« Technologies à émissions négatives » de CO2: rêve ou début de cauchemar ?

Vous ne connaissez pas encore les « technologies à émissions négatives » de CO2, les NETs ? Selon différents scénarios, c’est ce qui est nécessaire, en plus d’une réduction de la consommation d’énergies fossiles, pour limiter le réchauffement planétaire à +2°c depuis la période préindustrielle. On n’en fait pas beaucoup de publicité mais sous ce vocable (et derrière la plantation d’arbres, la protection des mangroves ou encore la construction en bois) se cachent de bien hasardeux projets de géo-ingénierie… Ou quand on veut « traiter » les nuages, les terres, ou encore les océans pour qu’ils captent toujours plus les émissions de dioxyde de carbone issues d’énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon)… que l’on continuerait en revanche à brûler en 2100.

Évolution des émissions de CO2 qui permettrait de rester dans la limite d’un réchauffement planétaire de +2°C, selon Global Carbon Project. Avant tout virtuelles aujourd’hui, les  « technologies à émissions négatives » commenceraient à porter leurs fruits vers 2030 et pomperaient une quinzaine de milliards de tonnes de CO2 atmosphérique en 2100… Mais on émettrait à la même date toujours du CO2 issu des énergies fossiles… Doc. GCP

Que faire quand les scénarios qui prévoient l’évolution du réchauffement planétaire font clairement comprendre que l’objectif de limiter le réchauffement global à +2°C en 2100 par rapport à l’époque préindustrielle (ce qui suppose déjà des impacts redoutables et ce qui n’est pas une assurance anti chaos climatique) est de jour en jour de moins en moins atteignable pour notre monde thermo-industriel, tout simplement parce que l’on rechigne depuis des années à s’engager dans une transition qui réduise de manière drastique la consommation d’énergies fossiles ? Eh bien, il est toujours possible de rajouter dans la moulinette de ce scénario un nouvel et hypothétique paramètre qui va finalement permettre de parvenir sur le papier à l’objectif initial… Comme par miracle ! Et tout en nous laissant encore siphonner du pétrole, du gaz, du charbon…

Un rêve pour une société addict au pétrole

Ce « miracle » -qui confirme donc avant tout la profonde addiction de notre société aux énergies fossiles, jugées « incontournables« – porte un nom: les technologies à émissions négatives (ou negative emissions technologies en anglais), NETs pour les intimes. En résumé, les NETs, ce sont toutes les « technologies » qui arriveraient à pomper plus de dioxyde de carbone dans l’atmosphère qu’elles n’en émettraient. Le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) lui-même les évoquait. Et des scientifiques ont averti: les scénarios où l’on parvient à atteindre « zéro émission nette » c’est-à-dire la « neutralité carbone » (quand les émissions de CO2 sont compensées par les absorptions) et à ne pas dépasser les +2°C, prennent pour la plupart en compte ces technologies.

Ainsi, l’organisme Global Carbon Project prévoit dans son budget carbone que les « émissions négatives », aujourd’hui tout à fait virtuelles, existeraient dès 2030 pour permettre vers 2100 l’absorption chaque année d’une quinzaine de milliards de tonnes de CO2 atmosphérique (ou gigatonnes, GtCO2), soit un gros tiers de nos émissions actuelles… Et pendant ce temps, répétons-le, on continuerait donc à brûler pétrole, charbon ou gaz, même si la projection de Global Carbon Project envisage que leurs émissions passent en dessous de 10 GtCO2 vers la fin du siècle. On remarquera également avec intérêt que la courbe de la progression de ces « technologies à émissions négatives » se calque quasiment, dès 2030, sur la courbe de la réduction des émissions de CO2 dues aux énergies fossiles…

Dit autrement, avec les NETs nous allons attraper le dioxyde de carbone avant de le mettre dans l’atmosphère. Mieux encore, nous allons aspirer le CO2 de l’atmosphère pour le remettre sous terre ou l’injecter dans des circuits vertueux. Et grâce à cela, nous pourrons toujours émettre du CO2 en 2100 par la combustion des énergies fossiles car nos « technologies » seront alors devenues des puits de carbone, à l’instar de ce que font jusqu’alors les arbres et les océans ! Un rêve en somme pour une société addict au pétrole. Vu cette ambition, il est étonnant que l’on n’en parle pas plus, non ?

Problème: outre des projets de bon sens que l’on pourrait assimiler à des low-techs (mais dont l’impact aura forcément des limites) comme la plantation d’arbres, la restauration des mangroves ou encore la construction à base de biomasse, se cachent en fait dans les NETs des projets bien incertains de captage et stockage de CO2 ainsi que des volontés de traitement des nuages pour renforcer leur alcalinité, de traitement des terres pour accélérer l’altération de roches, de traitement des océans pour stimuler la productivité planctonique! Petit tour d’horizon des principales « technologies » envisagées à ce jour… Refroidissant !

