Quand la dépollution de l’air aggrave le réchauffement…

Une étude montre que l’élimination des aérosols issus de nos activités pourrait accroître l’actuelle fièvre planétaire de 0,5 à 1,1°C, donc rendre dès à présent caduc l’objectif de limiter de réchauffement global à +2°C depuis l’époque préindustrielle. Avec également une augmentation des précipitations et une aggravation des événements extrêmes. Comme un air de tragédie grecque…

Morale de l’histoire: la pollution atmosphérique (ici Paris dans le smog), non seulement ça tue mais en plus ça camoufle une part de réchauffement. Quand on l’enlève, le thermomètre monte et les dérèglements s’amplifient. Un double effet « kisscool » en somme. ©vr

Problème de santé publique de premier plan, la dépollution de l’atmosphère pourrait provoquer jusqu’à un doublement du réchauffement planétaire actuel: voilà le cruel paradoxe que met en lumière une étude, Climate Impacts From a Removal of Anthropogenic Aerosol Emissions, menée par une équipe internationale de chercheurs, publiée dans Geophysical Research Letters, et qui précise l’effet combiné des aérosols et des gaz à effet de serre dans la dynamique des dérèglements climatiques actuels.

Un réchauffement plus marqué dans l’Est asiatique, aux Etats-Unis, en Europe

Schématiquement, les gaz à effet de serre ont tendance à réchauffer la température à la surface de la Terre tandis que les aérosols d’origine anthropique ont globalement plutôt pour effet de la refroidir, même si le carbone suie (black carbon) s’avère pour sa part bel et bien « réchauffant ». Dans son dernier rapport, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), soulignait du reste que l’effet des aérosols contrebalançait « une partie importante du forçage radiatif dû aux gaz à effet de serre », près du tiers. Tout en ajoutant qu’il restait encore beaucoup de travail pour préciser tous les effets de ces particules sur le réchauffement global et ses conséquences.

Effectués avec des modèles climatiques récents, couplant le fonctionnement de l’atmosphère et celui des océans, les calculs de la nouvelle étude suggèrent que l’élimination des aérosols actuellement émis -notamment les aérosols sulfatés qui se forment suite aux émissions de soufre provoquées par la combustion de pétrole et de charbon- entraînerait une hausse supplémentaire de la température moyenne de la planète de +0,5 à + 1,1°C.

Elle engendrerait également une hausse des précipitations de 2 à 4,6%, marquant donc une nouvelle intensification du cycle hydrologique, ceci étant dues aux interactions entre les aérosols et les nuages. Les chercheurs ont en plus mis en évidence une grande sensibilité des événements extrêmes (pics de chaleur, pluies intenses…) à la réduction des aérosols. Toujours par l’intermédiaire de la couverture nuageuse, celle-ci peut par exemple générer des changements de température à la surface des océans, des changements de la circulation atmosphérique…

Selon les scientifiques, du fait de la faible durée de vie des aérosols dans l’atmosphère, tous ces effets seraient plus particulièrement marqués dans les principales régions actuellement émettrices, hémisphère nord en tête: Est asiatique, Europe, Etats-Unis.

Quid de l’objectif de limiter le réchauffement à +2°C ?

« Les régions peuplées connaîtraient de plus forts changements concernant la température, les précipitations et les événements extrêmes que la moyenne des continents », souligne l’étude. Par exemple, « nous avons mis en évidence que l’Asie de l’Est est une région où les pluies extrêmes sont particulièrement sensibles à une réduction des émissions d’aérosols », précisent les auteurs qui estiment que le changement climatique dépendra donc fortement au niveau régional de l’équilibre entre les effets des gaz à effet de serre et des aérosols. D’autres scientifiques suspectent pour leur part que la baisse des émissions d’aérosols sulfatés depuis la fin du XXe siècle a déjà boosté les ouragans violents dans l’Atlantique Nord…

Parallèlement, eu égard aux niveaux de pollution atmosphérique à ce jour atteints, par exemple du fait des centrales à charbon, la tendance affichée des politiques publiques reste globalement bien orientée vers la réduction des aérosols d’origine anthropique, que ce soit par des mesures d’amélioration de la qualité de l’air ou par le biais des baisses espérées de l’utilisation des énergies fossiles, notamment dans le but de limiter le réchauffement global à +2°C depuis la période préindustrielle, comme l’a gravé dans le marbre l’accord de Paris sur le climat.

Une illustration de la sensibilité et du dynamisme de la machine climatique terrestre

C’est là où le paradoxe souligné par cette nouvelle étude prend des allures de véritable contrainte supplémentaire pour l’humanité et même de potentiel drame aux accents de tragédie grecque: au fur et à mesure où les émissions polluantes d’aérosols devraient baisser, elles laisseront agir la part de réchauffement que jusqu’alors elles camouflaient, et que l’on ne prenait donc pas en compte. Ayant déjà atteint en ce début de siècle + 1°C, la fièvre planétaire pourrait ainsi rapidement grimper vers les 2°C simplement par ce mécanisme.

Notez que c’est un peu similaire pour les émissions d’un volcan: pendant l’éruption, les aérosols peuvent limiter un potentiel réchauffement, ou même participer à un certain refroidissement si les particules atteignent la haute atmosphère. Mais, au final, quand les aérosols retombent, les gaz à effet de serre émis, et qui eux restent dans l’atmosphère bien plus longtemps, développent tout leur potentiel de réchauffement… Ce qui illustre dans les deux cas la grande sensibilité et le redoutable dynamisme de la machine climatique terrestre.

L’étude Climate Impacts From a Removal of Anthropogenic Aerosol Emissions a été réalisée par Bjorn Hallvard Samset, Maria Sand, Jan Fuglestvedt (tous trois de CICERO, Center for International Climate and Environmental Research, Oslo, Norvège), Christopher Smith (Scholl of Earth and Environment, Université de Leeds, Royaume-Uni), Suzanne E. Bauer (Goddard Institute for Space Studies, NASA, Etats-Unis), Scott Osprey (National Centre for Atmospheric Science, Département de physique, Université d’Oxford, Royaume-Uni) et Carl-Friedrich Schleussner, Climate Analytics, Berlin, Allemagne).