La Terre, machine climatique

Nous sommes à l’intérieur d’un vaste mécanisme qui nous fournit à la fois du chaud, du froid et de l’eau douce, de manière régulée.

Au fait, c’est quoi le climat ? Ce n’est ni le temps qu’il fait aujourd’hui, ni la variation de température qu’il y a eu dans la journée. En prenant un dictionnaire de base, un Larousse, voilà une définition : « Climat : ensemble des phénomènes météorologiques (températures, pressions, vents, précipitations) qui caractérisent l’état moyen de l’atmosphère et son évolution en un lieu donné ». Les mots importants sont l’adjectif « moyen » et le complément « en un lieu donné » : le climat, c’est donc une abstraction, c’est le temps moyen qu’il fait sur une période de plusieurs dizaines d’années dans une zone définie. Ce qui implique que pour l’ensemble de la planète, on ne devrait théoriquement pas parler de climat au singulier mais seulement de climats au pluriel. Effectivement, la façon cartésienne d’apprendre « les climats » a été de découper la Terre, les continents et les pays en différentes parties selon les grandes différences constatées. Aussi pratique soit-elle, cette définition n’intègre pas le système Lovelock.

La différence de la température moyenne entre aujourd’hui et la dernière glaciation est de 4 – 5 ° C

Prenons donc de la hauteur et regardons ça de la lune avec un bon « macroscope », tel celui de Joël de Rosnay. Si la Terre est un monde bien délimitée, comme une île au milieu d’un océan, elle a néanmoins des relations avec l’extérieur. Elle est intimement liée au Soleil qui lui envoie sans cesse de l’énergie alors qu’elle est en orbite autour de lui. De ces relations astronomiques naissent des cycles durant lesquels la Terre va capter plus ou moins d’énergie.

Dans notre ère quaternaire, ces cycles sont à l’origine de périodes glaciaires de l’ordre de 100 000 ans et de périodes plus chaudes, des interglaciaires, 5 à 10 fois plus courtes. Depuis environ 10 000 ans, la Terre est dans une phase chaude, l’Holocène. Aujourd’hui, la différence de la température moyenne entre notre interglaciaire et la dernière glaciation est de 4-5 ° C. Depuis, une grande quantité de glace, qui couvrait notamment l’Europe du Nord de plusieurs kilomètres, a fondu. Le niveau de la mer a augmenté de plus de 100 m.

Le système Terre: des articulation qui s’annulent, s’amplifient, se concurrencent, se complexifient…

A l’échelle de nos vies humaines, des variations de position de la Terre durant un tour complet autour de son astre naissent les saisons. Grâce aux différences de température soufflent les vents. Avec la force des vents tournoient des courants marins, guidés par la rotation de la Terre et par les variations de salinité de l’eau.  Avec la chaleur solaire sur les mers s’évapore de l’eau douce, partant dans l’atmosphère pour se condenser et tomber en pluie ou en neige suivant les conditions locales. Dans les courants marins plongeant vers les profondeurs du Grand Nord disparaît du CO2. Avec des courants marins remontant des profondeurs explose la vie planctonique…

Ce petit inventaire à la Prévert ne donne que quelques-unes des articulations de ce système Terre. Toutes sont en mouvement, dynamiques et jouent en permanence entre elles, selon l’énergie fournie par le soleil. Elles s’annulent, s’amplifient, se concurrencent, se complexifient… Pour donner ici un anticyclone qui nous réchauffe l’été, à un autre endroit un glacier qui nous abreuve, encore ailleurs des diatomées qui fabriquent leurs coquilles…

Des gaz qui construisent le cycle de la vie comme le cycle de la vie les fabrique

Mais la Terre ne prend pas tout ce que le Soleil lui envoie : elle régule. Elle renvoie des rayons dans l’espace, notamment avec la couleur blanche de ses glaces, celles des pôles et d’ailleurs. Elle stocke et redistribue de l’énergie avec ses océans. Elle sait aussi retenir la chaleur près du sol grâce à certaines molécules, celles qui ont au moins trois atomes : ce sont les gaz à effet de serre. Sans eux, la planète serait gelée et n’offrirait aucune hospitalité au genre humain.

