du carbone “imbrûlable” (Unburnable carbon report). Evoquant elle aussi un budget de CO2 à ne pas dépasser (entre 565 et 886 milliards de tonnes de CO2 d’ici 2050), l’étude de Carbon Tracker évalue pour l’année 2012 à 674 milliards de dollars les dépenses des deux cents plus grandes compagnies mondiales pour trouver et développer de nouvelles réserves d’énergies fossiles alors que certaines ne pourront en fait pas être utilisées… Du “capital gaspillé » selon le titre même de l’étude qui estime en plus que la technologie du captage et stockage du CO2 ne donnerait à l’Humanité qu’un « bonus » de 125 milliards de tonnes d’émissions de CO2 supplémentaires à l’horizon 2050, si tout va bien.
Les risques que les énergies fossiles font peser -désormais au grand jour- sur l’Humanité, voire simplement sur la finance, pourraient donc inciter certains à aller placer dès maintenant leur argent ailleurs que dans des actifs fossiles, et d’autant plus que les cours des actions pétrolières sont fonction des réserves des compagnies… En plus de la “bulle des gaz de schiste” aux Etats-Unis, on parle déjà de la “bulle du carbone” de la planète.
La banque d’Angleterre a indiqué début décembre examiner les risques que recèlent les énergies fossiles pour la stabilité financière. Le ministre britannique de l’Energie et du Changement climatique, Edward Davey, s’est inquiété, dans The Telegraph, du risque que les actifs du pétrole, du charbon et du gaz ne deviennent, notamment pour les fonds de pension, “les “subprimes” du futur”. Même si les compagnies pétrolières semblent toujours davantage parier, en dépit des conclusions scientifiques, sur l’accroissement de la demande en énergie et sur la nécessité de faire appel aux énergies fossiles pour la satisfaire, cela donne un éclairage complémentaire concernant l’évolution actuelle -à la baisse- et à venir des cours du pétrole et des actions fossiles.
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De 2° d’augmentation de la température moyenne terrestre, on est passé à une quota de GES à ne pas dépasser. C’est déjà un grand pas! Mais est-ce suffisamment concret pour initier un changement des comportements ? Ou même un changement de culture ? En partant de l’objectif de 2°C et en y intégrant une contrainte physique sur le fonctionnement du système climatique, on aboutit à un objectif en termes de GES.
Certes on peut déduire du quota de GES qu’il faut d’ores et déjà investir sur autre chose que le fossile. Mais pour investir dans quoi ? Il faut encore franchir une étape dans l’analyse du besoin. Cela permettrait d’aller vers un objectif de plus en plus concret. Par exemple, il est pertinent de prendre en compte les limitations physiques des énergies renouvelables (intermittence, difficulté de stockage, faible densité énergétique), ainsi que les limitations en termes de ressources métalliques (notamment nécessaires pour produire de l’éolien, du solaire, et des batteries…). Prendre en compte ces contraintes supplémentaires mène à la conclusion que notre mode de vie, ainsi que l’organisation physique de ce qui nous permet de vivre (aménagement du territoire et des villes, agriculture) sera nécessairement affecté par cette contrainte des 2°C.
L’intérêt d’investir dans le fossile dépend du sérieux avec lequel les gouvernements traitent cette contrainte. Si elle est prise au sérieux, alors prendre en compte les autres contraintes en jeu permet de discriminer entre les investissements qui auront des chances d’être gagnants et ceux qui auront plus de chance d’être perdants.
Mais je doute que les COP permettent d’aboutir à un tel niveau de concret, qui ferait bien trop peur à nos cultures de la croissance infinie, de la publicité, et de la surconsommation…
Bonjour Nicolas,
Nous sommes d’accord: programmer une sortie du fossile ne veut pas dire remplacer le fossile par d’autres énergies au niveau de notre consommation actuelle, mais avant tout trouver comment vivre autrement. Ici, l’idée est surtout de souligner qu’on a maintenant une balise précise qui permettra de savoir assez facilement si oui ou non l’accord attendu est au niveau de l’enjeu.
Bien à vous,
Vincent
> Pourquoi par exemple ne décident-ils pas de se reconvertir totalement aux énergies décarbonées
Parce qu’il n’existe pas d’énergie décarbonées permettant d’assurer les 98% du transport actuellement alimenté par le pétrole*.
Et que sans transport, tout notre système économique s’effondre.
Le plus probable, c’est que l’humanité n’aura pas la sagesse de s’auto-limiter à temps et brûlera toutes ces énergies fossiles.
* Ironie suprême, on est bien incapable de produire des éoliennes et des panneaux solaires sans pétrole. Philippe Bihouix, « L’âge des low tech » http://www.bit.ly/1COSKtl
Bonjour,
Merci pour la vidéo.
C’est vrai qu’il est probable que l’humanité n’aura pas la sagesse de s’auto-limiter. Mais dans ce cas, je ne sais pas comment, dans un premier temps, chaque homme, chaque femme va faire pour vivre tout en ayant fatalement de plus en plus conscience que ses propres actes condamnent ses propres enfants… En revanche, je pense que, dans un deuxième temps, ce sera la Terre qui le fera à la place de l’humanité (tout simplement parce que les ressources naturelles sont limitées) et que ce ne sera pas drôle du tout. Donc, hormis ce qui est le plus probable, il est bon de regarder également ce qui est possible, type effectivement low tech, relocalisation, etc.
Bonne journée.
Vincent
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