Avec le retour de la « croissance » et une forte poussée de la production électrique d’origine renouvelable, on pourrait croire que 2017 a été une année positive pour le « développement durable ». Néanmoins, cette croissance a provoqué une nouvelle poussée des émissions de CO2 sans que le bond de l’éolien et du solaire photovoltaïque n’enraye l’augmentation de l’usage ni du pétrole, ni du gaz et ni même du charbon. Explications.
La croissance des émissions de CO2 reste intimement liée à la croissance du PIB, produit intérieur brut. C’est ce que montre un nouveau rapport de l’Agence internationale de l’énergie: « Global Energy & CO2 Status Report 2017 ». Selon ce rapport, en 2017, année de « reprise » de la croissance économique, y compris en France, la demande globale d’énergie a augmenté de 2,1%, plus de deux fois la moyenne des cinq précédentes années (+0,9%/an). Cette augmentation a été satisfaite à 72% par les énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz naturel) contre un quart pour les énergies renouvelables.
Pétrole, gaz et charbon en progrès: 32,5 milliards de tonnes de CO2 émises
Selon les chiffres publiés, la demande de pétrole a augmenté de 1,6% (1,5 million de barils par jour), soit 60% de plus que la croissance moyenne des 10 dernières années (1%). « Une fort développement des SUV (Sport Utility Vehicles) et autres véhicules imposants dans la majorité des économies ainsi que la demande dans la pétrochimie, ont soutenu cette croissance », commente l’Agence internationale de l’énergie.
Bon marché, le gaz a lui bondi de 3%, 80% de cette augmentation provenant de l’industrie et de la construction. Même le charbon, pourtant largement signalé en déclin les années précédentes (-2,3% en 2015, -2,1% en 2016), a progressé de 1% environ. Si son utilisation a continué à baisser dans l’industrie et la construction, elle a en revanche augmenté du côté des centrales électrique à charbon.
En conséquence, l’AIE estime que les émissions mondiales de dioxyde de carbone relatives aux énergies ont atteint le record historique de 32,5 milliards de tonnes en 2017, soit une augmentation de 1,4% par rapport à 2016, ce qui correspond à près d’un demi milliard de tonnes de CO2… « Les efforts actuels pour combattre le changement climatique sont loin d’être suffisants », avoue le directeur exécutif de l’Agence, Fatih Birol. Euphémisme.
Si la majorité des pays ont vu leurs émissions de CO2 augmenter, par exemple ceux de l’Union européenne (+1,6% en moyenne), certains ont cependant connu une baisse, note l’Agence internationale de l’énergie: la Grande-Bretagne (baisse de l’utilisation du charbon, compensée par le gaz et les renouvelables), le Japon (remplacement d’électricité au fioul par de l’électricité fournie par les renouvelables et le nucléaire), le Mexique (déclin de l’utilisation de charbon et de pétrole, optimisation du système énergétique, progression de l’électricité d’origine renouvelable), ou encore les Etats-Unis (-0,5%), du fait du « déploiement élevé des énergies renouvelables » mais aussi du « déclin de la demande », estime l’AIE.
Production électrique: le boom des renouvelables n’empêche pas la progression du charbon et du gaz
Au niveau mondial, la production électrique issue d’énergies renouvelables a grimpé en 2017 de 6,3% dont 36% pour l’éolien, 27% pour le solaire photovoltaïque, 22% pour l’hydraulique, 12% pour les « bioénergies »… A eux seuls, les Etats-Unis et la Chine ont représenté 50% de l’augmentation de la production d’électricité d’origine renouvelable, devant l’Union européenne (8%), l’Inde et le Japon (6% chacun). Dans le même temps, l’électricité générée par le nucléaire, autre énergie estampillée bas-carbone, a atteint 3%, le Japon contribuant à 40% de cette augmentation.
