Lutter spécifiquement contre les émissions de méthane en parallèle de la réduction des émissions de CO2 favoriserait un ralentissement à court terme du réchauffement planétaire avec en prime une baisse de la pollution à l’ozone, nocive pour la santé humaine et les écosystèmes en général. C’est ce que souligne une étude scientifique menée par le Laboratoire des sciences du climat et l’environnement et qui montre également que l’augmentation de la concentration atmosphérique de méthane s’est nettement accélérée depuis 2014.
Une étude internationale menée par le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (LSCE) le confirme: repartie à la hausse depuis 2007 après une phase de stabilisation au début du 21e siècle, la concentration atmosphérique de méthane ou CH4 -gaz à effet de serre auquel les scientifiques attribuent 20% du réchauffement planétaire- s’est nettement accélérée en 2014 et 2015, avec un rythme de plus de 10 ppb ou parties par milliard (1) contre moins de 5 ppb pour la décennie précédente. Les 1830 ppb sont atteints, soit une augmentation de 150% par rapport aux niveaux préindustriels. Actuellement, la concentration atmosphérique de méthane s’accroît en moyenne d’environ 10 millions de tonnes par an, les émissions disparaissant lentement par réaction chimique, avec fabrication d’ozone près du sol, de vapeur d’eau dans la stratosphère, de CO2…
Le dégazage de méthane fossile pourrait représenter jusqu‘à 30 % des émissions totales
Pour Philippe Bousquet, professeur à l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ) et co‐auteur de l’étude, il se pourrait que la hausse de la concentration de CH4 depuis 2007 « résulte d’une augmentation des émissions de méthane liées à l’agriculture. Cependant une augmentation des émissions associées à l’exploitation des énergies fossiles ne peut pas être exclue pour le moment », ajoute-t-il.
Ayant fait appel à plus de 70 scientifiques -du fait de la variété des sources de méthane- et servant à la mise à jour des données du Global Carbon Project, cette étude montre qu’aucun des scénarios du GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ne reproduit l’évolution récente observée des concentrations de méthane: les trois scénarios les plus optimistes sont maintenant clairement en dessous de la réalité tandis que la tendance actuelle d’évolution rapproche cette réalité du scénario « business as usual », le scénario noir du GIEC, mais avec des concentrations inférieures aux prévisions. « Les scénarios d’émissions étudiés par les climatologues dans les simulations numériques du climat futur, notamment dans l’objectif de rester sous la barre des 2 degrés de réchauffement climatique global, doivent prendre en compte les émissions de méthane », commente Philippe Bousquet.
L’étude dirigée par le LSCE confirme par ailleurs que 60% des émissions de méthane ont pour origine les activités humaines. Selon elle, les activités liées à l’agriculture (ruminants et culture du riz) ainsi qu’aux traitements des déchets (solides et liquides) dominent avec 36%. des émissions. « Le dégazage de méthane fossile (formé il y a plus de 50000 ans) pourrait représenter jusqu‘à 30 % des émissions totales (bien que ce résultat soit encore discuté) avec la répartition suivante : 21 % dus à l’exploitation du charbon, du pétrole et du gaz et 9 % d’origine naturelle (dégazage géologique) », complète le Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement qui estime également que « les différentes sources naturelles de méthane (zones inondées, lacs, réservoirs, termites, sources géologiques, hydrates, etc.) sont probablement surestimées ».
« Si on veut rester sous la barre des 2°C, il ne faut pas se contenter de limiter les émissions de dioxyde de carbone, il faut aussi réduire celles de méthane »
L’étude montre en fait l’incertitude qui existe dans certaines évaluations liées aux émissions de méthane. Prenant en compte les relevés de concentration pour les généraliser, l’approche dite « top-down » parvient à un total d’émissions de 559 millions de tonnes de méthane par an pour la période 2003-2012. Prenant de son côté en compte les facteurs d’émission (par exemple la quantité de méthane émis par une vache ou une centrale à charbon) pour les généraliser, l’approche « bottom-up » arrive quant à elle à un total de 734 millions de tonnes annuelles pour la même période, soit pas moins de 30% en plus. Les écarts sont particulièrement importants en ce qui concerne les émissions naturelles issues des eaux douces (hormis les zones humides), des animaux sauvages, des feux sauvages, des termites, des fuites géologiques, des océans et du permafrost. Pour l’ensemble de ces sources, les estimations vont d’un total de 64 millions de tonnes avec une incertitude de 150 % en approche top-down, à 199 millions de tonnes avec une incertitude de 90% en approche bottom-up.
Régionalement, 60% des émissions de méthane proviennent de sources tropicales, particulièrement en Amérique du Sud et en Asie du Sud-Est (notamment avec les zones humides) et en Chine (agriculture, déchets, exploitations des énergies fossiles). Outre la Chine, les émissions de méthane issues de l’agriculture, des déchets et de l’exploitation de pétrole, de gaz et de charbon, sont dominantes au Moyen-Orient, en Russie, en Europe, aux Etats-Unis…
Pour Marielle Saunois, enseignant-chercheur à l’UVSQ et coordinatrice de l’étude, « il est impératif de continuer les efforts de quantification du bilan mondial du méthane, avec des mises à jour régulières comme pour le dioxyde de carbone car la diminution des émissions de méthane peut être rapidement bénéfique pour le climat. Si on veut rester sous la barre des 2°C, il ne faut pas se contenter de limiter les émissions de dioxyde de carbone, il faut aussi réduire celles de méthane », ajoute-t-elle.
C’est d’autant plus vrai que la durée de vie du méthane est de l’ordre d’une dizaine d’années et que ce gaz à effet de serre exerce l’essentiel de son pouvoir de réchauffement dans les premières années suivant son émission. Ainsi, si le potentiel de réchauffement global (PRG) du méthane est 28 fois celui du CO2 sur une échelle de 100 ans (34 avec les rétroactions consécutives aux émissions), il grimpe à 84 fois sur une échelle de 20 ans (86 fois avec les rétroactions).
Dit autrement, lutter spécifiquement contre les émissions de méthane en parallèle de la lutte contre les émissions de CO2 favoriserait un ralentissement à court terme du réchauffement planétaire avec en prime une baisse de la pollution à l’ozone, nocive pour la santé humaine, la qualité des sols et les écosystèmes en général. Selon les scientifiques, ce défi peut inclure l’évacuation du méthane des mines de charbon, les fuites de gaz « naturel » (lors de l’exploitation de gaz de schiste, sur les réseaux de gaz…), la couverture des décharges de déchets pour la production de biogaz, la méthanisation dans les élevages, la modification des pratiques de la culture du riz… Sans parler de la diminution des cheptels de bétail.
A contrario, si le réchauffement planétaire n’est pas limité bien en dessous de 2°C, objectif affiché de l’Accord universel conclu lors de la COP21 (2) de Paris, le méthane aura de plus en plus de chances de jouer à terme, de manière « naturelle », un rôle de bombe climatique. Ce que la Terre -pouvant enclencher un réchauffement brutal sur quelques dizaines d’années- a déjà su faire quand elle a changé d’ère géologique, en alternant à son échelle réchauffement brutal et refroidissement tout aussi brutal.
(1) ppb: parts per billion
(2) 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques
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