Pour le scientifique américain “père de la science climatique”, James Hansen, “on est tout près de mettre nos enfants dans une situation où ils ne pourront plus rien faire face au changement climatique”. Pourtant, une solution existe, explique-t-il depuis des années, pour laisser les énergies fossiles sous terre et ainsi limiter le réchauffement global: faire en sorte qu’elles soient les énergies les plus chères, définitivement, avec un prix du carbone consistant à taxer de plus en plus les émetteurs pour redistribuer du pouvoir d’achat aux citoyens et ainsi stimuler une nouvelle économie.
A l’heure où les dirigeants du monde se retrouvent pour la 21ème fois afin de parvenir à un accord climat capable d’éviter un réchauffement trop dangereux pour l’humanité, alors que des multinationales fortement émettrices financent un tel sommet tout en prodiguant leurs conseils, alors que l’on fait fondre de la glace du Groenland en plein Paris pour sensibiliser l’opinion aux changements climatiques, alors que l’on envoie les policiers à des citoyens militants qui s’expriment sans violence, alors que beaucoup d’autres citoyens n’ont visiblement pas encore conscience de la gravité de la situation réelle même si le sujet a bien progressé dans les esprits, on peut s’interroger sur la pertinence de la manière dont on parle de la notion du réchauffement global, en particulier évidemment dans les médias.
L’histoire climatique et ses réchauffements et refroidissements abrupts
Car c’est quoi au fond ce phénomène de “réchauffement” ? Pour bien comprendre les mécanismes en jeu, ayons en tête les phénomènes d’alternance de périodes froides et de périodes chaudes que connaît la Terre au fil de ces pérégrinations astronomiques. Ces périodes sont guidées par la position de la Terre par rapport au soleil. Quand les changements de cette position provoquent, sur des dizaines voire des centaines de milliers d’années, un réchauffement suffisant, la Terre se retrouve en déséquilibre énergétique et enclenche des rétroactions amplificatrices jusqu’à trouver un nouvel équilibre.
Montrant au final des oscillations importantes dans l’histoire du climat, ces rétroactions amplificatrices prennent la forme d’émissions naturelles de CO2 et de méthane et provoquent la fonte de calottes glacières, entraînant en première conséquence, avec la dilatation de l’eau, la hausse du niveau de la mer. Par une subtile interaction (entre fonte des glaces, débâcles glaciaires, température en surface, courants océaniques, salinité de la mer, etc.), ce petit réchauffement initial devenu puissant par effet rétroactif, est en mesure de provoquer un refroidissement dans l’hémisphère nord.
Quand la Terre est sortie de la dernière ère glaciaire, de tels réchauffement et refroidissements ont déjà pu se produire en quelques dizaines d’années, avec des amplitudes de plus de 5°C, et se succéder sur des périodes de centaines ou de milliers d’années. Ils ont été recensés par les scientifiques sous les noms de cycles de Dansgaard-Oeschger pour les plus courts et d’événements de Heinrich pour les plus longs.
Extermination d’un quart à la moitié des espèces d’ici la fin du siècle et augmentation générale du niveau de la mer « alors que la moitié des villes sont sur des côtes”
Que faisons nous donc avec nos émissions des CO2 principalement issues de l’exploitation et de l’utilisation de pétrole, de charbon et de gaz ? Nous enclenchons, à une vitesse géologique particulièrement brutale, le même type de rétroactions amplificatrices du système terrestre. Nous provoquons le même type de déséquilibre énergétique. Un tel raisonnement ne sort pas de l’imagination d’un réalisateur de film catastrophe, ou du cerveau d’un journaliste avide de sensationnel. Il suffit de bien écouter les grand-père et père de la science climatique, les Américains Wallace Broecker et James Hansen, pour facilement le comprendre.
Déjà arrêté par la police pour avoir manifesté devant la Maison-Blanche, l’ancien directeur du Goddard Institute for Space Studies (GISS) de la NASA, professeur au département de la Terre et des sciences environnementales de la Columbia University, James Hansen, a rejoint Paris à l’occasion de la COP21 (1). Il a notamment pu intervenir sur le site Place To B et lors d’une conférence du think tank de la transition carbone, The Shift Project, conférence intitulée “Peut-on faire une “bonne” politique climatique en ignorant la science?”