Néanmoins, ayant atteint +3,1% (dont 70% pour la Chine et l’Inde), la hausse de la demande d’électricité a également permis à la production des centrales à charbon (tirée par la Chine, l’Inde, la Corée, le Japon, l’Indonésie…) de progresser de près de 3,5% pendant que l’électricité fournie par les centrales à gaz augmentait de 1,6%.
Au total, même si la part des renouvelables a atteint en 2017 le niveau historique d’un quart de l’électricité produite dans le monde (dont 65% pour l’hydroélectricité), les énergies fossiles en représentent encore les deux tiers. Surtout, en valeur absolue, la hausse de la production électrique a généré une hausse des émissions de CO2, en dépit du bond des renouvelables.
Le rythme global du progrès de l’efficacité énergétique s’est « dramatiquement ralenti » en 2017
D’autre part, les données de ce rapport confirment que les énergies n’ont intrinsèquement pas toutes les mêmes usages et ne sont donc pas forcément interchangeables. En 2017, le pétrole continue ainsi à progresser dans les transports où il reste incontournable, et dans la chimie où il sert également de matière première… Le gaz progresse en particulier dans la construction et l’industrie, où de multiples sources de chaleur intenses sont entre autres massivement nécessaires.
Pour limiter de telles contraintes, la perspective est souvent de parier sur une électrification de l’économie, notamment du parc automobile, avec des énergies renouvelables, en particulier le solaire photovoltaïque. Problème: le rapport de l’AIE montre que la forte poussée de la production électrique des EnR en 2017 n’a donc pas empêché la progression de l’électricité produite dans les centrales à charbon et au gaz. Les usages se sont plus empilés qu’ils ne se sont remplacés les uns les autres…
Enfin, pour l’Agence internationale de l’énergie, il ne fait pas de doute que la hausse de la demande globale d’énergie est en partie consécutive au retour de la croissance économique (+3,7% en 2017), ce qui illustre une nouvelle fois la corrélation entre cette croissance et la croissance des émissions de CO2. Du reste, comme le note l’AIE, l’intensité carbone de l’économie -qui est définie comme le CO2 émis par unité d’énergie consommée- s’est moins rétractée en 2017 qu’en 2016.
Les énergies renouvelables peuvent-elles donc enclencher un véritable « découplage » et permettre d’atteindre une « croissance verte » ? Hormis les limites de l’environnement, qui tendent à faire comprendre que le « développement durable » est un oxymore, quelques limites à cette croyance pointent également leur nez dans le rapport de l’AIE. Celui-ci souligne en effet que le rythme global du progrès de l’efficacité énergétique s’est « dramatiquement ralenti » en 2017, du fait d’un « affaiblissement de l’étendue et de la rigueur des politiques d’efficacité énergétique » et des « prix bas de l’énergie ».
Le « taux de retour énergétique » ou EROEI, vice caché de beaucoup d’energies
En conséquence, l’intensité énergétique mondiale, qui est définie comme l’énergie consommée par point de PIB, n’a baissé que de 1,7% en 2017 contre 2,3% en moyenne entre 2014 et 2016. Toujours selon l’AIE, c’est « deux fois moins que ce qui est nécessaire pour rester sur une trajectoire cohérente avec l’Accord de Paris » sur la lutte contre le réchauffement global. « Comprendre les raisons de ce ralentissement des progrès de l’intensité énergétique est crucial pour appréhender la future direction des émissions globales de carbone », analyse-t-elle.
Outre un contexte de prix bas de l’énergie, avec des subventions à la consommation de carburants fossiles qui restent élevées (260 milliards de dollars en 2016 pour l’AIE), le rapport explique que la zone d’influence des politiques d’efficacité énergétique, concernant 31,5% de la consommation d’énergie finale en 2016, a moins augmenté ces deux dernières années. De plus, les progrès enregistrés en 2017 proviennent principalement selon elle de l’extension de politiques déjà existantes et bien moins de nouvelles politiques concernant des secteurs ou des pays qui ne sont pas encore couverts, Et d’ajouter que la rigueur des politiques énergétiques déjà engagées a seulement progressé de 0,3% en 2016. « Les gouvernements doivent redoubler d’efforts pour adopter une approche stratégique de l’efficacité énergétique, devant être la base des plans de transitions de long terme », alerte le rapport.
