Prise fin août pour un coût de l’ordre de plus de 400 millions d’euros, la mesure consistant à diminuer de 3 centimes d’euro les taxes de l’Etat et à demander aux distributeurs de carburants de réduire leurs marges de 2-3 centimes, a jusqu’alors permis une baisse à la pompe de l’ordre de 4-5 euros par plein. Elle se poursuivra jusqu’à la fin novembre. Pour la suite, le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, croit à un « dispositif pérenne »… Vous ne rêvez pas ! Quel « dispositif pérenne » SVP ?
Faut-il se réjouir des mesures gouvernementales prises pour « faire baisser le prix de l’essence » ? La réponse est sans conteste « oui » pour le ministre de l’Economie, Pierre Moscovici, indiquant que les résultats sont « extrêmement satisfaisants ». Le recul des prix est de « 7 à 8% », avec une essence revenue plus près des 1,5 euro/l et un gazoil au niveau des 1,40 euro/l. Cette baisse temporaire est stimulée par une diminution de 3 centimes d’euro des taxes, assortie d’une réduction de 2 à 3 centimes des marges de bon nombre de distributeurs. Mais elle est également bien amplifiée par l’actuelle baisse (à court terme) du prix du brut.
Le ministre s’est félicité de la situation début octobre, à l’occasion d’une rencontre avec les pétroliers et professionnels de la filière. Ses interlocuteurs ont eux indiqué que les « efforts » que l’Etat leur a demandés ne pouvaient pas se poursuivre de manière « tenable » plus de 3 mois, notamment parce qu’ils mettent en péril des stations-service… Du reste, selon Pierre Moscovici, ces mesures ne seront maintenues que jusqu’à la fin du mois de novembre, mais seront suivies par un « dispositif pérenne », décidé en collaboration avec « les distributeurs » et « les associations de consommateurs »…
Bercy-Total : qui perd… gagne !
Pierre Moscovici va en fait dans le sens des grandes surfaces qui vendent les carburants à « prix coûtant » pour en faire des produits d’appel et de… Total qui, dans une stratégie de reconquête face à la fermeture de pompes dans son réseau classique, développe, en particulier en ville, son nouveau concept de stations à coût réduit, pour ne pas dire « low coast » : la marque Total Access. Outre la perte d’une cinquantaine de millions d’euros en 3 mois, consécutive à la volonté gouvernementale de faire baisser les prix (à rapprocher des 12,3 milliards d’euros de bénéfices qu’a généré le groupe Total en 2011), le groupe pétrolier aurait donc plus à gagner en reprenant de manière durable des parts sur le marché de la pompe à essence hexagonale.
Il est vrai que Total ne peut que savoir que le prix du pétrole est, d’une manière ou d’une autre, que le veuille ou non chaque consommateur, appelé à poursuivre son actuelle augmentation de long terme. Pierre Moscovici le sait-il lui aussi ? Si ce n’est pas le cas, il s’avère nécessaire que ses experts l’informent. Si c’est le cas, pourquoi donc envoyer un signal plutôt trompeur à la population en lui disant en somme : « Vous voyez, nous pouvons faire baisser le prix de l’essence » ?
L’illusion d’un monde « infini » a la peau dure
La raison de la « promesse de campagne de François Hollande » est-elle suffisante pour comprendre ce que bon nombre de spécialistes qualifient de « non sens » écologique ? Pas forcément. L’illusion de se croire dans un monde « infini » dont les paramètres n’ont besoin ni des limites des ressources naturelles ni de celles de notre écosystème, et qui pense peu ou prou que la « main invisible » de l’économie ou les sauts technologiques, vont régler le problème, a encore la peau dure. Chacun de nous peut le constater quand il s’agit de passer aux actes: passer d’une phase d’explication du « gros souci » du XXIème siècle (raréfaction des ressources vs dérèglement climatique) à une phase du « comment on fait pour s’en sortir », ne peut être fait qu’après avoir intégré une bonne fois pour toute dans son logiciel, la réalité physique de notre monde « limité », « fini », coincé entre d’un côté les profondeurs terrestres et, de l’autre, l’épaisseur de son atmosphère. Problème : intégrer cette réalité nous impose qu’elle prévale ensuite, en dernier ressort, sur toute autre considération, fusse-t-elle sortie de la cuisse d’économistes… Sinon, bonjour les incohérences ! Et la… « tragédie ».
Tragédie des biens communs, tensions, effondrement…
Quand il parle des « biens communs » d’une civilisation, le géonomiste Jared Diamond évoque ce que peut être leur « tragédie ». La « tragédie des biens communs », qu’est-ce ? Lors de l’avènement d’une société, quand un bien commun est abondant, on le récupère en priorité là où il est le plus facile à exploiter, là où il coûte le moins. Si l’on n’y prend pas garde alors que prospère ladite société (dans le progrès et la paix bien sûr), les ressources de ce bien commun vont tôt ou tard se raréfier. Bien avant la panne sèche, on ne pourra plus en prendre autant qu’on le voudrait. Et ça coûtera de plus en plus cher pour une quantité qui finira, elle, par baisser. Si rien ne l’en dissuade ou ne lui permet de trouver une autre voie, la personne qui vit grâce à ce « bien commun » se dira : 1- Pour survivre, je suis condamné à poursuivre ma quête effrénée. 2- Si ce n’est pas moi qui le fais, ce sera le voisin. S’ensuivent « courses à l’échalotte », tensions et au final disparition du bien commun, puis éventuellement effondrement de la société. Actuellement, c’est la tragédie qui menace par exemple les pêcheurs. Et c’est aussi ce type de tragédie que l’on favorise quand on fait croire à chacun que l’on va pouvoir continuer à profiter d’un bien commun en voie de raréfaction sans augmentation de son coût.
Un « dispositif pérenne »: une augmentation progressive du pétrole pour se prémunir des augmentations erratiques
Un bon « dispositif pérenne » concernant le pétrole serait donc d’avouer que finalement, après avoir bien regardé et tourné le problème dans tous les sens, on ne pourra pas empêcher le renchérissement définitif de ce « bien commun »… Que si on laisse faire, version « business as usual », ce renchérissement pourra être violent et volatil, ce que souffle du reste le Centre d’analyse stratégique du Premier ministre… Et que, donc, une solution de moindre impact dans la société, de cohérence avec la « transition énergétique », de dynamisation de la recherche de solutions collectives et personnelles, serait, contrairement à une baisse du prix de l’essence, une… augmentation progressive du prix des énergies fossiles ! Une augmentation annoncée, programmée, planifiée (comme ont proposé depuis plusieurs années l’économiste Alain Grandjean et le consultant « climat » Jean-Marc Jancovici), de manière à ce que personne ne soit pris au dépourvu le moment venu. Et sans empêcher par ailleurs des mesures sociales d’adaptation, notamment en ce qui concerne les déplacements « contraints », trajets domicile-travail en tête.
Alors, faut-il vraiment se féliciter de mesures prises pour favoriser pendant quelques mois une baisse du prix de l’essence de 4-5 euros par plein ? Une affectation du montant de cette mesure, 450 – 500 millions d’euros, dans une action au bénéfice de personnes en situation de « précarité énergétique » (logement, déplacement…) n’aurait-elle pas été une meilleure nouvelle ?