Même s’il est présenté comme un modèle pour le reste du monde, l’objectif de l’Union européenne de réduire de 40% ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030 ne représente en fait qu’un effort de -30% sur la période 2010 – 2030. Selon la Commission européenne, cet effort doit néanmoins permettre “d’atteindre l’objectif à long terme de 80 % de réduction des émissions”, à l’horizon 2050. Comment ? L’effort principal est reporté sur les générations à venir alors qu’il conviendrait de prévoir une forte baisse tout de suite pour conserver le plus de chances de contenir le réchauffement global à +2°C.
Si, à l’approche de la conférence des Nations-Unies Paris-Climat 2015, les pays s’accordaient sur une seule et même année de référence pour quantifier les propositions de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre afin de contenir le réchauffement global à +2°C par rapport à l’époque préindustrielle, on commencerait déjà à progresser. Mais c’est plutôt le flou ou la confusion qui semble au programme…
En effet, on avait déjà des références à 1990 (France, Union européenne…) et à 2005 (Etats-Unis). Voilà maintenant que la Commission européenne, qui a présenté fin février sa vision de ce que devrait être un bon accord à Paris, estime que l’on garantirait “des réductions d’émissions ambitieuses en stipulant que l’objectif à long terme devrait être de réduire les émissions mondiales d’au moins 60% par rapport aux niveaux de 2010 d’ici à 2050”.
Selon les données du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’objectif ambitieux serait plutôt de réduire les émissions d’au moins 70% entre 2010 et 2050. En effet, si au niveau mondial le GIEC préconise une réduction de 41 à 72 % en 2050 par rapport à 2010 pour que l’on puisse espérer rester dans la limite des +2°C, c’est tout en sachant que plus on sera proche des 72% moins on aura de chances de dépasser les +2°C: environ 1 chance sur 10 contre près de 4 sur 10 pour le bas de la fourchette. Donc un objectif qui mériterait réellement être qualifié d’ambitieux serait de viser au moins 70 % de réduction des émissions mondiales entre 2010 et 2050 pour limiter au maximum ce risque, et non 60 %.
Un objectif de réduction d’1,45 milliard de tonnes équivalent CO2 pour la période 2010 – 2030 contre un objectif de réduction de 2,25 milliards de tonnes pour la période 2030 – 2050
Cela n’empêche pas la Commission de conserver son objectif de baisse de 40% de ses émissions entre 1990 et 2030 “permettant d’atteindre l’objectif à long terme de 80 % de réduction des émissions, compatible avec l’évaluation des réductions auxquelles les pays développés devront parvenir collectivement” d’ici 2050 par rapport aux mêmes niveaux de 1990. Le GIEC préconise en fait sur cette même période une réduction de 80 à 95% des émissions du groupe des pays développés, comme l’indique l’union européenne elle-même, qui choisit donc plutôt le bas de la fourchette.
On récapitule: -60% entre 2010 et 2050, c’est pour la moyenne de l’effort mondial que juge bonne la Commission; -80 % de baisse entre 1990 et 2050, c’est pour l’effort des pays développés que juge bon la Commission; -40% entre 1990 et 2030, c’est pour le premier objectif de l’Union européenne (et également de la France du reste). Ce n’est pas encore assez clair ?
Evaluons donc ces trois données selon la même référence et choisissons 2010, tout simplement parce que c’est l’année de référence la plus proche de notre réalité. Selon les données de la base européennes EDGAR, à laquelle se fie du reste la Commission européenne, l’effort de 40 % de baisse entre 1990 et 2030 pour l’Union européenne des 28 (UE28) se transforme ainsi en une réduction de seulement 30 % entre 2010 et 2030 (1). Quant à l’effort de -80% entre 1990 et 2050, il se transforme en un effort de -75% entre 2010 et 2050.
Il apparaît ainsi que cet “effort” que propose la Commission européenne pour les deux décennies 2010-2020 et 2020-2030 est bien moins intense que l’effort qu’elle lègue de facto aux générations futures pour les décennies 2030-2040 et 2040-2050: objectif de réduction d’1,45 milliard de tonnes équivalent CO2 pour la première période (-30% entre 2010 et 2030) contre un objectif de réduction de 2,25 milliards de tonnes pour la période suivante, ce qui équivaut à une réduction des émissions de gaz à effet de serre de l’ordre de 67% entre 2030 et 2050… si toutefois bien sûr l’objectif 2010-2030 est rempli… et alors que le changement climatique se fera davantage sentir.
