Un nouveau modèle scientifique a calculé que, si les émissions de gaz à effet de serre dues aux activités humaines perdurent comme aujourd’hui, alors la fonte des glaces de l’Antarctique, au Pôle Sud, va s’enclencher durablement et pourrait porter à plus de 2 mètres dès 2100 la hausse du niveau moyen de la mer. Deux fois plus que ce prévoyait jusqu’alors le GIEC…
Force est de le reconnaître: au fur et à mesure que passent les observations scientifiques et que progressent les modèles informatiques, les grands paramètres des changements climatiques (concentration atmosphérique de CO2, réchauffement global, fonte des glaces…) ont tendance à s’aggraver encore plus rapidement qu’initialement prévu. C’est ce que confirme encore une fois une étude réalisée par les chercheurs américains Robert M. De Conto et David Pollard et qui concerne la fonte des glaces dans l’Antarctique.
Un nouveau modèle scientifique qui prend en compte des “processus précédemment sous-estimés”
Jusqu’à ce jour, l’Antarctique joue peu dans la dynamique des changements climatiques et les scientifiques se sont davantage focalisés sur l’Arctique, plus sensible au réchauffement global. Néanmoins, quand on considère le passé de la Terre sur plusieurs millions d’années, on s’aperçoit que la température moyenne du globe a déjà été légèrement supérieure à celle que l’on connaît aujourd’hui mais que le niveau des mers a pour sa part dépassé l’actuel de 6 à 9 mètres pendant la dernière période interglaciaire, il y a 130 000 à 115 000 ans, et d’encore plus durant le Pliocène, il y a environ trois millions d’années… + 10 à 30 mètres.
C’est en se basant sur ces deux épisodes que Robert M. De Conto et David Pollard ont mis en place un modèle relatif à la fonte des glaces dans l’Antarctique. Celui-ci prend notamment en compte des “processus précédemment sous-estimés” liant le réchauffement atmosphérique et la dynamique de la fonte des glaces (déstabilisation de plates-formes, écroulement de falaises…). Les chercheurs ont appliqué à ce modèle informatique les différents scénarios actuels concernant les émissions futures de gaz à effet de serre dues aux activités humaines.
L’élévation du niveau de la mer se poursuivrait inexorablement pendant des siècles et atteindrait plus de 15 mètres en 2500
Bonne nouvelle: si les buts les plus ambitieux de l’accord de Paris 2015 sont atteints, la glace de l’Antarctique devrait rester largement intacte. Rappelons que l’accord validé à Paris lors de la COP21 (1) s’est donné comme objectif (mais de manière plutôt hypocrite et sans s’en donner les moyens) de contenir “l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation des températures à 1,5°C par rapport aux niveaux préindustriels”. La solution du problème est donnée par la physique et les mathématiques, de manière non négociable: il est nécessaire de laisser sous terre 80% des réserves de pétrole, de charbon et de gaz que l’on sait actuellement exploiter. Il faut donc sortir des énergies fossiles au plus vite.
Très mauvaise nouvelle: si nos émissions actuelles perdurent, la fonte de la glace s’enclenchera durablement en Antarctique et pourra, selon les deux scientifiques, aggraver à elle seule la montée du niveau de la mer de plus d’un mètre en 2100 par rapport aux actuelles prévisions. En somme, le modèle de Robert M. DeConto et David Pollard montre que l’élévation moyenne du niveau de la mer pourra dépasser les 2 mètres d’ici la fin du siècle. C’est pas moins de deux fois ce qu’envisageait le dernier rapport du GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. L’élévation du niveau de la mer se poursuivrait ensuite inexorablement pendant des siècles et atteindrait plus de 15 mètres en 2500, toujours selon cette étude scientifique parue fin mars dans la revue Nature.
