La croissance envisagée du transport aérien est-elle compatible avec une lutte sérieuse contre le bouleversement climatique en cours ? La question est d’autant plus d’actualité que dans son dernier rapport, le GIEC chiffre pour la première fois le rôle des traînées de condensation se transformant en cirrus…
Quelle est la part du transport aérien dans nos émissions globales de gaz à effet de serre ? Cherchez la réponse, vous trouverez régulièrement 2%, par exemple selon l’IFP énergies nouvelles (Ex-Institut français du pétrole) ou encore 2,5% d’après le ministère français de l’Ecologie. L’apparente modestie de ce chiffre permet de laisser croire que ce n’est pas “tant que ça” et que le secteur a le temps de préparer l’avenir, tout en conservant évidemment sa “croissance”. En fait, de telles estimations minorent le rôle des avions dans la problématique des changements climatiques tandis que le kérosène est toujours subventionné et que les émissions internationales des aéronefs restent encore exonérées de système carbone.
Les avions émettent entre deux et trois fois plus de CO2 que la France
Soyons précis: pour 2011, l’Agence internationale de l’énergie (IEA) estime le total des émissions humaines issues des énergies fossiles à 31, 342 milliards de tonnes de CO2, soit plus de 8,5 milliards de tonnes équivalent carbone (du carbone pur en quelque sorte). C’est quasiment trois fois ce que peut “digérer” la Terre avec ses océans et ses écosystèmes terrestres, d’où l’urgence de notre situation. Toujours selon l’IEA, les carburants pour l’aviation représentent 6,4% des produits raffinés, soit 249,34 millions de tonnes par an (300 milliards de litres de kérosène). Une tonne de kérosène émettant environ 845 kg de carbone selon l’expert climat-énergie Jean-Marc Jancovici, les avions ont directement injecté dans l’atmosphère en 2011 environ 211 millions de tonnes d’équivalent carbone, soit 773 millions de tonnes de CO2. Cela fait 2,47% de la quantité mondiale de CO2 anthropique. Par comparaison, la France a émis la même année 328,31 millions de tonnes de CO2, soit « seulement » 42% du CO2 émis par les aéronefs.
Et alors, nous sommes bien à 2,5% direz-vous ! Oui mais voilà: même si les avionneurs en restent généralement à ce stade pour faire leurs comptes “carbone”, le vrai calcul ne s’arrête malheureusement pas là. En effet, avant de se retrouver en kérosène, le pétrole doit être extrait de son puits et puissamment chauffé, ce qui nécessite de l’énergie, donc des émissions supplémentaires de CO2. Du forage au raffinage, on estime généralement que pas moins de 20% du pétrole extrait part en fumée avant de donner du carburant utilisable (si on utilise du pétrole conventionnel, sinon comptez plus). En 2011, le carburant de l’aviation a donc été à l’origine d’environ 3% des émissions anthropiques de CO2.
Ce n’est pas fini. Les quelque 20 000 aéronefs actuellement en état de voler ne diffusent pas que du CO2 dans l’atmosphère. Ils y injectent également de manière directe un peu de méthane (CH4, au décollage et à l’atterrissage) et de protoxyde d’azote (N2O, dans toutes les phases de vol). Ces deux gaz à effet de serre ont des potentiels de réchauffement respectivement 84 et 264 fois plus puissants (sur 20 ans) que celui du CO2. Une étude de 2011 du ministère français de l’Ecologie et de la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) relative aux émissions gazeuses liés au trafic aérien en France, indique par exemple qu’au niveau de l’aéroport de Paris-Roissy-Charles-de-Gaulle, les avions avaient émis en un an, durant les cycles de décollage et d’atterrissage (dits LTO comme landing et take-off), environ 43 et 33,5 tonnes de CH4 et de N2O, soit l’équivalent de 12 500 tonnes de CO2. Ce qui est à préciser même si cela reste très mineur rapporté aux 850 000 tonnes de CO2 larguées au même endroit pendant la même période.