Donc, alors qu’il reste sur le papier des efforts colossaux à engager pour atteindre la « neutralité carbone » promise d’ici 30 ans, le chemin de la course à l’efficacité énergétique se révèle dès le départ semé d’embûches… Et en plus, au moins une grosse embûche reste largement ignorée dans les analyses, un peu comme un vice caché: c’est ce que l’on appelle le taux de retour énergétique ou EROEI comme Energy Returned On Energy Invested.
Schématiquement, l’EROEI, c’est le rapport entre l’énergie utilisable à partir d’une source donnée (du pétrole, du charbon, de l’hydraulique, du nucléaire, de l’éolien, du solaire photovoltaïque, etc.) et la quantité d’énergie qui est nécessaire pour parvenir à l’utiliser. Concrètement, si vous devez injecter une unité d’énergie pour en récupérer 100, l’EROEI sera de 100. Vous pourrez bien sûr faire beaucoup plus de choses, donc avoir beaucoup plus de « croissance », que si vous n’en récupérez que 3, 4 ou même 10, toujours pour la même quantité d’énergie injectée. Et logiquement, plus une ressource naturelle comme le pétrole s’épuise plus le taux de retour énergétique va baisser puisque la ressource, devenant progressivement rare et difficile d’accès, nécessitera de plus en plus d’énergie pour être utilisée…
Problème: le charbon, l’énergie la plus fortement émettrice de CO2, affiche généralement un bon taux de retour énergétique…
Par exemple, il est souvent estimé que le pétrole, énergie en plus très concentrée, avait un taux de retour énergétique de l’ordre de 100 au début de son exploitation et de 20 – 30 dans les années 1960. Ce qui a donc rendu possible les Trente Glorieuses, avec des taux de croissance importants pour les différentes activités de la société. Mais aujourd’hui, L’EROEI du pétrole conventionnel serait plus proche de 10-20, tout comme les taux de retour énergétique du nucléaire et de l’éolien (dans les meilleurs des cas). Des taux de retour énergétique largement inférieurs à 10 peuvent également être cités, par exemple pour les sables bitumineux, les huiles de schiste, les agrocarburants (qui peuvent même dans certains cas nécessiter plus d’énergie qu’ils n’en rapportent) mais aussi pour le solaire photovoltaïque, au sujet duquel le débat fait rage… Et d’autant plus que les experts ne se sont pas à ce jour mis d’accord sur le protocole à adopter pour mesurer cette notion de taux de retour énergétique. `
Malgré tout, il est généralement estimé qu’en dessous d’un EROEI d’environ 8 à 12, une société comme la nôtre, avec donc tout son complexe industriel, ses technologies et sa consommation massive, a de plus en plus de mal à fonctionner « normalement »… Et donc finit par se modifier ou s’effondrer. Ce qui résume toute la portée de ces considérations.
Ironie du sort: outre l’hydroélectricité, dont le déploiement reste limité, par exemple en France, par les conditions locales d’implantation, le charbon, l’énergie la plus fortement émettrice de CO2, affiche souvent de bons taux de retour énergétique (souvent de 40 à 80) même s’il convient de les diviser par trois en ce qui concerne la production d’électricité, le rendement d’une centrale étant de l’ordre de 33%… Dit autrement, pour maintenir ou développer leurs activités, bon nombre de pays et d’industriels risquent avoir encore tendance à faire appel à la vieille houille dès que la « croissance » sera là, comme en 2017. Ou dès que le pétrole sera en déplétion marquée, ce qui ne devrait plus trop tarder…
Et si donc on cherchait des issues d’avenir en dehors d’une économie obnubilée par la recherche de croissance ?
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