L’agence américaine NOAA estime que la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère (dioxyde de carbone, méthane, protoxyde d’azote, halocarbures) a atteint l’an passé 500 parties par million en équivalent CO2. Les chances de limiter le réchauffement à +1,5°C fondent en dessous de 30%. Et au rythme actuel, celles de le limiter à + 2°C passeront inévitablement sous la barre des 50% dans quelques années, à 530 ppm équivalent CO2.
L’index annuel des gaz à effet de serre (AGGI) de la National Oceanic and Admospheric Administration (NOAA) le confirme : si l’on ajoute à la concentration atmosphérique de CO2 celles des autres gaz à effet de serre à longue durée de vie que sont le méthane (CH4), le protoxyde d’azote (N2O) et les halocarbures (hydrocarbures halogénés créés par l’industrie pour la réfrigération, les aérosols, les mousses isolantes, les composants d’ordinateurs, les téléphones portables, etc.), alors la barre de 500 parties par million équivalents CO2 a été atteinte en 2019. Avec une augmentation annuelle de l’ordre de +3 à +5 ppm par an depuis une dizaine d’années, cette barre plus que symbolique va donc être clairement dépassée cette année. Et ce n’est pas la crise Covid-19 qui y changera quelque chose.
Méthane, protoxyde d’azote, halocarbures: petites concentrations, gros effets
Pour obtenir cette évaluation, les scientifiques ajoutent à la concentration de dioxyde de carbone (410 ppm pris en considération en 2019) l’équivalent CO2 que représente sur un siècle la concentration des principaux autres gaz à effet de serre persistants, beaucoup plus puissants que le CO2 à quantité égale.
Ainsi, même si leurs taux dans l’atmosphère augmentent en même temps celui du CO2, le méthane (issu naturellement des zones humides, des océans ou encore des termitières, mais également de l’exploitation des énergies fossiles, de l’élevage bovin, des rizières, des décharges, de la combustion de la biomasse et des biocarburants) et le protoxyde d’azote (issu naturellement des sols, des océans et de l’atmosphère, mais également de l’agriculture, des énergies fossiles et procédés industriels) ne représentent que des concentrations mesurées en parties par milliard (ppb) et non en parties par million: 1870 ppb pour le méthane, plus de 330 ppb pour le protoxyde d’azote, soit respectivement 1,87 ppm et 0,33 ppm !
Les concentrations des halocarbures (CFC comme chlorofluorocarbures, HFC comme hydrofluorocarbures, ou encore HCFC comme hydrochlorofluorocarbures) sont encore plus réduites: 0,5 ppb pour le CFC12, le plus présent d’entre eux, un peu plus de 0,2 ppb pour le HCFC22 et le CFC11, 0,1 ppb pour le HFC134a…
Cependant, les puissances de tous ces gaz à effet de serre sont telles (plus de 30 fois la puissance du CO2 pour le méthane sur une durée de 100 ans, 300 fois pour le protoxyde d’azote, et jusqu’à des milliers de fois pour certains halocarbures) qu’elles leur permettent d’avoir une réelle capacité à réchauffer la surface terrestre, ce que les scientifiques mesurent par le biais de la notion de forçage radiatif, différence entre l’énergie reçue et l’énergie émise par le système climatique terrestre.
Forçage radiatif de la Terre: + 45 % en 30 ans !
Ainsi, les forçages radiatifs « réchauffants » attribués aux concentrations atmosphériques actuelles de protoxyde d’azote et de méthane représentent respectivement environ 10 % et 25% du forçage du CO2. Et encore, le forçage radiatif prenant en compte tous les effet des réactions chimiques issues des émissions de méthane est bien plus important que le forçage radiatif relatif à sa simple concentration atmosphérique, environ deux fois plus selon les données du GIEC. Tous rassemblés, les halocarbures représentent pour leur part plus de 15% du forçage du CO2. Au total, les effets directs sur le réchauffement du méthane, du protoxyde d’azote et des halocarbures représentent donc pas moins de la moitié de l’effet du CO2 seul, selon NOAA.
