Au-delà d’un extrême de chaleur dû au réchauffement moyen que l’utilisation d’énergie fossile impose à notre atmosphère, la canicule de cette fin juin, en France et en Europe, semble bien, comme celle de 2003, et comme celle de 2010 en Russie, le signe d’un blocage atmosphérique de plus en plus récurrent et dépendant du réchauffement particulièrement rapide de l’Arctique. Comme si les frontières entre le monde normalement froid du nord et le monde normalement chaud du sud se distendaient…
Canicules, précipitations diluviennes, inondations… Le réchauffement global affecte-t-il la circulation atmosphérique de telle manière qu’il peut localement et par moments déjà considérablement s’amplifier, bien au-delà des prévisions, notamment l’été dans la zone tempérée de l’hémisphère nord ? La réponse est de plus en plus « oui ». En effet, l’intensité de certains extrêmes météorologiques (canicule 2003 en Europe, canicule 2010 en Russie, inondations 2010 au Pakistan, sécheresse 2016 en Californie et maintenant canicule 2019 en Europe où les 45°C ont été dépassés en France) ne s’expliquent pas scientifiquement avec les seuls mécanismes thermodynamiques habituels: « modeste » réchauffement moyen provoquant une augmentation « sensible » de la fréquence des vagues de chaleur, augmentation de température favorisant les précipitations intenses… Leur intensité et leur durée surpassent ce à quoi les scientifiques eux-mêmes s’attendaient selon les données classiques des modèles. L’explication est donc à rechercher dans le dynamisme de la machine terrestre: une perturbation plus générale, et encore plus grave donc, du système climatique. Axes de recherche: l’humidité des sols, les températures de surface de l’Océan Pacifique sous les tropiques ou encore le réchauffement rapide de l’Arctique, au moins deux fois plus rapide qu’ailleurs.
C’est ce que font de multiples scientifiques comme l’Américain Michael Mann ou l’Allemand Stefan Rahmstorf. Ces chercheurs s’intéressent entre autres aux courants jets de l’hémisphère nord, jet stream en anglais, des courants d’air créés au sommet de la basse atmosphère (troposphère) entre les masses d’air chaude du sud et plus froide du nord, et dont la vitesse dépend notamment de la différence de température entre les deux zones. Dit autrement, le courant jet forme une sorte de frontière entre la zone tempérée et la zone polaire. Plus la différence de température est importante entre les deux zones, plus le courant jet va circuler sur un axe ouest-est à une latitude constante. En revanche, si la différence de température est trop faible, le courant jet va de plus en plus onduler sur un axe nord-sud, du fait de sa vitesse affaiblie et d’un phénomène naturel d’ondulation issue de la rotation de la Terre.
Dans le fonctionnement normal du système climatique, ces ondes, appelées ondes de Rossby, se déplacent d’ouest en est, en compagnie des hautes et des basses pressions qui les jalonnent à notre latitude. Ce que montrent les simulations des scientifiques et leur étude des relevés de températures, c’est que l’ondulation exagérée du jet stream favorise des situations pendant lesquelles ce déplacement atmosphérique se ralentit ou, même, se stoppe, particulièrement lorsque le courant jet établit six à huit ondes autour du globe. Ainsi, un anticyclone vient se caler dans la crête de l’onde (côté chaud donc), tandis qu’une dépression va se coincer dans le creux (côté froid). Et quand, un anticyclone est calé à l’ouest et à l’est par des dépressions, les météorologues parlent de blocage Omega (d’après la forme que prend alors le courant jet). C’est la configuration de la situation météorologique de la fin du mois de juin 2019, comme c’était celle de la canicule 2003. Si on se trouve du côté de l’anticyclone, on peut donc se retrouver sous une chaleur qui remonte du sud, partie du globe la plus chauffée, et qui persiste et peut devenir accablante. Mais si on se retrouve du côté de la dépression ce sont des pluies diluviennes qui peuvent s’abattre, comme celles qui ont provoqué en 2010 des inondations touchant des millions de personnes au Pakistan alors que la Russie était touchée par une vague de chaleur historique.
Ayant examiné de nombreux modèles climatiques différents et de multiples données d’observation, des scientifiques ont montré que les conditions favorables à ce genre de blocage, qui peuvent durer plusieurs semaines, sont en nette augmentation ces dernières décennies.
Il n’y a pas qu’en été que le réchauffement rapide de l’Arctique a des conséquences qui dépassent largement ses frontières. Il peut également déstructurer le vortex polaire qui, l’hiver, isole en temps normal la région. Conséquence: ce sont dans ce cas des vagues de froid extrême qui peuvent déferler sur des zones tempérées, comme en février 2018 en France ou en janvier 2019 dans une partie des Etats-Unis, tandis que l’Arctique subit des bouffées de chaleur.
Dues au dynamisme du système terrestre, ces amplifications des extrêmes météorologiques agissent comme si les frontières thermiques que constituent les courants jets et autres vortex se distendaient. Ce qui assombrit encore davantage notre avenir et celui des actuels êtres vivants complexes. En effet, ce qui est dangereux pour la vie même des plantes, des animaux, des êtres humains et des écosystèmes en général, ce sont les températures extrêmes, les pluies extrêmes, les vents extrêmes, pour lesquels ils ne sont tout simplement pas conçus. Et ces extrêmes sont en fait bien plus dangereux que les températures moyennes, les précipitations moyennes et leur augmentation à l’horizon 2100. Les dinosaures l’ont déjà vécu.
La Terre commence-t-elle à basculer vers une autre organisation climatique suite à la quantité de gaz à effet de serre que nous avons injectée dans son atmosphère ? Entre les craintes qui se multiplient sur la plongée des eaux dans l’Atlantique nord, sur la rapidité de la fonte des glaces et du pergélisol et sur le méthane, et celles qui concernent le courant jet, la question risque de plus en plus être posée.