Monoxyde de carbone, COV, SO2, NOx… Ou le réchauffement à l’ozone
En plus du CH4 et du N2O, les avions émettent différents composés: monoxyde de carbone (CO), composés organiques volatils (COV), oxydes d’azote (NOx), dioxyde de soufre (SO2), particules (PM 10, PM2,5)… A Paris-Charles De Gaulle, cela donne pour 2011 selon les chiffres de l’étude DGAC (pour les seuls atterrissages – décollages) environ 3000 tonnes de CO, plus de 800 tonnes de COV, 4300 tonnes de NOx, 270 tonnes de SO2, 135 tonnes de particules… Outre les nuages de pollution, ces émissions participent à la formation d’ozone troposphérique, à la fois un polluant et un gaz à effet de serre.
Les avions émettent également ces composés quand il sont en vol, et à toutes les altitudes. D’après les données de la DGAC, les vols au départ et à destination de Paris-Charles de Gaulle, ont craché dans les airs en 2011, en régime croisière, 700 tonnes de protoxyde d’azote, 2500 tonnes de COV, 5000 tonnes de COV, autant de monoxyde de carbone, 7000 tonnes de dioxyde de soufre, plus de 3 000 tonnes de particules et plus de 50 000 tonnes d’oxydes d’azote, les fameux NOx… Là encore, cela participe au réchauffement au sol par l’intermédiaire de la formation d’ozone.
A la demande de l’Organisation de l’aviation civile internationale, le GIEC (Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a publié dès 1999 une étude spéciale sur “l’aviation et l’atmosphère planétaire”. Les scientifiques y indiquaient que “les émissions de NOx par les aéronefs subsoniques en 1992 ont augmenté les concentrations d’ozone, aux altitudes de croisière dans les moyennes latitudes de l’hémisphère Nord, d’une valeur allant jusqu’à 6% par comparaison avec une atmosphère sans émissions d’aéronefs”. Il s’avère depuis 1992 que l’ozone n’a pas été pris en compte dans les gaz à effet de serre du Protocole de Kyoto et que les émissions de NOx ont environ doublé au niveau d’un aéroport comme Roissy.
Traînée de condensation, formation de cirrus… Ou le réchauffement à la vapeur d’eau
Par ailleurs, le GIEC précisait déjà que “dans la haute troposphère et dans la basse stratosphère, l’ozone augmente normalement par suite des augmentations de NOx”. Mais “aux plus hautes altitudes, les augmentations de NOx, mènent à une diminution de la couche d’ozone stratosphérique”. Dit autrement, les avions stratosphériques sont à proscrire sous peine de risques supplémentaires de destruction de la “couche d’ozone”. qui nous protège des UV du soleil. Pour être complet, indiquons que ces NOx suppriment également un peu de méthane de l’atmosphère. “On estime que la concentration de méthane en 1992 est inférieure de 2% environ à ce qu’elle aurait été dans une atmosphère sans aéronefs”, soulignait le GIEC en 1999, en ajoutant que les projections amènent cette baisse à 5% au mieux en 2050 (à comparer avec la hausse de la concentration de méthane dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle: + 150 %).
Les avions émettent également de la vapeur d’eau qui, elle aussi, est un gaz à effet de serre. Ces émissions provoquent la formation de traînées de condensation qui “tendent à réchauffer la surface de la Terre, de la même façon que de minces couches de nuages en altitude”, selon le GIEC. Ce dernier estimait dès 1999 que “les traînées de condensation linéaires produites par les aéronefs couvraient en 1992 environ 0,1% de la surface de la Terre sur une base de moyenne annuelle, avec des valeurs régionales plus élevées”. Ainsi, “des traînées de condensation ont été observées sous la forme de nuages linéaires par des satellites sur des zones de trafic aérien intense; elles couvraient en moyenne environ 0,5% de l’Europe centrale en 1996 et 1997”. Depuis les années 90, même avec les progrès technologiques, la consommation mondiale de carburant d’aviation a environ doublé.
Si l’on compte tous les gaz à effet de serre, les avions doublent leur potentiel de réchauffement
Toujours en 1999, le GIEC ajoutait qu’”on peut observer de grands développements de cirrus après la formation de traînées de condensation persistantes. Des augmentations de la nébulosité en cirrus (au-delà de celles qui sont identifiées comme des traînées de condensation linéaires) ont été mises en corrélation avec les émissions d’aéronefs”, précisait-il.
