Avec ses vents dépassant 300 km/h, l’ouragan Irma préfigure une partie de ce que nous réserve la hausse de la température moyenne de la Terre, version chaos climatique. En effet, plus nous injecterons des surplus d’énergie dans notre atmosphère et nos océans -par le biais du CO2, du méthane et des autres gaz à effet de serre- plus nous permettrons à la Terre d’augmenter les conditions météo extrêmes, qu’il s’agisse de vent, de chaleur, de pluie, de froid… Question de thermodynamique.
Si, selon le dernier rapport du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), il reste encore à ce jour à prouver que le réchauffement planétaire augmente le nombre de cyclones à la surface de la planète, en revanche l’énergie supplémentaire que l’on accumule dans notre atmosphère du fait des émissions massives de gaz à effet de serre (consécutives principalement à l’utilisation de pétrole, de charbon et de gaz), donne à ces phénomènes une puissance supplémentaire potentielle. Ceux-ci pourront donc être de plus en plus destructeurs.
Dépressions anticyclones et vents forment un système de répartition de la chaleur à la surface de la Terre. Ils déconcentrent du chaud, du froid, de l’énergie donc
Pour bien comprendre ce qu’est un cyclone, revenons aux bases du fonctionnement de l’air. Quand celui-ci est chaud, il devient plus léger tout en se chargeant plus ou moins en humidité grâce à l’évaporation. Il monte alors dans l’atmosphère et il est remplacé près de la surface par de l’air plus frais venant des alentours. Cela crée du vent. On obtient alors ce que les météorologues appellent une dépression, ou zone de basse pression atmosphérique. En revanche, quand l’air en surface est froid, il devient plus lourd: l’air situé plus haut descend vers le sol et se réchauffe par compression. Il forme alors une zone de haute pression, également appelé anticyclone. Cet air est attiré par les zones de basse pression alentours.
Grâce à ce jeu entre les dépressions et des anticyclones, des flux d’air se forment entre les zones chaudes et les zones plus tempérées ou froides de la Terre. Ces flux d’air sont permanents car ils sont une conséquence du rayonnement inégal du Soleil sur la planète. Le rayonnement solaire est en effet important au niveau de l’équateur mais décroissant au fur et à mesure où l’on se rapproche des pôles. Dit autrement, dépressions anticyclones et vents forment un système de répartition de la chaleur à la surface de la Terre. Ils déconcentrent du chaud, du froid, de l’énergie donc. Par ailleurs, l’effet de la rotation de la Terre sur elle-même (ce que l’on appelle la force de Coriolis) donne à leurs mouvements des formes circulaires.
Dans l’hémisphère nord, au centre de l’anticyclone, l’air, qui va de l’intérieur vers l’extérieur, est dévié dans le sens des aiguilles d’une montre. Au centre de la dépression, l’air, qui va de l’extérieur vers l’intérieur, est dévié dans le sens contraire des aiguilles d’une montre. Ce phénomène est inversé dans l’hémisphère sud.
Autre constante: plus la différence de température est importante entre une zone chaude et une zone froide (les météorologues parlent de fronts), plus le vent créé souffle fort.
Quand les conditions sont réunies, notamment un océan tropical très chaud, c’est une véritable usine à vent et à pluie qui se met en place
Dans cet environnement, et selon certaines conditions, une dépression va pouvoir se transformer en cyclone tropical quand elle se situe au dessus d’une masse d’eau chaude, ou bien en cyclone extra-tropical à des latitudes plus élevées à la suite d’un différentiel important de températures entre deux masses d’air, ou encore en système dépressionnaire polaire, là encore à la suite d’un contraste thermique important.
Avec les ouragans d’Amérique du Nord comme Katrina (2005) ou Irma (2017), les cyclones de l’Océan Indien et du Pacifique Sud comme Winston aux Iles Fidji (2016), et les typhons d’Asie comme Talim (2017), c’est bien sûr la version tropicale du cyclone qui est à la manœuvre. Les qualificatifs changent simplement selon les régions. Pour se former, un tel cyclone a donc besoin d’un gros réservoir d’eau chaude (26-27 °C minimum sur au moins une cinquantaine de mètres de profondeur). Il y puisera son énergie. Il a également besoin d’une atmosphère humide où règnent des vents homogènes jusqu’à la froide tropopause (niveau le plus froid de la basse atmosphère) pour que sa cheminée de nuages puisse être construite et d’une certaine latitude (plus de 5 degrés nord ou sud) pour que la force de Coriolis (nulle au niveau de l’équateur) puisse activer son tourbillon.
