Quand le « réchauffement » fait perdre la boule à la météo

En cette fin février, l’arrivée d’air froid sibérien en France est liée à une déstructuration du vortex polaire ceinturant habituellement les températures glaciales au niveau des latitudes élevées. Or, le réchauffement de l’Arctique a tendance à affaiblir ce vortex polaire, ce qui permet au froid de descendre vers le Sud… Et au chaud de monter vers le Nord.

Ce 27 février 2018 au matin, la température était positive vers le Spitzberg tandis qu’un « froid polaire » faisait la Une en France. Doc. earth.nullschool.net

Alors qu’en cette fin février l’on parle de « froid polaire » en France, la température était positive au matin de ce 27-02-18 dans les environs du Spitzberg, à près de 80° de latitude nord. Certaines températures relevées pouvaient également atteindre plus ou moins 5°C entre l’Islande et le Groenland… Le courant d’air « chaud » constaté ce jour pour la région a même pu assurer des températures de zéro degré ou plus jusqu’à l’archipel de la Nouvelle-Zamble, entre les mers de Barents et de Kara, au nord de la Russie. Que se passe-t-il donc ?

Comment se fabrique le vortex polaire

Dans la stratosphère, entre environ une dizaine et une cinquantaine de kilomètres d’altitude, l’énergie du rayonnement du Soleil réagit avec le dioxygène (O2) et fabrique de l’ozone (03). Créant elle même de la chaleur, cette réaction se renforce avec l’altitude, ce qui explique que la stratosphère se réchauffe peu à peu quand on s’élève, contrairement à la zone située en dessous, la troposphère, celle dans laquelle nous vivons, où la température baisse avec l’altitude.

Mais quand vient la nuit polaire, le rayonnement solaire n’atteint plus le dioxygène qui se trouve au dessus des pôles et ne peut donc plus créer d’ozone. Cette machine à fabriquer de la chaleur s’arrête. Là, au niveau de la stratosphère, les températures chutent jusqu’à des niveaux inférieurs à -80°C. L’air s’alourdit et tourne dans le sens cyclonique (dans le sens inverse des aiguilles d’une montre dans l’hémisphère nord): c’est ce que les météorologues appelle le vortex polaire stratosphérique. Ce vortex hivernal est plus stable dans l’hémisphère sud que dans l’hémisphère nord du fait de la position des continents. Dans l’hémisphère nord, leur position et leurs caractéristiques favorisent en effet une activité ondulatoire de l’atmosphère.

Des vortex polaires faibles de plus en plus fréquents

Pour chaque pôle, existe également à proximité de la tropopause, qui est la zone de transition entre la troposphère et la stratosphère, un courant-jet polaire qui fait le tour de la Terre. En lien avec le vortex polaire, il sépare en fait les zones froides des pôles et les zones plus tempérées comme la nôtre en Europe de l’Ouest. La force de ce vent, et donc sa capacité à bien isoler les zones glacées des zones tempérées, est déterminée par la différence de température entre les deux côtés. Si cette différence s’affaiblit, ce courant-jet va ralentir, onduler et ainsi favoriser, selon les cas, la descente de froid polaire à des latitudes moyennes et la remontée de chaleur subtropicale vers les plus hautes latitudes.

Or, le réchauffement planétaire principalement dû à l’utilisation d’énergie fossile pour les activités humaines (pétrole, gaz, charbon) est particulièrement marqué au niveau de l’Arctique. Une étude menée par le climatologue Judah Cohen montre que les situations de vortex puissant ont tendance à se raréfier depuis les années 1980. En revanche, les situations de vortex faibles s’avèrent de plus en plus fréquentes: + 140% pour les plus faibles entre 1979 et 2015. Cette étude note également que la fonte de l’Arctique, en particulier dans les mers de Barents et de Kara, peut provoquer d’importantes chutes de neige à l’automne en Sibérie. Grâce à l’albédo (capacité à réfléchir la lumière du soleil) de cette neige neuve, les températures baissent et densifient l’air. L’anticyclone ainsi créé transférerait de l’énergie dans la stratosphère, permettant donc l’affaiblissement du vortex polaire.

Des coups de chaud dans la stratosphère

Dans cette mécanique terrestre, à la fois gigantesque et très fine, et que les scientifiques découvrent progressivement du fait notamment des recherches liées au dérèglement climatique, apparaissent en effet des épisodes durant lesquels la stratosphère se réchauffe soudainement. De tels phénomènes font suite à l’énergie que peut libérer des ondes arrivant à pénétrer dans la stratosphère, suite à un forçage venant soit du haut, avec le Soleil, soit du bas… Les météorologues appellent cela des SSW (Sudden stratospheric warming). Et quand ces réchauffements sont puissants, ils peuvent faire disparaître le vortex polaire stratosphérique et le remplacer par un anticyclone stratosphérique, avec inversion des vents, habituellement orientés d’Ouest en Est.

Cette année, vers la mi-février, un événement de ce type a éclaté le vortex polaire en deux parties. En une semaine, à une trentaine de kilomètres au dessus de la surface terrestre, « une importante zone surplombant les régions polaires a connu une élévation du mercure supérieure à 25°C, voire supérieure à 50°C très localement« , rapporte Météo Contact.

Des bouffées de chaleur sur la banquise

Un tel affaiblissement au niveau du vortex polaire stratosphérique a ensuite tendance à se propager dans la troposphère, avec un courant-jet polaire lui aussi déstructuré, les hautes pressions migrant vers le Nord en laissant plus au sud la place à des vents d’Est Nord-Est (plutôt que les habituels vents d’Ouest) pouvant donc transporter du froid sibérien jusqu’à la France. Ce qui explique que les températures relevées ce 27 février en Mer de Norvège au sud comme au nord de l’Islande étaient supérieures à celles qui était relevées à Paris. Les effets à la surface de la Terre de ce bouleversement en haute altitude peuvent durer des semaines, estiment les météorologues.

La superficie de glace s’est réduite de manière spectaculaire en Mer de Béring en février, et de manière très inhabituelle par rapport aux observations antérieures. Doc. @zlabe

Il convient également de remarquer que cet épisode météorologique coïncide avec une extension hivernale de la banquise arctique particulièrement faible, la glace devant faire face à d’anormales bouffées douces et à des vents puissants. Au 25 février, cette banquise s’étendait sur une surface de 14,1 millions de km2 selon le National Snow and Ice data Center (NSCIDC), ce qui constitue un record de faiblesse à cette date. On remarque également que ces bouffées de chaleur anormales ont fait perdre environ 100 000 km2 à la banquise entre le 6 et le 11 février, alors qu’on était bien sûr toujours en nuit polaire. En mer de Béring, la glace a même fortement reculé depuis début février, sortant brutalement de sa courbe habituelle. Or, quand la banquise s’affine et se fracture, elle refroidit moins l’air en surface.

Température moyenne au niveau de l’Arctique. 2018 est en rouge, atteignant fin février une anomalie de plus de 20°C au dessus de la moyenne 1958-2002. Doc. @zlabe

Et enfin surprise ! A peine ce « froid glacial » du « Moscou-Paris » arrivé en France, voilà que les météorologues annoncent un redoux spectaculaire rapide, avec de l’air chaud venant du Sud et une variation allant jusqu’à 20°C… Ce qui est également compatible avec l’affaiblissement du vortex polaire. Ou quand le réchauffement global fait perdre la boule à la météo ! Et montre comment il peut apporter le chaos climatique.

2 réflexions sur « Quand le « réchauffement » fait perdre la boule à la météo »

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