Au total, le GIEC estimait que le “forçage radiatif” (réchauffement au sol) dû à l’ensemble des effets disons “annexes” du transport aérien doublait environ le seul effet CO2. Donc, en attribuant aujourd’hui au trafic aérien une part d’environ 6 % du réchauffement global au sol, on serait déjà plus proche de la réalité. D’autant que le dernier rapport du Giec (AR5, Partie 1) a sensiblement accru l’impact sur le réchauffement des traînées de condensation se transformant en cirrus. Alors que seuls les traînées de condensation étaient prises en compte par le précédent rapport AR4 (pour 0,01 watt/M2, avec un maximum de 0,02 watt/M2), l’effet combiné traînées-cirrus est maintenant estimé à 0,05 watt/M2, de 0,02 à 0,15 watt/M2 précisément. Ce qui peut faire encore grimper notre pourcentage. Dans le cas extrême (0,15 watts/M2), la part du transport aérien dans nos émissions de gaz à effet de serre atteindrait même environ 10 %.
Au fait, qui prend l’avion ?
De plus, les gaz à effet de serre issus du transport aérien semblent plutôt naître sous le signe de l’inégalité entre les régions et entre les humains. Dans un pays comme la France, quand on prend en compte les liaisons intérieures ainsi que les liaisons internationales “au départ”, on arrive pour 2011 et pour le seul CO2, à 21,8 millions de tonnes émises, soit environ 6% des émissions nationales de CO2. En tenant compte de tous les gaz à effet de serre, ça fait donc 12% de nos émissions ! Signalons également que ces émissions 2011 étaient en hausse de 4,3 % par rapport à 2010, et de 65% par rapport à 1990, cela pour une croissance du facteur « passagers x kilomètres » de 154%, la France totalisant cette année là environ 145 milliards de « passagers.kilomètres ». Par comparaison, un pays comme l’Algérie en avait environ 4 milliards, 36 fois moins.
D’autre part, si la France affiche nettement plus de « passagers.kilomètres » que la moyenne (elle est au 6e rang mondial pour 2011), cela veut-il dire qu’il y a beaucoup de Français qui prennent l’avion ? On pourrait le croire quand les bilans du secteur affirment sans plaisanter que, dans le monde “2,7 milliards de personnes ont pris l’avion en 2011, soit 5,1 % de plus qu’en 2010”. En guise de “personnes”, il s’agit juste de l’addition de tous les “passagers” des quelques 30 millions de vols programmés chaque année. Faites un aller-retour et vous serez comptés deux fois !
Concernant les Français qui prennent réellement l’avion, une enquête réalisée en 2007 par la DGAC sur l’utilisation du transport aérien, révèle au contraire que la moitié n’est jamais rentrée dans une carlingue et que “18 % de la population a utilisé l’avion au cours des douze derniers mois”. Hormis les personnes qui voyagent à titre professionnel, les deux tiers ont fait un seul voyage sur l’année. En revanche, les voyageurs “pros” (3%) ont en moyenne fait plus de 5 voyages par an, 8% d’entre eux en faisant même plus de 10. Si l’on raisonne géographiquement, 48 % des Parisiens et 35% des Franciliens avaient pris l’avion dans l’année (moins de 20% dans toutes les autres régions). Ce qui peut s’expliquer par la proximité des aéroports de Roissy et d’Orly et ce qui montre au passage les effets que pourrait avoir un nouvel aéroport international du côté de Nantes… Si l’on raisonne maintenant par catégorie socioprofessionnelle, 43% des cadres supérieurs avaient pris l’avion au cours des 12 derniers contre 20% pour les artisans-commerçants, 16 % pour les employés, 9% pour les ouvriers…
Comment tripler le transport aérien d’ici 2050 en divisant par trois les émissions globales de CO2 ?
Alors que la lutte contre les changements climatiques a conduit la France à adopter un “Facteur 4” à l’horizon 2050 (c’est-à-dire diviser par 4 nos émissions d’ici cette date), cette réalité du transport aérien semble donc poser de « légers » soucis d’équité entre pays et entre hommes. Pour rappel, si on tient vraiment compte de tous les gaz à effet de serre, le quota annuel à atteindre en 2050 pour chaque Français équivaut avec les technologies actuelles, à un aller simple Paris – New-York (équivalent à 2500 km en zone urbaine en voiture moyenne).