Rappelons à ce stade que la vapeur d’eau, gaz à effet de serre le plus abondant, responsable de 60% de l’effet de serre par temps clair, n’est pas prise en compte dans cet index AGGI. En effet, contrairement aux gaz à effet de serre à longue durée de vie, la vapeur d’eau reste seulement dans l’atmosphère quelques jours ou semaines avant de retomber sous forme de précipitations. De plus, sa concentration dans l’air est le fait de rétroactions liées à la chaleur de l’atmosphère et non directement aux activités humaines. Dit autrement, la vapeur d’eau amplifie le réchauffement planétaire provoqué par les émissions de gaz à effet de serre à longue durée de vie que nous émettons.
Ne prenant donc en compte que les effets directs des gaz à effets de serre persistants, l’AGGI permet néanmoins de mesurer l’évolution dans le temps de leur forçage radiatif sur le système climatique terrestre. Ainsi, il montre que ce forçage s’est accru de 45% en 2019 par rapport à 1990, date du premier rapport de synthèse du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) et date référente pour les politiques de réduction des émissions de gaz à effet de serre. + 45% en 30 ans donc !
Objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C: ignorance ou déni ?
Toujours selon cet index, le forçage radiatif induit par les principaux gaz à effet de serre persistants depuis le début de l’époque préindustrielle, c’est-à-dire depuis environ 1750, dépasse 3 watts par mètre carré depuis 2015. Et si le bilan du dernier rapport de synthèse du GIEC (datant de 2013) n’arrive de son côté qu’à un forçage anthropogénique de l’ordre de 2,3 W/m2, ce n’est que parce que le bilan des aérosols que nous émettons (c’est-à-dire de nos pollutions atmosphériques) et de leurs effets dans l’atmosphère et sur les nuages est lui plutôt « refroidissant », à l’exception notoire du black carbon, suie émise lors des réactions de combustion.
Or, le scénario du GIEC le plus susceptible de respecter l’objectif de limiter le réchauffement à +2°C depuis les temps préindustriels (RCP 2,6), prévoit un pic à environ… 3 W/m2 d’ici… le milieu du siècle. Sauf à vouloir camoufler éternellement le réchauffement par de la pollution (ce que certains scientifiques envisagent sérieusement dans la stratosphère), nous y sommes donc. Mais les chances d’atteindre cet objectif passeront clairement en dessous de 50% quand la concentration de gaz à effet de serre passera au dessus de 530 ppm équivalent CO2. Au rythme actuel, cette barre sera franchie dans 6 à 10 ans.
Quant à l’objectif de limiter le réchauffement à +1,5°C, les chances d’y parvenir fondent déjà à moins de 30%, toujours selon les données du GIEC… Autant dire que brandir encore cet objectif relève soit de l’ignorance, soit du déni. Et cela d’autant plus que l’on sait que les chances de l’atteindre ne peuvent que continuer à se réduire encore un moment, quoi que l’on fasse….
En effet, la concentration de CO2, qui reste prépondérante par rapport aux autres gaz à effet de serre persistants, continuera forcément d’augmenter tant que les émissions humaines n’auront pas été au moins divisées par deux, et plus précisément tant qu’elle ne seront pas inférieures à ce que peuvent absorber les océans et les écosystèmes terrestres. On appelle cela la « neutralité CO2 » ou carbone. A ce jour celle-ci n’est pas envisagée avant 2050 au niveau planétaire…
A titre de comparaison, la crise Covid-19 n’a pour sa part provoqué qu’une baisse très temporaire de l’ordre de 25 % de la demande d’énergie dans les pays en confinement total. Il aurait fallu que cet effet soit au moins deux fois plus intense et surtout qu’il devienne définitif pour, éventuellement, stopper l’augmentation de la concentration de CO2…
»La concentration de gaz à effet de serre passera au dessus de 530 ppm équivalent CO2 et au rythme actuel, cette barre sera franchie dans 6 à 10 ans. » Oui certainement, et cela ne tient possiblement pas compte des émissions en croissance de CO2 et de méthane provenant de la fonte du permafrost sibérien et canadien, autant terrestre que océanique. En conséquence, la civilisation humaine se dirige inéluctablement vers une forme de »pandémie » climatique irréversible.