La crise du pétrole, c’est (déjà) maintenant !

Sorte d’aiguillon des orientations gouvernementales, le Centre d’analyse stratégique souligne dans une note les risques d’un pétrole au prix élevé et volatil. Il estime que diminuer notre dépendance aux hydrocarbures, dont la facture d’importation a « directement contribué à la crise de la dette », s’impose « pour la bonne santé de notre économie ». Et, rajoutons-le, pour la bonne santé de la biosphère. Nos ministres ne peuvent donc pas ne pas savoir…

« Vers des prix du pétrole durablement élevés et de plus en plus volatils ». C’est le titre d’une tout récente note du Centre d’analyse stratégique -institution d’expertise placée auprès du premier ministre et dont la mission est « d’éclairer le Gouvernement dans la définition et la mise en oeuvre de ses orientations stratégiques ». Si elle confirme ce que disent déjà bien des spécialistes, cette note estime également nécessaire « de diminuer notre dépendance aux énergies fossiles ». Objectifs: réduire la facture pétrolière et les émissions de gaz à effet de serre, mais aussi « améliorer la résilience de notre économie à un choc pétrolier ».

Evolution de la production mondiale de pétrole, en millions de barils par jour, jusqu’à 2010. Et après ? Document du Shift project.

Plus en détails, le Centre d’analyse stratégique, appelons-le le CAS, décline différents paramètres à risque dans la sphère « pétrole »: « des chiffres stratégiques à prendre avec prudence », « une augmentation des réserves liée à la technologie et à la classification (des réserves) plutôt qu’à de nouvelles découvertes », « le déclin des puits de pétrole brut conventionnel », « le ralentissement des découvertes », « l’entrée en phase de plateau de la production mondiale de pétrole depuis 2006 », la demande de pétrole « tirée par les pays émergents », la Chine surtout …  Et également le potentiel de production à venir de l’Arabie saoudite (pays servant traditionnellement de « stabilisateur des marchés pétroliers »), les éventuels arrêts locaux ou régionaux de production pour cause d’événements géopolitiques ou d’aléas climatiques… La liste est longue, n’est-ce pas ?

Pour un million de barils en moins, 40 dollars en plus par baril

Et quels sont les risques encourus, toujours selon le CAS? Des « tensions entre offres et demandes », voire des « ruptures d’approvisionnement à l’horizon 2015 », et même « un possible déséquilibre massif à partir de 2020 ». Avec en conséquence des augmentations brutales et volatiles. En l’absence de « capacités de production disponibles », il estime l’augmentation de l’or noir à 40 dollars par baril avec un million de barils en moins par jour. On consomme actuellement 82 millions de barils par jour pour un prix de l’ordre de 100 dollars le baril. Un million de barils, ce n’est donc « que » 1,22% de cette consommation. Avec une baisse de moins de 4% côté « production » (3 millions de barils par jour), le prix du baril passerait de 100 à 220 dollars côté « consommation ». Le prix de l’essence franchirait les 2 euros à 180 dollars le baril, celui du gazole les atteindrait à 200 dollars le baril. C’est une estimation de l’ancien Institut français du pétrole (rebaptisé IFP-Energies nouvelles). Une autre étude, cette fois du Fonds monétaire international (FMI), envisage qu’un déclin absolu de l’ordre de 2% conduirait à une « perte mondiale de PIB (produit intérieur brut) chiffrée à 10% sur vingt ans, variable selon les régions »…

Augmentation probable de la production en Caspienne, en Irak, en Lybie…

Les tensions sur les marchés pourraient également remettre en cause la sécurité d’approvisionnement « par une concurrence exacerbée entre pays consommateurs », et « conduire à des difficultés exacerbées au niveau géopolitique ». Et le Centre d’analyse stratégique de citer « la possibilité de risques de conflits » évoquée par les départements de la défense des Etats-Unis et de l’Allemagne.

Face à ces tensions, et mise à part une société « plus sobre en carbone », les alternatives possibles sont « l’augmentation probable de la production en Irak, en Libye et dans la mer Caspienne », le pétrole non conventionnel « au potentiel d’exploitation encore incertain » (pétrole en mer en dessous de 1500 m par exemple dans l’arctique, huiles extra-lourdes au Canada et au Vénézuela, schistes bitumineux…), les biocarburants et les hydrocarbures synthétiques issus du gaz et du charbon… Ce qui a priori n’arrange pas le problème de la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère ! On pourrait y rajouter la proposition d’augmenter de manière progressive et planifiée le prix du pétrole, de manière à ce que chacun le sache et puisse s’adapter, non ?