Ces conditions sont régulièrement remplies à la fin de l’été quand les océans tropicaux ont été chauffées pendant de longues semaines, atteignant par exemple 28 ou 29 degrés sur une large épaisseur, avec une évaporation intense. Dès lors, c’est une véritable usine à vent et à pluie qui se met en place avec un pôle chaud au niveau de la mer et un pôle froid au sommet de la basse atmosphère. Le pôle chaud charge l’air d’humidité et le chauffe. Cet air devient plus léger que celui des régions voisines, monte en spirales dans l’atmosphère et est remplacé, avec création de vent, par l’air des zones alentours. Simultanément, l’humidité s’agglutine dans les nuages pris dans le tourbillon, condense et libère sa chaleur latente. Cette chaleur latente alimente le système dépressionnaire, comme un carburant.
Un cyclone tropical s’apparente à une machine thermodynamique qui se nourrit d’une masse d’eau chaude et d’humidité atmosphérique. Plus l’eau est chaude et plus il y a d’humidité, plus il peut fonctionner puissamment
L’appellation cyclone ou ouragan est attribuée au phénomène quand les vents marins atteignent force 12, c’est-à-dire quand leur vitesse deviennent supérieures à environ 120 kilomètres par heure. Vers le centre de la dépression, de l’air froid descend vers le sol, s’assèche et se réchauffe, déformant la tropopause en entonnoir, un peu comme si le ciel descendait. Se forme ainsi un œil débarrassé de nuages et qui forme l’axe du mouvement rotatif du cyclone. Il est entouré d’un « mur » d’humidité où se trouvent les vents les plus violents. L’ensemble s’auto-alimente grâce à la réserve d’eau chaude de l’océan et se déplace avec les vents dominants.
De tels phénomènes déconcentrent en fait l’énergie stockée dans l’océan. Ils sont hiérarchisés en fonction de la force des vents qu’ils créent, celle-ci étant dépendante de la quantité d’énergie qu’ils ont pu accumuler et mettre en mouvement. Un ouragan de classe 5 ou un super typhon provoque des vents qui dépassent 250 km/h. Mais tous perdent en intensité quand l’océan ne leur fournit plus assez de chaleur et d’humidité, ou bien quand ils rencontrent un continent, ceci ayant pour effet de couper leur alimentation en « carburant ». Avant cela, c’est bien sûr quand ils abordent des côtes qu’ils montrent tout leur pouvoir destructeur pour nos sociétés.
Ainsi, si un cyclone est un phénomène parfaitement naturel avec des cycles d’activité cyclonique qu’il reste à préciser pour les scientifiques, et qu’il est dès lors encore difficile de dire que la naissance d’Irma, dont la taille a atteint celle de la France, est l’œuvre directe du réchauffement planétaire, le pouvoir destructeur d’Irma est donc en revanche parfaitement cohérent avec ce que les physiciens prévoient, c’est-à-dire des cyclones qui gagnent en intensité. Un cyclone tropical s’apparente en fait à une machine thermodynamique qui se nourrit d’une masse d’eau chaude et d’humidité atmosphérique. Plus l’eau est chaude et plus il y a d’humidité, plus il peut fonctionner puissamment, donc avec des vents violents et/ou des pluies torrentielles. Or, le réchauffement planétaire promet à la fois des océans plus chauds et plus d’humidité dans l’atmosphère. Donc, logiquement, des cyclones tropicaux sont appelés à être plus intenses en termes de vents et de précipitations, ce que confirment les modèles informatiques. Du fait de la hausse du niveau des mers due à la hausse de la température moyenne de la Terre, l’impact des raz-de-marée qu’ils provoquent, les marées de tempête, doit également croître.
Quid des tempêtes dans les zones tempérées ?
Précision: la zone tropicale n’est pas la seule concernée par les dépressions violentes… Rappelons que dans la formation des vents, plus la différence de température entre le front chaud et le front froid est importante, plus la perturbation sera elle aussi importante. Dans le cas d’un cyclone tropical, le pôle chaud est donc du côté de l’océan et le pôle froid du côté de la tropopause, niveau le plus froid de la basse atmosphère (en moyenne -50 à – 65 °C).
Dans cette tropopause circulent également, entre les grosses masses d’air chaud et d’air froid, les vents les plus rapides que l’on trouve autour des deux hémisphères terrestres: les courants-jets. On parle de jet subtropical entre zones chaudes et zones tempérées et de jet polaire entre zones froides et zones tempérées. Plus ou moins puissant (il peut atteindre 400 km/h), celui-ci ceinture dans l’hémisphère nord ce que l’on appelle le vortex polaire, dépression se trouvant au-dessus de l’Arctique. C’est un tel courant-jet qui, descendu plus au sud, a donné leur force aux tempêtes de la fin 1999, Lothar et Martin, qui ont ravagé une partie de la France métropolitaine et de l’Europe. Ce ne sont pas des cyclones tropicaux, mais le résultat pour nos sociétés est similaire: la destruction.
