COP 20 à Lima: un “accord” qui favorise un réchauffement de… plus de 2°C

Avec un accord que l’on peut qualifier d’indigent, la conférence des Nations-Unies sur le climat de Lima fait fondre l’espoir de contenir le réchauffement en deçà d’un niveau considéré comme dangereux pour la civilisation humaine. L’avenir de l’humanité ne vaudrait-il pas au moins autant que le business du pétrole, du charbon et du gaz ?

Même les graffs de ce qu'il reste du mur de Berlin commencent à ne plus y croire. ©VR

Même les graffs de ce qu’il reste du mur de Berlin commencent à être usés… ©VR

On peut toujours se rassurer en parlant d’accord “a minima”, en évoquant un brouillon d’accord pour l’année prochaine, en s’auto-satisfaisant d’une “bonne base de travail”, en trouvant des points de consensus positifs, ou en soulignant, comme le fait le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qu’il y a 195 états à mettre d’accord et que “s’il n’y avait pas eu d’accord ici dans la COP20, à Lima, cela aurait été très très très très difficile de réussir à Paris”. Mais, sur le fond, a-t-on vraiment avancé lors de cette 20ème Conférence des Nation-Unies sur le climat dans la capitale péruvienne ? Force est de reconnaître que la réponse est non.

Les négociateurs ont échoué concernant le caractère juridiquement contraignant de l’accord et concernant la mise en place d’un cadre apte à favoriser la limitation du réchauffement à +2°C

En effet, quel était l’apha et l’omega de ces négociations ? Mettre en place les fondations nécessaires pour qu’à Paris, l’an prochain, les négociateurs puissent se mettre d’accord sur un accord universel contraignant permettant de limiter à +2°C, voire +1,5°C, le réchauffement global en cours par rapport aux niveaux de température préindustriels – une limite jugée dangereuse par les scientifiques pour le système climatique, c’est-à-dire pour l’avenir même de l’humanité et par conséquent pour la civilisation humaine.

Or, à l’issue de la conférence de Lima, si l’on peut encore en effet envisager un accord universel l’an prochain, les négociateurs ont néanmoins échoué primo en ce qui concerne le caractère juridiquement contraignant de l’accord, et secundo en ce qui concerne la mise en place d’un cadre apte à favoriser le placement de l’humanité sur la trajectoire des +2°C. Du reste, le côté “obligatoire” de l’accord et les “+2°C” sont désormais bien moins présents dans les commentaires qu’au mois de novembre.

Selon les scientifiques du Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution, du climat (GIEC), se placer sur une trajectoire de +2°C nécessite, maintenant qu’on a déjà beaucoup attendu, des efforts de l’ordre d’une réduction moyenne mondiale des émissions de gaz à effet de serre de plus de 40% à plus de 70 % en 2050 par rapport à 2010, en n’oubliant pas qu’ensuite le but sera de viser zéro émission voire même des émissions “négatives” en fin de siècle.

Peut-on en demander plus à une conférence censée travailler sur l’arrêt de mort des énergies fossiles alors que de multiples lobbies qui se promènent aux alentours évoluent dans le business du pétrole, du charbon ou du gaz ?

Pour donner une garantie, il aurait fallu que l’accord de Lima intègre d’une manière ou d’une autre le fait, également fourni par le GIEC, que tous les pays de la planète ne peuvent plus émettre que 1000 milliards de tonnes de CO2 avant de sortir définitivement des énergies fossiles, et que le problème revient donc à se distribuer équitablement des quotas.

Résultat de la conférence de Lima: Pour ceux qui seront prêts à le faire, les Etats remettront leur objectifs de réduction d’émissions d’ici la fin mars, mais sans nulle obligation que ces engagements soient au niveau requis par une trajectoire de + 2°C et sans mécanisme d’évaluation. Ce qui n’empêche pas le texte adopté d’envisager la possibilité de viser une sortie des énergies fossiles dans la deuxième partie du siècle… Moralité: les données chiffrées du GIEC ne serviront pas forcément de base de travail pour chaque pays. Leur utilisation ne dépendra que de la seule bonne volonté de chacun…

Question: peut-on vraiment en demander plus à une conférence censée travailler sur la programmation de l’arrêt de mort des énergies fossiles alors que de multiples lobbies qui se promènent aux alentours évoluent peu ou prou dans le business du pétrole, du charbon ou du gaz, et/ou favorisent les business de l’ingénierie climatique, notamment le captage et stockage du CO2, et les mécanismes de compensation carbone de type REDD (réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des sols) ? La question est posée.

