Bizzare ! Cet automne, la superficie globalement occupée par les banquises de l’Arctique et de l’Antarctique est non seulement à un niveau plancher record pour la saison, mais elle est en plus non conforme à l’évolution habituelle de ses variations saisonnières. C’est comme si la banquise arctique avait du mal à se reconstituer malgré l’arrivée de la nuit polaire tandis qu’une plate-forme glaciaire de la Péninsule antarctique, la barrière de Larsen, menace de céder d’ici la fin de l’été austral, selon l’agence américaine NSIDC.
C’est sans doute pour le réchauffement planétaire et l’avenir de la civilisation humaine une nouvelle pire que l’élection du milliardaire climatosceptique Donald Trump à la tête des Etats-Unis: les superficies des banquises arctique et antarctique sont toutes les deux à des niveaux si bas pour la saison que le total des glaces de mer (Arctique et Antarctique confondus) dévisse nettement par rapport à la courbe normale de leur évolution saisonnière ! Les jours suivants le 16 novembre, la banquise arctique est même entrée dans une étonnante phase de réduction alors qu’elle est normalement en phase active d’extension avec l’arrivée de la nuit polaire. Au 20 novembre, sa superficie était estimée à 8,625 millions de km2 contre 8,674 quatre jours plus tôt, selon les données de l’agence américaine NSIDC (National Snow and Ice Data Center).
Au 20 novembre, plus de 3 millions de km2 de moins dans l’Arctique et l’Antarctique que le précédent record plancher
Cette situation s’explique au nord par des eaux de mer bien chaudes par rapport à la normale, des remontées de vents du sud et des températures atmosphériques très hautes, allant jusqu’à « plus de 15°C au-dessus des normales dans certains secteurs de l’Arctique », selon Valérie Masson-Delmotte, qui copréside le groupe du GIEC (1) travaillant sur les bases physiques du climat. Mais cela ne veut bien sûr pas dire que cette réduction va se poursuivre tout l’automne.
Dans l’Antarctique, la glace de mer a atteint le 20 novembre une superficie de 13,616 millions de km2, ce qui constitue là également un record plancher pour cette date. Selon NSIDC, la rapide et précoce réduction de la banquise au niveau de la Péninsule Antarctique peut créer des conditions favorables pour la rupture d’ici la fin de l’été austral de la plate-forme glaciaire située à l’est de cette péninsule, la barrière de Larsen.
Au total, la glace de mer de l’Arctique et de l’Antarctique a atteint le 20 novembre la superficie globale de 22,241 millions de kilomètres carrés. Ce qui représente plus de 3 millions de km2 de moins que le précédent record plancher à cette date. Cette superficie arrive même au niveau du minimum saisonnier d’août – septembre 2016 (correspondant au minimum de l’Arctique), lui aussi record.
Les graphiques montrent que cette aggravation de la dégradation de la situation des glaces de mer a en fait commencé en octobre, mois durant lequel l’agence américaine NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) a enregistré des températures moyennes bien au dessus des normes au Canada et en Sibérie, et surtout des records de chaleur sur des parties du Groenland, avec par exemple +7,4°C à Daneborg par rapport à la moyenne 1981-2010. Selon NSIDC, l’extension de la banquise arctique dans les 15 premiers jours d’octobre n’a ainsi été que de 378 000 km2, soit moins d’un tiers du gain moyen constaté entre 1981 et 2010.
Le risque d’emballement de la machine climatique
Même si les situations de l’Arctique et de l’Antarctique sont très différentes et donc assez peu comparables, cette rupture par rapport aux courbes habituelles de l’évolution saisonnière de la globalité des glaces de mer des deux pôles, illustre -tout comme le niveau plancher atteint- le décalage entre les prévisions des modèles mathématiques humains et la réalité de la dynamique de la fonte des glaces. Sans que l’on ait encore franchi + 1,5°C ou +2°c de réchauffement global depuis l’époque préindustrielle, la situation actuelle de la fonte des banquises ne peut ainsi qu’accroître les interrogations et les inquiétudes pour la suite de l’histoire, de notre histoire, avec la perspective d’un potentiel emballement de la machine climatique et d’un bouleversement non maîtrisable et irréversible de l’environnement.
En effet, de la glace polaire qui fond plus vite que prévu ou qui a du mal à se reconstituer multiplie le risque de rétroactions naturelles accélérant elles-mêmes le réchauffement planétaire par absorption d’énergie solaire et par des émissions supplémentaires de CO2 et de CH4 (méthane): changements des courants-jets, feux de forêts, réduction progressive de l’albédo, dégradation du rôle tampon de la glace, déstabilisation du permafrost et des hydrates de méthane sous-marins…
Or, des émissions massives naturelles de méthane, véritables bombes climatiques, sont clairement suspectées d’avoir déjà joué un rôle d’amplificateur lors de bouleversements climatiques majeurs: extinction du Permien il y a 245 millions d’années, la plus grande extinction d’espèces que la Terre ait connue… Fin du Paléocène il y a 55 millions d’années. En ce qui concerne les prémices de la fin de la dernière glaciation, il y a 20 000 à 60 000 ans, des paléoclimatologues ont également mis en relation de hautes teneurs en méthane dans l’atmosphère (pouvant être provoquées par le dégel du permafrost et la déstabilisation d’hydrates de méthane) et le déclenchement de phases rapides de réchauffement dans l’hémisphère nord, ayant fait grimper la température moyenne de 10°C au moins en quelques dizaines d’années.
Provoquant en chaîne fonte et débâcle des calottes glaciaires de l’Arctique, apport massif d’eau douce et affaiblissement de la circulation océanique issue du Gulf Stream, ces phases de réchauffement brutal ont été suivies par des refroidissement progressifs s’étendant sur plusieurs centaines ou milliers d’années, puis par des refroidissements plus brutaux. Appelées événements de Dansgaard-Oeschger, de telles séquences ont mêmes pu provoquer des phases de refroidissement (appelées événements de Heinrich ) encore plus longues sur l’hémisphère nord, de 5000 à 10 000 ans.
N’en déplaise à Donald Trump et aux climatosceptiques, c’est dans toute cette mécanique terrestre dont il reste beaucoup à apprendre que l’homme a mis le doigt et maintenant plus que le bras depuis plus d’un siècle avec l’utilisation massive du pétrole, du charbon et du gaz, provoquant réchauffement planétaire et fonte des glaces polaires.
(1) Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. Le groupe du GIEC travaillant sur les bases physiques du climat est le groupe 1. Deux autres groupes travaillent respectivement sur les incidences des changements climatiques et l’atténuation possible.
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