Les technologies suffiront-elles pour régler le problème ? Difficile de le penser. Des experts comme Alain Garcia, ancien directeur général technique d’Airbus et vice-président de l”Académie de l’air et de l’espace, prévoient un triplement du transport aérien d’ici 2050. En tenant compte bien sûr des progrès technologiques, ils tablent sur une augmentation de “seulement” 60 à 80 % de la demande en carburant par rapport à aujourd’hui. Ce qui signifie une augmentation équivalente des émissions de gaz à effet de serre du transport aérien. Mais dans le même temps, on doit diviser les émissions mondiales par 3 pour rester en deça de 2°C de réchauffement et éviter un emballement du système climatique. Et on doit répartir des quotas à peu près équitable par souci de justice et pour éviter troubles et guerres.
N’y a-t-il donc pas comme un hic ? La bonne question n’est-elle pas de se demander si la croissance annoncée du transport aérien est compatible avec une lutte sérieuse contre le réchauffement climatique ? En tout cas, la réponse est donnée. C’est non.
Merci . Cela devait être dit. Et c’est dit clairement et, je le pense, aussi complètement que possible.
Union Européenne : les vols long-courrier exemptés de permis de CO2 (8/04/2014)
Lors de sa 38e assemblée, l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) a décidé d’adopter, en 2016, un mécanisme de marché mondial sur les émissions de gaz à effet de serre du secteur de l’aviation.
http://www.enerzine.com/1036/17143/union-europeenne—les-vols-long-courrier-exemptes-de-permis-de-co2.html
Bonjour Vincent,
Oui, mais précisons qu’il n’est prévu aucune application avant 2020. En 2016, ce sont les modalités de cet accord qui seront « dévoilées » et les transporteurs veulent que ce « marché carbone » soit spécifique, indépendant du marché carbone commun.
Initialement, Bruxelles souhaitait taxer, dès 2013, toutes les compagnies aériennes sur l’intégralité des vols à destination ou au départ de l’Union européenne. La Commission voulait obliger les transporteurs à compenser 15 % de leurs rejets de CO2 en achetant des quotas d’émissions sur son marché carbone.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2013/10/17/taxe-carbone-le-transport-aerien-s-inquiete-des-projets-de-bruxelles_3497187_3234.html
Les transporteurs aériens n’ont pas accepté. Ils se trouvent aujourd’hui contraints d’appliquer un jour un système carbone mais ils ont surtout réussi à repousser son application et restent donc encore à ce jour exemptés.
Bien à vous,
Vincent
L’avion est un cas difficile à résoudre ! Sa rapidité et sa portée en font un atout économique et de liberté sans précédant. Par contre, si à plus ou moins long termes, il sera finalement assez facile de trouver des substitues décarbonnés dans pleins de domaines : automobile (transports courts en général), chauffage, électricité… L’avion, lui reste ultra dépendant du pétrole ou du gaz et c’est pas prêt de changer.
Aussi, compte tenu de ses atouts, il restera assez incontournable sur les longues distances. Mais franchement, lorsqu’il n’y a pas de mer à traverser ou que les distances sont inférieurs à 2 ou 3000 km. Franchement, on devrait vraiment se poser la question de vrais réseaux des trains à grande vitesse performants !
J’avoue avec une grande honte, aimer prendre l’avion une fois par an pour des vacances, c’est une habitude qui, même pour un convaincu, est difficile à changer !
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Bonjour
Serait-il possible d’avoir une idée des rejets de la navigation maritime ? A vue de nez, je pense que c’est largement supérieur, totalement non contrôlé.
cordialement
Bonjours Yves,
Dans son rapport 2012 sur le transport maritime, l’ONU indique que, selon l’Organisation maritime internationale (OMI), les transports maritimes (concernant pour moitié le pétrole, le gaz et le charbon) ont pu s’élever à 3,3% des émissions 2007, les transports internationaux représentant la même année 2,7% des émissions de CO2, sans grand contrôle en effet. Un début de réglementation (efficacité énergétique des bateaux neufs notamment) est en cours depuis 2013 pour les navires de plus de 400 tonnes.
Par tonne de fret transportée, le transport maritime peut émettre plus ou moins 10 g de carbone sur un kilomètre, le transport aérien entre 100 et 1000 (GIEC).
Bien à vous,
Vincent
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