Le rapport de l’ONU qui récapitulera toutes les promesses de contributions est prévu pour le début du mois de novembre 2015,  soit seulement un mois avant la Conférence de Paris

Devant aller au-delà des efforts déjà en place, les propositions de chaque pays pourront inclure des informations sur le calendrier de l’engagement, l’année de référence des calculs, la méthodologie… mais sans que l’on sache si les engagements doivent viser 2025 ou 2030. Ce qui, en l’état, ne faciliterait pas l’agrégation des données, donc la clarté du résultat global.

Les contributions des pays pourront par ailleurs concerner à la fois l’atténuation du réchauffement global et l’adaptation aux changements climatiques, tout en respectant les principes de “responsabilité commune mais différenciée” et de “capacités respectives” entre les pays riches, qui doivent “montrer l’exemple” et assister les plus vulnérables, et les pays en développement, soutenus par la Chine. Dit autrement, les pays riches doivent renforcer leurs objectifs pour pallier les capacités moindres des plus pauvres.

En plus, le rapport de l’ONU qui récapitulera toutes les promesses de contribution est prévu pour le début du mois de novembre 2015, et non plus pour juillet, soit seulement un mois avant la Conférence de Paris, ce qui limitera toute tentative ultérieure de progression. Quant au caractère “juridiquement contraignant” de l’accord, il est clairement repoussé par les Etats-Unis. Pour eux, un tel accord signifierait qu’il devrait être approuvé par le Congrès américain, ce qui est particulièrement improbable avec une majorité républicaine toujours teintée de climato-scepticisme.

Par ailleurs, à part des promesses de dialogue et une invitation à ratifier l’amendement de Doha au protocole de Kyoto, la Conférence de Lima n’apporte rien concernant les moyens à mettre en oeuvre pour ralentir dès maintenant l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre, sans attendre 2020, date d’entrée en vigueur de l’accord espéré à Paris. Rappelons que sans mesure supplémentaire d’ici la fin de la décennie, c’est déjà un aiguillage vers la trajectoire d’un réchauffement de +3°C à stabilisation que promet le vice-président du GIEC, Jean Jouzel.

Il serait peut-être également temps que chaque citoyen prenne réellement en main le destin de ses enfants en faisant ce que les gouvernants ont du mal à enclencher:  se désengager progressivement mais volontairement des énergies fossiles, quitte à changer de vie…

Enfin, concernant le Fonds vert qui doit aider les états les plus pauvres et dès maintenant les plus touchés par les phénomènes climatiques liés au réchauffement, près de 30 pays ont jusqu’alors indiqué mettre la main à la poche. Ce qui donne fin 2014 un pactole de plus de 10 milliards de dollars. Il reste néanmoins à savoir comment on va arriver à mobiliser dix fois plus par an d’ici 2020, comme prévu en 2009 par la Conférence de Copenhague. Ce qui dénote bien un manque de volonté des pays les plus riches qui, en des circonstances considérées comme cas de force majeure (crise financière de 2007-2008), ont très bien su trouver des dollars par milliers de milliards… Et des pays riches qui, en plus, subventionnent toujours les énergies fossiles par centaines de milliards de dollar par an. L’avenir menacé de l’Humanité ne serait-il pas un cas de force majeure et ne vaudrait-il pas au moins autant que le business du pétrole, du charbon et du gaz ?

Une autre question est maintenant de savoir ce qu’il va être fait par les gouvernants et négociateurs d’ici un an pour revenir vers un accord universel redonnant un espoir de contenir le réchauffement à +2°C lors de la prochaine conférence de ce type à Paris, ce qu’ambitionne toujours officiellement la France. Comme dit Laurent Fabius, “il reste encore du travail”.

Cependant, devant la succession de déceptions et d’accords indigents voire irresponsables issus de ce genre de grand-messe depuis des années, il serait peut-être également temps que chaque citoyen prenne réellement en main le destin de ses enfants en faisant ce que les gouvernants ont du mal à enclencher: décarboner au maximum sa propre activité, se désengager progressivement mais volontairement des énergies fossiles, quitte à changer de vie…

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