Mieux encore, ces gaz construisent le cycle de la vie comme le cycle de la vie les fabrique. Regardez une simple feuille d’arbre : elle grandit sous l’effet des rayons lumineux du soleil en captant du CO2 et en aspirant de l’eau. Et puis à l’automne elle tombe, par exemple dans un ruisseau forestier. Ici, le champignon va la fragmenter, la bactérie va décomposer les confettis en émettant CO2 ou méthane, la larve va manger les nutriments… Au printemps, une Ephémère va éclore, une truite va gober l’insecte, et le pêcheur piéger le poisson… Selon les conditions du moment et du lieu, les restes de tous ces acteurs émettront du gaz carbonique ou du méthane quand ils auront fini de « jouer ensemble ». Ou bien serviront-ils à fabriquer du pétrole ou du charbon !

Le climat: une réaction dynamique de la Terre face à l’intensité d’énergie que lui envoie le Soleil

Multipliant les rapports entre les éléments Air – terre – mer, le climat se montre comme l’une des principales « constructions » de cette grosse machine physique, chimique et biologique qu’est notre planète et dans laquelle tout est lié : les rayons du soleil, le rythme des saisons, la force des marées, le sel de la mer, la rotation de la Terre, les différences de pression, la fraîcheur de l’air, la rosée du matin, la lumière du crépuscule, la couleur du sol, la richesse du minéral, l’éclat du végétal, l’humus du vers de terre, le battement d’ailes du papillon, le temps qu’il fait, ici et maintenant, le temps qu’il fera demain…

Osons donc ébaucher une nouvelle définition : le climat, c’est la réaction dynamique de la Terre face à l’énergie qu’elle reçoit du Soleil. Quels sont les outils qui stimulent et régulent cette réaction ? L’inégalité de la répartition du chauffage solaire sur le globe met en branle pressions, vents et courants marins chauds ou froids. L’évaporation de l’eau génère nuages et pluies. Les forêts vaporisent dans l’atmosphère une partie des pluies. Le blanc de la neige -surtout celle de la neige fraîche- renvoie les rayons solaires vers l’espace. La forme, le relief et la rotation de la Terre jouent sur la circulation de l’air et de l’eau. Les gaz à effet de serre retiennent les infrarouges, la chaleur…

La connaissance de toutes les pièces d’une chaudière n’apprendra rien sur la chaudière si on ignore leurs liens

Dans la démarche cartésienne, la connaissance revient à isoler ces éléments un à un et à les disséquer. La grande force du système est de les lier. C’est comme si l’on voulait inspecter un morceau de chaudière. On saurait tout sur cette pièce et éventuellement on pourrait la réparer en cas de casse, mais la seule connaissance de cette partie n’apprendrait rien sur le fonctionnement de la chaudière.  Pire : même la meilleure connaissance de toutes les pièces de la chaudière n’apprendra rien sur la chaudière si l’on ignore les liens qui les unissent pour accoucher d’une telle machine !

Le climat, c’est donc notre chaudière commune. Cette chaudière fait également « clim » et fournit au passage de l’eau douce ! Gaz à effet de serre et autres glaces ont ici des rôles disons de thermostats. Que se passe-t-il donc si on augmente les premiers et qu’on élimine les seconds ? Certes, il y a des chances que ça chauffe sec. Mais là encore, difficile de ne répondre qu’en faisant intervenir la seule loi du « cause à effet », celle qu’on utilise couramment et inconsciemment dans nos raisonnements. Les scientifiques du GIEC en savent quelque chose, eux dont le principal but est de fournir toutes les demi-douzaines d’années des rapports devant faire consensus dans la gente scientifique et même dans la gente politique ! On gagne à imaginer, avant toute autre considération, avant toute autre nuance, que c’est en fait tout le système Terre qui a le potentiel de changer, de s’organiser autrement, pour évacuer son trop plein d’énergie. Cela nous donne la clé pour mieux ressentir son extraordinaire complexité et ses facultés de réponses aux perturbations qu’on lui inflige.