A + 2 mètres, l’Ile de Sein est engloutie, à + 15 m l’Océan Atlantique prend le Golfe du Morbihan…
Les grandes villes comme New-York, Tokyo, Buenos Aires, Rio de Janeiro, Hongkong, Calcutta, Jakarta, Shanghaï, Bombay, Hanoï, ne seraient pas les seules menacées. Selon les projections de l’organisation scientifique Climate Central, 2 mètres de niveau de la mer en plus signifierait par exemple pour la France de 2100 que la Méditerranée toucherait Arles, que l’Ile d’Oléron serait noyée au niveau de ses marais, que l’Ile de Ré serait sous l’eau au-delà du Bois-Plage avec seulement quelques îlots au nord (sous l’eau les villages de La-Couarde, d’Ars-en-Ré, de Saint-Clément-des-Baleines ou encore des Portes), que l’Ile de Noirmoutier serait également pour moitié noyée et coupée en deux dans sa partie nord, que les villes de Luçon et Challans en Vendée, Machecoul en Loire-Atlantique ou encore Abbeville dans la Somme, seraient en bord de mer, que le littoral vendéen deviendrait une presqu’île, que l’Ile de Sein serait engloutie, que le Mont-Saint-Michel serait “au large”, que l’estuaire de la Seine mangerait Le Havre, que la centrale nucléaire de Gravelines aurait les pieds dans l’eau…
De plus, cette montée des eaux ne pourrait donc plus être arrêtée. A terme, avec + 10 à 20 m, il n’y aurait plus de ville d’Arles. C’est Avignon qui serait en bord de mer, tout comme Niort sur la côte Atlantique… Englouties les îles d’Oléron, de Ré, de Noirmoutier… Englouties également les villes de La Rochelle, Rochefort-sur-Mer, Fréjus, Saint-Tropez, Sainte-Maxime, La Grande Motte, Agde, Port-la-Nouvelle, Arcachon, les Sables d’Olonne, Challans, Machecoul, Saint-Nazaire, Séné, Lorient, Concarneau, Deauville, Dieppe, Le Crotoy… Cette liste n’étant pas exhaustive. Royan essaierait de survivre sur une île, le département de la Manche deviendrait également une île, la Gironde prendrait Bordeaux, La Loire prendrait Nantes, la méditerranée prendrait Toulon, l’Océan Atlantique prendrait le Golfe du Morbihan en laissant Sarzeau sur un morceau de terre… Et puis, en Loire-Atlantique, Pontchâteau ferait face à l’île de Guérande-Pornichet et dans les Charentes l’eau salée irait jusqu’à Saintes, Cognac…
Comment obtenir un refroidissement avec initialement un réchauffement ?
A cette vitesse, on pourrait également avoir une autre mauvaise surprise, comme cela a déjà existé dans le passé de la Terre. Des paléoclimatologues ont effet mis en évidence des phases rapides de réchauffement pouvant s’établir en quelques dizaines d’années –par exemple avec des émissions massives de méthane (fonte du permafrost, déstabilisation des hydrates de méthane des fonds marins). On appelle ces phases des événements de Dansgaard-Oeschger. Et c’est là qu’arrive la grosse surprise: elles ont elles-mêmes provoqué des phases de… refroidissement appelées événements de Heinrich.
Comment cela est-il possible ? Selon les travaux du chercheur américain Wallace Broecker, quand on arrive à un certain niveau de réchauffement dans l’Arctique et donc de fonte, les glaces se disloquent et donnent lieu à des débâcles d’icebergs. Dérivant vers le sud, ces icebergs fondent. Refroidissant l’eau, ils apportent également un énorme volume d’eau douce à l’océan qui, du coup, voit sa concentration en sel chuter.
Or, c’est sa température et sa concentration en sel de plus en plus élevée par le jeu de l’évaporation, qui permettent au courant de l’Atlantique Nord issu du Gulf Stream, de monter jusqu’aux mers de Norvège, du Groenland, d’Islande et du Labrador, puis de plonger vers les fonds marins, générant ainsi ce que l’on appelle la circulation thermohaline ou « tapis roulant », régulateur du climat… Et créateur de vie.
L’histoire de la Terre montre que chacune de ces périodes de débâcles d’icebergs a été accompagnée d’« une diminution très nette de la ventilation profonde de l’Atlantique », donc de la circulation thermohaline, et d’un « refroidissement intense » de l’ordre de 5°C, note le climatologue Edouard Bard, même si le « tapis roulant » reprend peu à peu par la suite, à l’échelle géologique (2)… Dans son rapport de 2013, le GIEC estime que le ralentissement de cette circulation océanique (AMOC, circulation méridienne de retournement de l’Atlantique) pourrait être compris au XXIème siècle de 1 à 24% (11% en moyenne) dans le cas où l’on parvienne à limiter le réchauffement global à +2°C depuis l’époque préindustrielle, et jusqu’à plus de 50% (34 % en moyenne) si l’on suit la tendance actuelle de nos émissions.
(1) 21ème conférence des parties (pays) adhérant à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques.
(2) L’Homme face au climat. Ouvrage écrit sous la direction d’Edouard Bard. Odile Jacob, collection Collège de France.
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