En fait, la tropopause est la frontière entre la troposphère (la basse atmosphère, dont la température diminue avec l’altitude) et la stratosphère qui, au contraire, est une couche de l’atmosphère dont la température augmente avec l’altitude. Ceci est dû au travail de l’ozone qui, ici, piège les rayons ultra violets du soleil et crée ainsi de la chaleur. Avec cette inversion de l’évolution de la température, la stratosphère agit comme un bouchon pour la vitesse des vents, d’où la création des courants-jets, et elle amortit les phénomènes convectifs: orages, cyclones…
Résumons: dans l’atmosphère la température baisse jusqu’à des dizaines de degrés en dessous de zéro quand on grimpe jusqu’à une certaine altitude, environ 11 km en moyenne (altitude plus élevée à l’équateur 17-18 km, et diminuant en allant vers les pôles jusqu’à 7-8 kilomètres). Cela caractérise la troposphère, qui peut également être creusée en entonnoir par des dépressions de type ouragan. Puis, elle se réchauffe jusqu’à une cinquantaine de kilomètres d’altitude (jusqu’à revenir à environ zéro degré). Cela caractérise la stratosphère.
Réchauffement de la troposphère, refroidissement de la stratosphère, affaiblissement du courant-jet polaire… C’est bien le système énergétique de la Terre que nous déséquilibrons
Or, les scientifiques ont clairement constaté que si l’émission massive de gaz à effet de serre due principalement à l’utilisation des énergies fossiles réchauffait la troposphère, elle avait en revanche tendance à… refroidir la stratosphère. En clair, plus les gaz à effet de serre bloquent de la chaleur dans la basse atmosphère, moins cette chaleur peut gagner la stratosphère et plus celle-ci se refroidit. Cette baisse de température induit de surcroît une baisse de la concentration d’ozone, renforçant elle-même le refroidissement de la stratosphère… Et au passage moins d’ultra-violets du Soleil sont stoppés.
Autre conséquence: si la stratosphère se refroidit, elle devient plus lourde. Et si elle s’alourdit, il est logique qu’elle amortisse moins et renvoie davantage vers le bas (vers nous donc) l’énergie des phénomènes de type orages ou cyclones. C’est en quelque sorte le ciel qui nous tombe sur la tête. Question: comment cela ne pourrait-il pas globalement renforcer la violence de ces phénomènes naturels ?
Enfin, le réchauffement rapide de l’Arctique et la fonte des glaces induisent un air plus chaud et plus d’humidité dans la basse atmosphère de la région. Ce qui peut avoir un impact sur le différentiel de température entre les masses d’air froid polaires et les masses d’air plus chaudes venant du Sud, donc sur la vitesse et la direction du courant jet polaire. Quand il s’affaiblit, celui-ci serpente plus vers le Sud et isole moins le vortex polaire. Ainsi, il peut par exemple provoquer des conditions météorologiques inhabituellement froides sur des zones tempérées. Selon les cas et les lieux, des scientifiques suspectent cet affaiblissement du courant jet polaire de l’hémisphère nord de semer froid intense, canicules, inondations…
Comme dans le cas de l’ouragan, cet exemple montre en fait qu’au-delà de la mesure du réchauffement planétaire moyen (environ +1°C depuis le début de l’ère industrielle, c’est-à-dire peu ou prou depuis le début de l’exploitation des énergies fossiles), très peu révélatrice des modifications climatiques induites, c’est bien le système énergétique de la Terre (relativement bien isolé de l’espace grâce à son atmosphère et notamment ses gaz à effet de serre) que nous déséquilibrons en injectant dans l’air toujours plus d’énergie via le CO2, le méthane, etc.
A quoi s’active en fait en permanence ce système Terre pour équilibrer l’énergie que lui envoie le Soleil? Il s’active notamment à pomper des masses colossales d’air et de vapeur d’eau, et à concentrer par endroits leur chaleur et leur humidité pour les envoyer un peu plus loin dans notre basse atmosphère. Et la thermodynamique nous indique de son côté que plus une énergie est concentrée et plus elle est efficace pour effectuer un travail… Il n’y a donc pas lieu de s’étonner que plus on injectera un surplus d’énergie dans l’atmosphère par le biais des gaz à effet de serre, plus on donnera la possibilité au système Terre d’augmenter les conditions météo extrêmes, qu’elles soient liées au vent, à la chaleur, aux pluies, au froid…
Dès lors, l’aboutissement de la hausse de la température moyenne de la Terre a bien plus de chances de ressembler à un chaos climatique, avec des événements météorologiques inattendus et variés, qu’à un réchauffement global relativement homogène. La violence d’Irma ne semble ainsi qu’un hors-d’œuvre.
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