Evoquant une sensibilité climatique de plus de 3 degrés pour un doublement de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, une étude dirigée par le scientifique australien Steven Sherwood, montre la capacité du réchauffement à s’ « auto » renforcer en asséchant la couche d’atmosphère des nuages bas. Cela illustre l’importance pour notre avenir des rétroactions « naturelles » consécutives à nos émissions de gaz à effet de serre.
« On pourrait prendre au moins trois degrés de plus d’ici une cinquantaine d’années ». En ce début 2014, la nouvelle a assombri quelque peu les voeux de bonne année. L’information est consécutive à une étude dirigée par le scientifique australien Steven Sherwood. Réalisée avec deux Français de l’IPSL (Institut Pierre-Simon Laplace, institut de recherche en sciences de l’environnement), Sandrine Bony et Jean-Louis Dufresne, elle a donné lieu à une parution dans la revue Nature.
Sur quoi porte cette étude ? Sur la formation des nuages bas qui (en renvoyant des infrarouges vers l’espace) ont naturellement tendance à refroidir la température au sol, et sur la capacité du réchauffement à « assécher » la couche d’atmosphère de ce type de nuages.
4 ou 5 degrés en plus, c’est juste ce qui nous sépare de la dernière glaciation…
Mettant en évidence l’importance de l’échange de vapeur d’eau entre la basse et la moyenne troposphère tropicale, les scientifiques soulignent que cet échange déshydrate la couche des nuages les plus bas selon un rythme qui augmente quand le climat se réchauffe… Autrement dit, quand ça chauffe trop les nuages bas ont de plus en plus de mal à exister, donc le réchauffement au sol croît encore plus, et ainsi de suite. Selon le résumé de leur étude, ce mécanisme est assez fort pour que l’on obtienne « une sensibilité climatique de plus de 3 degrés pour un doublement du dioxyde de carbone » (la concentration de CO2 dans l’atmosphère était de 280 ppm vers 1850, elle approche à ce jour la moyenne annuelle de 400 ppm). Cela relève certaines données des documents consensuels du GIEC (Groupement intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat): du fait de cette rétroaction « positive », le réchauffement climatique devrait clairement appuyer sur l’accélérateur.
Au-delà des spéculations concernant l’augmentation de température globale moyenne qui pourrait à terme en découler (au moins 3°C d’ici un demi-siècle, plus de 4°C à l’horizon 2100, plus de 8°C à l’horizon 2200…), une telle étude illustre la potentielle ampleur de la gravité de nos émissions massives de gaz à effet de serre, principalement générées par l’utilisation d’énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz). En effet, 4 ou 5 degrés en plus, c’est juste ce qui nous sépare de la dernière glaciation, il y a plus de 10 000 ans. Depuis cette époque, une grande quantité de glace -qui couvrait notamment de plusieurs kilomètres l’Europe du Nord- a fondu. Le niveau de la mer a augmenté de plus de 100 m… Quelles seront donc les conséquences réelles avec 4 ou 5 degrés de plus en un ou deux siècles ?… Un minimum de conscience nous conduit à penser que ça ne pourra être que catastrophique pour nous-mêmes, nos enfants et petits-enfants.
Petit tour des rétroactions du système climatique… ou risques de catastrophes planétaires
Cette étude illustre également l’importance capitale des nombreuses rétroactions du système climatique -entendez risques de catastrophes planétaires- pour notre avenir ainsi que notre relative ignorance et donc notre besoin de connaissances à leurs sujets. C’est du reste pour cela que des scientifiques comme Steven Sherwood y travaillent. Outre les « nuages bas », faisons-en un petit tour (non exhaustif) :
– Les glaces et les manteaux neigeux (dont la réduction entraîne une accélération du réchauffement).
– Les poussières liées à la désertification (dont l’augmentation peut noircir les neiges et accélérer leur fonte).
– Le réchauffement des océans (qui diminue leur capacité d’absorption de CO2, et peut donc accélérer la concentration des gaz à effet de serre dans l’atmosphère).
– Le réchauffement des fonds marins (qui peuvent destabiliser les hydrates de méthane se trouvant sur les marges continentales, et donc booster de manière radicale les émissions de gaz à effet de serre).
– Les sécheresses et canicules (qui peuvent transformer les forêts en sources de gaz à effet de serre).
– Le réchauffement du pergélisol, alias les terres gelées « en permanence » aux hautes latitudes (qui renferment de grande quantité de méthane et peuvent donc en dégelant accélérer les émissions de gaz à effet de serre).
– Le quantité limitée dans l’atmosphère de radicaux hydroxyles (OH) formant le principal puits à méthane (CH4, alias le gaz dit « naturel »), autre gaz à effet de serre très important (cette quantité limitée de radicaux OH conduit à une amplification significative de l’impact des émissions de méthane dans le temps).
– Le dégel de calottes, de glaciers et l’accélération du cycle de l’eau (qui favorisent les apports massifs d’eau douce dans les hautes latitudes de l’Arctique, et peuvent donc freiner voire stopper la plongée des eaux dans les profondeurs océaniques, c’est-à-dire la circulation thermohaline).
C’est bien la capacité du réchauffement à nous détruire qui s’annonce pire…
Enfin, en concluant à un réchauffement accéléré, les résultats de l’étude de Steven Sherwood invitent de facto tout le monde et chacun dans son coin, à adapter les actions à mettre en place pour limiter le réchauffement à 2°C depuis le début de l’ère industrielle, ce qui est l’objectif officiel de la communauté humaine. Car, sauf si la machine Terre est déjà emballée, ce sont bien nos actions et nos actions seules (ou notre inaction) qui permettront (ou non) de ne pas doubler la concentration de CO2 dans l’atmosphère terrestre.
Avec cette nouvelle étude, ce n’est donc pas le réchauffement qui s’annonce pire que prévu (un peu comme un truc bizarre contre lequel on ne pourrait rien…), mais c’est bien plutôt sa capacité à nous détruire si nous ne faisons pas ce qu’il faut pour sortir le plus rapidement possible des énergies fossiles.
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