100 millions de barils par jour vers 2040 ou « déplétion » imminente ?

Autre « petit » problème: pour analyser les réserves pétrolières actuelles et alors qu’il reconnaît que les chiffres du pétrole sont à prendre avec des pincettes, le CAS cite une estimation de BP (anciennement British Petroleum, rebaptisée Beyond Petroleum…), les données de l’Agence internationale de l’énergie, ou encore les prévisions de Total et d’ExxonMobil. BP estime à 46 ans la durée restante d’extraction au rythme de production actuel. L’Agence internationale de l’énergie prévoit un plateau de production pour le brut conventionnel, mais avec une augmentation du pétrole non conventionnel et des liquides de gaz naturel (NGL), pour une production totale de 96,4 millions de barils par jour en 2035. Total prévoit un plafonnement de la production du même ordre, à 95 millions de barils par jour, mais plus rapidement, entre 2020 et 2030. Quant à ExxonMobil, le leader mondial des pétroliers, il pense qu’à peine la moitié du pétrole mondial aura été extrait en 2040 et que la production dépassera alors les 100 millions de barils par jour, grâce à l’off-shore profond…

Superposition des scénarios concernant l’avenir du pétrole. Toutes les expertises ne « collent » pas avec les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie et des supermajors… Document interactif du Shift Project. Cliquez, analysez !


Soit. Mais le CAS n’a a priori pas pensé à toutes les très sérieuses autres études, en particulier celles d’experts, anciens professionnels de firmes pétrolières. Il suffit de regarder la superposition de l’ensemble des diverses projections, ce que donne à voir le Shift Project, organisme présidé par Jean-Marc Jancovici, pour comprendre que moult spécialistes indépendants estiment que la baisse de la production totale d’or noir, la « déplétion » comme ils l’appellent, est bien plus actuelle qu’il n’y paraît du côté de chez les pétroliers. Donc que les problèmes pointés par le Centre d’analyse stratégique pourraient arriver plus vite… Donc que l’urgence, principe de précaution oblige, est encore plus grande.

Une offre stagnante et une demande croissante, ça pique !

Ces experts ne sont-ils pas en plus confortés par les faits? Le Centre d’analyse stratégique indique que les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie « amène à considérer comme très probable l’entrée en phase de plateau de la production mondiale de brut conventionnel depuis 2006 ». Elle note en plus qu’une étude a été menée en 2008, toujours par  l’AIE, sur plus de 800 champs dont 580 ont passé leur pic de production. Conclusion: « Le déclin des champs actuellement exploités ayant passé leur pic est tel, que pour simplement compenser cette baisse et se maintenir au niveau de production actuelle, des capacités additionnelles de 17 millions de barils par jour doivent être découvertes et développées d’ici 2020 ».

Mieux encore. Selon l’étude du FMI citée par le Centre d’analyse stratégique, « les contraintes sont devenues évidentes lorsque la production globale de pétrole brut a commencé à stagner au milieu des années 2000, en plein boom économique ». Et les prix ont donc augmenté jusqu’au fameux pic de 2008 (plus de 140 dollars le barils contre 15 dollars 10 ans plus tôt). « L’analyse économique démontre après coup qu’il était essentiellement dû aux tensions entre une offre stagnante et une demande croissante », relève également la note. Sans compter en plus évidemment la spéculation.

De la crise de la dette à des… restrictions de circulation ?

Le Centre d’analyse stratégique confirme également que le poids de la facture des importations pétrolières -1 milliard de dollars par jour en 2010 pour l’Europe- « a directement contribué à la crise de la dette » du vieux continent. En France, la douloureuse a atteint 49 milliards d’euros en 2011, soit 80% du déficit de la balance du commerce extérieure…

Dans ses conclusions, le CAS considère même « nécessaire de développer un système de réponse d’urgence en cas de crise d’approvisionnement » afin d’être en mesure de « réduire rapidement la demande »: restrictions de circulation, augmentation des fréquences des transports publics… La crise du pétrole, c’est donc déjà maintenant ! …

La note du Centre d’analyse stratégique: Vers des prix du pétrole durablement élevés et de plus en plus volatils.

 

3 réflexions sur « La crise du pétrole, c’est (déjà) maintenant ! »

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