Reforestation et afforestation

L’idée consiste à planter des arbres là où il n’y en a pas (afforestation) et à restaurer des sites forestiers dégradés ou détruits (reforestation). Certaines estimations évaluent à 3,7 tonnes de CO2 par an la quantité de CO2 qui peut être pompée par un hectare d’arbres. Cependant, on ne plante pas n’importe quel arbre n’importe où. Il convient de prendre en compte l’adaptation (ou la non adaptation) des essences aux sols et aux changements climatiques présents et futurs (durant la vie de l’arbre), les surfaces de terres nécessaires à l’alimentation, à l’énergie, aux villes…

Autre limite: alors que la capture de gaz carbonique par les arbres a jusqu’alors globalement augmenté avec la hausse de la concentration atmosphérique de CO2, les scientifiques montrent que ce potentiel est appelé à se réduire. De plus, si l’accumulation de destructions issues des changements climatiques (tempêtes, stress hydrique, canicules, inondations…) finit par induire plus d’émissions de CO2 dans les milieux forestiers que ces écosystèmes n’en pompent, alors le bilan s’inversera, même si on plante de nouveaux arbres: au lieu d’absorber une partie de nos émissions issues des énergies fossiles, les forêts deviendront elles-mêmes, globalement, une source de dioxyde de carbone. Comme les forêts tropicales.

Restauration des mangroves, marais salants, prairies marines…

Mangroves, marais salants et prairies marines sont des milieux qui stockent encore plus de carbone à l’hectare (carbone appelé dans ce cas « Blue Carbon« ) que les forêts terrestres. Leur protection ou leur réhabilitation apparaît donc effectivement nécessaire pour que leur rôle puisse continuer. Cependant, la tendance est actuellement bien davantage à la dégradation ou à la conversion de ces écosystèmes, avec des émissions induites qui, bien qu’il demeure encore beaucoup d’incertitudes, pourraient aller jusqu’à 1 GT CO2.

Construction en bois et avec des matériaux naturels

De plus en plus reconnue comme viable, confortable et abordable, la construction en bois, paille, chanvre ou encore en lin stocke de fait du carbone et a également l’avantage de remplacer des matériaux comme l’acier, dont la production est gourmande en énergie et source intensive de CO2. Pour être complétement pertinente, cette démarche nécessite néanmoins d’utiliser des produits locaux et de faire appel à des processus peu émetteurs pour l’exploitation de la biomasse et la fabrication de ces produits biosourcés.

Séquestration du carbone dans les sols

Il s’agit ici de séquestrer du carbone dans la terre grâce à l’agriculture, en restaurant des prairies, en créant des zones humides…

Le sol peut effectivement stocker plus de carbone quand on limite le labour, quand on replante des haies, quand on emploie des techniques de type biologique: agro-écologie, permaculture… Il est également possible d’avoir plus de prairies et moins de viande (très riche en CO2) si les animaux reviennent brouter de l’herbe (au lieu d’être nourris à l’ensilage de maïs, aux céréales, au tourteau de soja…). Actuellement, la tendance est néanmoins plutôt au déstockage de CO2 et à l’érosion des sols, y compris en France. De surcroît, quelles vont être les réactions de ces sols dans un monde qui se réchauffe globalement, particulièrement dans les zones qui manqueront d’eau ? Comme pour les arbres, le risque est que de plus en plus de sols émettent davantage de carbone qu’ils n’en captent.

Développement du « biocharbon »

Le « biocharbon », également appelé « biochar« , c’est un charbon obtenu à partir de résidus de végétaux par pyrolyse (décomposition thermique) et en parallèle de production de chaleur et de carburant. L’idée est ensuite d’enfouir ce charbon sous terre pour le stocker et renforcer au passage la fertilité du sol et les rendements. Au Royaume-Uni, il existe un centre de recherche pour le biochar (Université d’Edinbourg). Néanmoins, le biochar assombrit la couleur de la terre, celle-ci absorbant alors davantage l’énergie du soleil, ce qui stimule… un réchauffement. De plus, le biochar peut ne pas rester en place sous terre aussi longtemps qu’on l’espérait, et peut se dissoudre dans les sols…

Stimulation de l’altération des silicates

Schématiquement, ce type de projet consiste à répandre de la roche pulvérisée sur les terres pour accélérer le phénomène naturel d’absorption du CO2 par altération des silicates, phénomène qui se produit dans notre environnement par le biais de l’érosion. Une telle fertilisation minérale pourrait également avoir pour effet de rendre plus alcalins les océans, et pourrait ainsi limiter son acidification à l’horizon 2100, spéculent les tenants de cette « technologie » à classer dans la géo-ingénierie. Du reste, il s’agit d’un thème de recherche du programme de géo-ingénierie de l’Université d’Oxford tandis qu’à l’Université de Sheffield on investit dans le Leverhulme Centre for Climate Change Mitigation pour développer et tester les techniques envisageables.

