Bulle carbone et “stranded assets”: une affaire à 28 000 milliards de dollars…

28 trillions, soit 28 000 milliards de dollars ou 28 000 000 000 000$: c’est chez Kepler Cheuvreux l’ordre d’idée des pertes qu’infligerait aux acteurs des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz) dans les deux décennies qui viennent, un accord international permettant de limiter réellement le réchauffement à +2°C. Les actifs concernés s’appellent des “stranded assets”. Pour les investisseurs, la solution seraient de désinvestir du côté des énergies fossiles pour investir dans les énergies renouvelables et la décarbonation.

Manifestation de « bulles de carbone » à l’entrée d’une conférence sur les énergies fossiles à Londres. Journée mondiale de désinvestissement 2015. Doc. GFF

C’est certain: si l’on veut vraiment limiter le réchauffement à +2°C, ce qui est vital pour l’humanité, on possède environ quatre fois trop de réserves de pétrole, de charbon et de gaz. Si cette information et ses implications n’ont pas encore vraiment inondé les médias, elles sont en revanche étudiées de près par certains financiers.

“Tôt ou tard, les gouvernements du monde vont être obligés d’agir”

En effet, quelle valeur donner dès à présent à des combustibles dont on ne se servira pas, ou dont on n’est plus censé se servir à terme ? Les actifs de ce carbone “imbrûlable” ont été regroupés par les experts sous le terme de “stranded assets” -des actifs devenant irrécupérables- avec bien sûr le spectre d’une “carbon bubble”, ou “bulle carbone”.

 “Il y a dissonance entre la valorisation des entreprises fossiles et le consensus scientifique” sur le changement climatique, a confirmé Mark C. Lewis, “senior analyst sustainability research” chez Kepler Cheuvreux, à l’occasion d’une conférence organisée sur ce thème à Paris, en février, par la société de conseil pour le développement du “green business” QuattroLibri, le think tank de la transition carbone The Shift Project, et la revue Banque.

Pour Mark C. Lewis, “tôt ou tard, les gouvernements du monde vont être obligés d’agir” concernant la problématique du réchauffement global et son lien intime avec les énergies fossiles. Donc ces stranded assets “devront être dévalorisés” car ils n’auront plus le rendement attendu.

Désinvestir du côté des énergies fossiles pour investir durant le même temps dans les énergies renouvelables

Mieux encore, Kepler Cheuvreux a entrepris de quantifier le risque que représente ces actifs en comparant, selon Mark C. Lewis, prix et volumes des carburants fossiles dans un monde où l’on viserait la limite de + 2°C et dans un monde où l’on poursuivrait la tendance actuelle. D’après l’expert, cela représente pour les deux décennies qui viennent des pertes de l’ordre de 28 000 milliards de dollars pour les acteurs du fossile: les deux tiers pour les pétroliers, 1/6 pour les gaziers, 1/6 pour les charbonniers. 28 000 milliards de dollars, c’est plus que deux ans de produit intérieur brut (PIB) des Etats-Unis. Sur deux décennies, c’est chaque année plus de la moitié du PIB de la France.

Face à cette question des “stranded assets”, Mark C. Lewis note la “résistance de la plupart des industries fossiles qui n’ont pas encore commencé à changer leur activité”. Mais, pour lui, si dans un monde où l’on vise +2°C maximum de réchauffement global les coûts des énergies fossiles devraient être moins élevés, la perspective inverse d’une augmentation des prix “ne sauve pas” pour autant l’industrie pétrolière. “La réduction des coûts dans les EnR va continuer, la voiture électrique va devenir de plus en plus importante”, avec des pays clés comme la Chine et l’Inde, pronostique-t-il, Si bien que le risque lié aux “stranded assets” va perdurer.

La solution pour bon nombre d’experts seraient de désinvestir du côté des énergies fossiles pour investir durant le même temps dans les énergies renouvelables, de “faire bouger l’intégralité de l’économie”, dit Hugues Chenet, directeur scientifique de 2°C Investing Initiative, un think tank qui a notamment pour objectif d’”aligner les processus d’investissement des institutions financières avec les scénarios climatiques +2°C” et de mettre en place des indicateurs de mesure de performance climatique.

Une « Portfolio Decarbonization Coalition » qui a pour objectif un désinvestissement sur 100 milliards de dollars d’actifs fossiles

C’est également l’option du mouvement Go Fossil Free lancé par l’ONG 350.org, dont la journée internationale de désinvestissement avait également lieu le 13 février (ainsi que le 14) et qui prend de l’ampleur, en particulier dans les universités et les institutions religieuses anglo-saxonnes. « Le mouvement de désinvestissement des énergies fossiles a grandi de manière exponentielle pendant ces deux dernières années, et il se mondialise », indique May Boeve, directrice générale de 350.org. « Des îles du Pacifique à l’Afrique du Sud, des États-Unis à l’Allemagne, les gens se lèvent et défient le pouvoir de l’industrie des énergies fossiles. Nous savons que les énergies fossiles appartiennent au passé et que l’avenir réside dans les énergies propres. »

Depuis son lancement en 2012, le mouvement de désinvestissement a concerné environ 50 milliards d’actifs, surtout dans le pétrole, selon Hugues Chenet. Même si la progression de Go Fossil Free est particulièrement importante, “cela n’influence pas à ce jour la capacité de financement de ces entreprises”, souligne-t-il. Pour Pascal Durand, député européen Europe Ecologie – Les Verts, l’éthique ne suffit pas. “Il faut normer: on a l’arsenal juridique et économique pour privilégier certains investissements sur le long terme”, explique-t-il.

En attendant, pour engager une masse critique d’investisseurs institutionnels à décarboner progressivement leurs portefeuilles, le Programme des Nations-Unies pour l’environnement (PNUE) et son Initiative Finance (UNEP FI) ont créé en compagnie du gestionnaire d’actifs Amundi, du fonds de pension suédois AP4 et de l’organisation à but non lucratif CDP (Carbon Disclosure Project), une Portfolio Décarbonization Coalition qui a pour objectif un désinvestissement sur 100 milliards de dollars d’actifs fossiles.

Si l’on ajoute à cela les mouvements d’actionnaires auprès de géants pétroliers comme BP et Shell pour les sommer d’indiquer quelles sont leurs stratégies de résilience dans les vingt ans qui viennent face à la problématique énergie-climat, les industries fossiles ne peuvent désormais plus sérieusement s’abriter derrière les théories climato-sceptiques  qu’elles ont largement alimentées. Cependant, elles pèsent toujours les 9/10 de la production d’énergie…

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