En attendant de puissants rejets de méthane (par exemple issu des terres jusqu’alors gelées du Grand Nord, le permafrost ou pergélisol) et un refroidissement brutal dans l’Atlantique Nord, un déséquilibre énergétique comme celui que l’on impose à la Terre depuis le début de l’époque industrielle en accumulant du CO2 dans son atmosphère, commence par augmenter les deux extrêmes du cycle de l’eau: d’un côté sécheresses et épisodes caniculaires, et de l’autre pluies plus intenses, donc crues et inondations plus fortes, ou encore glissements de terrain plus importants. Pourquoi ? Parce que, comme l’explique James Hansen, une atmosphère plus chaude retient plus de vapeur d’eau qui, avec son énergie latente, provoque globalement plus de précipitations intenses. Sans parler du vent.
James Hansen a détaillé lors de la conférence du Shift Project deux types de conséquences irréversibles avec la fonte de la calotte glaciaire de l’hémisphère nord: l’extermination d’un quart à la moitié des espèces d’ici la fin du siècle et l’augmentation générale du niveau de la mer “alors que la moitié des villes sont sur des côtes”. Pour lui, l’incertitude est seulement de savoir “à quelle vitesse ça va monter”.
En 2012, James Hansen estimait déjà que ce déséquilibre énergétique à la surface de la Terre était de l’ordre de 0,6 watt par mètre carré. Présenté comme cela, ça peut paraître pas grand chose, mais traduit en bombes atomiques, c’est l’équivalent quotidien de la puissance de 400 000 Hiroshima, selon le scientifique.
“Les gouvernements complexifient la taxe carbone parce qu’ils n’en veulent pas”
Par ailleurs, les relevés issus des carottes de glace et de sédiments démontrent une forte corrélation entre les évolutions des concentrations du CO2, du méthane, de la température et du niveau de la mer. Comme le dit James Hansen, “la physique ne change pas. Comme la Terre se réchauffe, à cause des émissions supplémentaires que nous mettons dans l’atmosphère, la glace va fondre, et le CO2 et le méthane seront libérés par le réchauffement des océans et la fonte du pergélisol. Bien que nous ne puissions pas dire exactement à quelle vitesse ces rétroactions amplificatrices se produiront”. Selon lui, redonner son équilibre énergétique à la Terre revient à ramener la concentration de CO2 à 350 ppm. Elle est à ce jour à environ 400 ppm et cet objectif équivaut à viser une hypothétique limite de réchauffement de +1,5°C depuis l’époque préindustrielle, et non pas de +2°C. « La dernière fois qu’on était à 390 ppm, le niveau de la mer était au moins de 15 m plus haut ».
Pour l’ancien directeur du Goddard Institute, “on est tout près de mettre nos enfants dans une situation où ils ne pourront plus rien faire face au changement climatique”. Et d’estimer que le réchauffement global peut prendre la forme d’une tragédie. En effet, il est possible selon lui de résoudre ce problème avec une approche simple et honnête, c’est-à-dire en mettant en place “une taxe carbone qui augmente progressivement”. Celle-ci serait “recueillie auprès des compagnies de combustibles fossiles et distribuée à 100%” auprès des citoyens sur une base par habitant. James Hansen estime que “la plupart des gens obtiendraient plus (…) que ce qu’ils paieraient dans la hausse des prix, et que “cela stimulerait l’économie et les innovations, et créerait des millions d’emplois”.
Cependant, “au lieu de placer une taxe croissante sur les émissions de carbone pour faire payer aux combustibles fossiles leur coût réel pour la société, nos gouvernements forcent le grand public à subventionner les combustibles fossiles avec 400 à 500 milliards de dollars par an dans le monde entier”, souligne-t-il, estimant que “les gouvernements complexifient la taxe carbone parce qu’ils n’en veulent pas”.
“Poursuivre dans cette voie garantit que nous allons passer les points de basculement menant à la désintégration de la calotte glaciaire qui s’accélérera et échappera au contrôle des générations futures”, conclut-t-il promettant dans ce cas “famines massives” et “déclin économique”…
(1) A l’occasion de la COP21 à Paris, 21ème Conférence des parties de la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques.
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