Développement des technologies de « Direct air capture », ou DAC

Objectif affiché des technologies de « Direct air capture » (DAC): parvenir à capturer du CO2 directement dans l’atmosphère puis l’enterrer ou l’utiliser dans des processus divers afin de fabriquer différents produits: carburant, plastique… Au Canada, l’entreprise Carbon Engineering développe ainsi une technologie qui consiste à ventiler de l’air dans des tours où l’on fait réagir le CO2 atmosphérique avec un hydroxyde pour donner du carbonate. Le CO2 est ensuite séparé par chauffage… En Allemagne, la société suisse Climeworks a lancé la construction d’un incinérateur devant récupérer 1000 tonnes de CO2 par an grâce à un filtre « épongeant » le CO2, celui-ci étant ensuite libéré grâce à de la chaleur… Différentes initiatives américaines (avec les firmes Global Thermostat et Infinitree LLC, avec le Centre pour les émissions de carbone négatives de l’Université de l’Etat d’Arizona…) existent également pour développer des technologies de type DAC. Les coûts de ces technologies restent floues, variant de plusieurs dizaines dollars la tonne, pour la capture du CO2 uniquement, à 1000 dollars pour la capture et le stockage… Sans parler de leur consommation d’énergie pour « traiter » de manière significative une atmosphère ayant une concentration de CO2 de 0,04%…

Développement des bioénergies avec captage et stockage de CO2

Ayant l’ambition de capturer du CO2 pendant la vie des plantes sans le réinjecter dans l’atmosphère ensuite, les bioénergies avec captage et stockage du CO2, ou BECCS (Bioenergy et CCS comme Carbon Capture and Storage), ont été citées dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) comme l’un des moyens qui permettraient de parvenir à limiter le réchauffement global à +2°C depuis l’époque préindustrielle. Ces BECCS pourraient notamment trouver des applications dans la production de bioéthanol, dans la cogénération de chaleur et d’électricité à partir de charbon (!) et de biomasse, dans l’industrie papetière avec la valorisation de la liqueur noire, produit obtenu durant le traitement du bois… En Europe, ce type de projet est notamment porté par ETIP (European Technology and Innovation Platform) Bioenergy, soutenue par l’Union européenne. Cependant, la crédibilité des BECCS comme une option de réduction du risque climatique, « n’est pas prouvée », et leur large déploiement dans des scénarios de stabilisation climatique « pourrait devenir une distraction dangereuse », ont alerté des scientifiques dans la revue Nature Climate Change.

Traitement de nuages ou d’océans avec des composés alcalins

Stimuler l’absorption du CO2 atmosphérique par l’eau: c’est l’objectif des projets désirant accroître l’alcalinité des nuages ou des océans. Des scientifiques russes proposent ainsi de larguer des composés alcalins sur les nuages pour créer des pluies alcalines. Ils proposent également de stimuler les averses grâce à des générateurs acoustiques… Des scientifiques de l’Université d’Oxford travaillent pour leur part sur la baisse de la concentration de CO2 atmosphérique grâce à l’augmentation de l’alcalinité océanique… L’objectif affiché est ici de réduire à la fois le CO2 atmosphérique et l’acidification des océans. Mais avec quels coûts et quelles conséquences pour les organismes marins ?

Enrichissement de l’océan en fer ou en fertilisants

L’idée est ici de jouer sur la capacité du plancton végétal, également appelé phytoplancton, à se créer avec la remontée de nutriments des fonds marins via les courants, à provoquer la photosynthèse et ainsi à pomper du CO2 atmosphérique, le plancton mort tombant ensuite au fond de l’océan pour s’accumuler dans les sédiments. Le plancton génère donc une pompe à CO2 et un mécanisme naturel de stockage. Certains voudrait donc parvenir à recréer artificiellement de vastes efflorescences algales (appelées « blooms planctoniques ») en épandant des éléments nutritifs, par exemple du fer, dans les océans ou en pompant des nutriments à partir des eaux profondes… On se souvient à ce sujet qu’un homme d’affaires californien, Russ George, a déjà versé de manière illégale du sulfate de fer dans l’Océan Pacifique…

Options folles ? Certes, mais plus l’objectif de limiter le réchauffement à +2°C deviendra effectivement hors d’atteinte du fait d’émissions de CO2 qui durent depuis trop longtemps, plus de telles options -qui nourrissent en fait le mythe de notre supériorité à notre environnement- pourront prendre de l’importance… Et nous enfoncer dans un cauchemar: celui de l’imagination de l’homme mise au service de l’addiction de notre société aux énergies fossiles. Du reste, la géo-ingénierie s’invite désormais dans le débat climatique.

8 réflexions sur « « Technologies à émissions négatives » de CO2: rêve ou début de cauchemar ? »

  1. Tres bon article,
    qui me fait douter de la capacité des humains à stocker le co2.
    De plus il faudrait pour cela qu’il y aient un intérêt financier.

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