Nos émissions actuelles de CO2 (environ 40 milliards de tonnes actuellement) font fondre le quota (1000 milliards de tonnes à partir de 2011) qu’il ne faut pas dépasser si l’on veut avoir des chances de contenir le réchauffement à +2°C
Par ailleurs, admettons que l’on réduise effectivement les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 60 % au moins entre 2010 et 2050, ce qui pour la Commission “correspond à l’objectif à long terme de l’UE de réduire de moitié les émissions mondiales par rapport à 1990 d’ici à 2050”. Dans quelles mesures serait-ce aujourd’hui suffisant face à l’ampleur de la tâche à réaliser ? Faisons le calcul.
Diviser par deux les émissions de 1990 revient à atteindre en 2050, toujours selon les chiffres de la base de données EDGAR,19 milliards de tonnes équivalent CO2 contre environ 51 milliards en 2010. Si l’on applique ce schéma au seul dioxyde de carbone issu de la combustion fossile (et des processus comme la fabrication du ciment) alors on doit viser en 2050 des émissions de CO2 fossile de l’ordre de 11 milliards de tonnes contre environ 33 milliards en 2010, soit une baisse des 2/3 entre 2010 et 2050, c’est-à-dire environ 67%.
De surcroît, on sait que malgré tous les sommets internationaux sur le climat les émissions continuent toujours actuellement leur croissance: 34 milliards en 2011, plus de 35 milliards en 2013. En ajoutant pour être complet les émissions de dioxyde de carbone dues à l’usage des terres, on arrive à des émissions annuelles de CO2 d’environ 40 milliards de tonnes.
Or, rappelons-le, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne clairement dans son 5ème rapport que l’on ne peut plus émettre que 1 000 milliards de tonnes de CO2 à partir de 2011 si l’on veut conserver 2 chances sur 3 de rester dans la limite d’un réchauffement de +2°C. SI l’on veut conserver encore plus de plus de chances, alors on visera davantage la limite de 850 milliards de tonnes d’émissions de CO2… Force est de reconnaître qu’à une vitesse de 40 milliards de tonnes par an, ce quota va rapidement fondre.
Selon notre calcul, il conviendrait que l’Union européenne revoit sa copie dès à présent, en demandant une réduction des émissions mondiales avant 2020, et avec une ampleur plus importante que ce qui est actuellement envisagé
D’autre part, si un accord est signé à Paris, il n’entrera de toute façon en vigueur qu’à partir de 2020. Donc, entre 2011 et 2020, sans accord suffisant et sans nouveauté (protocoles de Kyoto I et II), on aura émis grosso modo et sans pessimisme particulier 400 milliards de tonnes de CO2 supplémentaires (à raison disons de plus ou moins 40 milliards de tonnes annuelles en moyenne). Dans cette hypothèse, notre budget carbone sera donc réduit en 2020 à plus ou moins 600 milliards de tonnes de CO2, avec des émissions annuelles à cette date qui ne pourront guère être en dessous de 40 milliards de tonnes.
Admettons -ce qui serait plutôt une nouvelle encourageante- que ces émissions soit effectivement de 40 milliards de tonnes en 2020. Pour arriver à un peu plus de 10 milliards de tonnes d’émissions en 2050, il serait nécessaire de réduire de plus ou moins 1 milliard de tonnes par an en moyenne les émissions de CO2 pendant 30 ans. Problème: après calcul, on émettrait pendant ces trois décennies, plus de 700 milliards de tonnes de CO2, donc on commencerait à bien dépasser le budget carbone initialement indiqué… Sans action énergique immédiate, un objectif de réduction de 60% des émissions mondiales entre 2010 et 2050 semble donc bien dès à présent insuffisant.
L’Union européenne propose au cas où l’effort envisagé ne s’avère finalement pas suffisant, que l’on prévoit “un réexamen global, qui sera réalisé tous les cinq ans, afin de renforcer le niveau d’ambition de ces engagements en matière d’atténuation compte tenu des données scientifiques les plus récentes”. C’est à souligner. Cependant, pour éviter de perdre 5 ans, il conviendrait mieux qu’elle revoit sa copie dès à présent, par exemple en demandant une réduction des émissions mondiales avant 2020, et avec une ampleur plus importante que celle qui est actuellement envisagée.
(1) Dans la même manière, la proposition des Etats-Unis d’une réduction de 26-28% entre 2005 et 2025 peut se transformer en une proposition de réduction de 20,5 à 23% entre 2010 et 2025. 2005 est en fait l’année du pic des émissions des Etats-Unis.
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