L’hôte de l’Elysée ne devrait-il pas être « le président qui indique que la planète doit changer de voie, puisque tout nous indique que la voie actuelle conduit à des catastrophes en chaîne » ? La question est d’Edgar Morin.
A quelques encablures du « débat national » sur la « transition énergétique », devant aboutir à une loi de programmation en juin 2013, ausculter la pensée présidentielle est toujours riche en enseignements. La campagne électorale de François Hollande, son discours lors de la conférence environnementale, et même certains actes, peuvent en effet prêter disons à… interprétations divergentes. On n’a donc pas fini de poser la question: qu’entend vraiment le président par « transition énergétique » ? Le passage d’un monde menacé par le dérèglement climatique car sous dépendance des énergies fossiles (plus ou moins 56% de l’énergie primaire consommée en France) à un monde décarboné ? La réduction de la part du nucléaire dans le mix énergétique (38% de l’énergie primaire consommée, même si le pourcentage le plus cité est 75% de l’électricité produite) ? Les deux à la fois ? Ce qui est certain en tout cas, c’est que ces deux options ne sont pas du tout les mêmes. Pour certains spécialistes, la question de leur compatibilité se pose même. D’où l’importance d’un vrai « débat ».
Pour éclairer la « substantifique moelle » du nouveau président sur le sujet, au delà des promesses, des paraboles électorales et de la rhétorique politicienne, une confrontation avec un sociologue comme Edgar Morin s’annonçait forcément prometteuse. D’autant que l’auteur de La Voie, entre autre, pense que la gauche devrait « se régénérer », en particulier en intégrant « la conscience écologique ». Cette confrontation a été réalisée par Nicolas Truong, responsable des pages Débats du quotidien Le Monde et qui s’était déjà illustré en 2007 par un face à face Michel Onfray – Nicolas Sarkozy pour Philosophie magazine. Réalisé avant l’élection présidentielle et mis en ligne début mai sur le site lemonde.fr, l’entretien croisé a donné lieu à un petit ouvrage publié après l’arrivée de François Hollande à l’Elysée : « Dialogue sur la politique, la gauche et la crise ». Il s’agit en fait d’une version revue et rallongée du texte disponible sur internet.
Le président votera-t-il Edgar Morin ?
-1er constat. Sauf à l’inclure dans la question « écologique », la question « climatique » brille dans le livre par son absence. Son « pendant », la question « énergétique », est quant à elle présente, mais pas forcément de manière centrale.
-2ème constat. Si Edgar Morin cite clairement l’écologie comme « source » récente de la gauche (avec le libertarisme, le communisme et le socialisme), François Hollande ne rebondit pas sur cette « nouveauté ».
-3ème constat. François Hollande souligne que sa responsabilité est « d’être le président de la sortie de crise », ce qui suppose « une transition économique, énergétique, écologique –générationnelle aussi- qui permette à la jeunesse d’accomplir son propre destin ». Il reste à préciser la logique qui va tracter cette « transition ».
–4ème constat. Estimant nécessaire de dépasser l’alternative croissance/décroissance, Edgar Morin pose la question centrale (en soufflant la réponse): « Ne faut-il pas rompre avec le mythe de la croissance à l’infini ? » François Hollande ne répond pas à cette question. S’il indique (sans les nommer) que des secteurs « doivent décroître » parce qu’ils sont « sources de gaspillage », il affirme: « Je suis pour un niveau plus élevé de croissance, même si nous savons bien que la tendance pour les dix prochaines années est au mieux de retrouver 2 ou 2,5 points de croissance ». Il veut notamment « donner à cette croissance » un contenu « en écologie ».
-5ème constat. Selon François Hollande, le politique doit intervenir pour « fonder la concurrence sur des normes environnementales et sociales ». Et il faut selon lui « reconnecter la finance à l’économie réelle ». Pour Edgar Morin, « une grande politique économique comporterait la suppression de la toute-puissance de la finance spéculative tout en sauvegardant le caractère concurrentiel du marché ».
-6ème constat. C’est plus Edgar Morin que François Hollande qui semble dans cet ouvrage décliner un programme « éco » compatible, comme s’il voulait jouer l’aiguillon. C’est vrai pour les activités devant « décroître » : « L’économie créatrice de besoins artificiels, du futile, du jetable, du nuisible, du gaspillage, du destructeur ». C’est vrai concernant « une action éducative sur les intoxications et addictions consuméristes » (qui favoriserait « la qualité de la vie et la santé des personnes »), la prohibition conjointe des « multiples produits soit jetables, soit à obsolescence programmée » (qui favoriserait « les artisanats de réparation »), « une grande politique de réhumanisation des villes » (qui favoriserait « les transports publics et la piétonisation », la « réinstallation des commerces de proximité »). Et c’est encore vrai concernant une « politique de la France rurale » pour faire « régresser l’agriculture et l’élevage industrialisés devenant nocifs pour les sols, les eaux, les consommateurs ». Une politique qui « revitaliserait les campagnes en les repeuplant d’une nouvelle paysannerie, en y réimplantant bureaux de poste et dispensaires locaux », qui « inciterait à réinstaller dans les villages boulangeries-épiceries-buvettes » et « instaurerait l’autonomie vivrière dont nous aurons besoin en cas de grave crise internationale ». Autant de propositions devant en fait permettre de substituer à la logique « du primat du quantitatif, du calcul, de la statistique, des données matérielles », une logique « du qualitatif, des vraies richesses de la vie qui sont dans les relations de compréhension, de solidarité, de respect d’autrui, du développement conjoints des autonomies et des communautés ».
-7ème constat. Edgar Morin souligne: « La crise que nous vivons n’est pas seulement économique, c’est une crise de civilisation. Un président doit être capable d’indiquer les directions de salut public, pour que la France retrouve son rôle d’éclaireur ». Pour sortir de cette crise, il faut selon lui « une confluence de réformes multiples ». François Hollande : « Non seulement je veux montrer que cela est possible, mais je vais le faire ».
-8ème constat. François Hollande à Edgar Morin : « Nous maitriserons mieux la consommation, nous réduirons les gaspillages. Vous évoquez une « éducation à la consommation » : consommer mieux pour préserver les ressources terrestres, dont nous savons désormais qu’elles ne sont pas infinies. Je pense que ce modèle marquera l’esprit des citoyens et changera en profondeur les attitudes et les habitudes de consommation ».
-9ème constat. François Hollande affirme : « En faisant la transition énergétique, nous construisons la France de l’avenir. Cette transition n’est pas indépendante d’un véritable projet de société. La réduction de la part du nucléaire –et non pas son abandon, comme la droite cherche à le faire croire en mentant de façon éhontée- le développement parallèle des énergies renouvelables, la rénovation de l’habitat, toutes ces initiatives doivent nous permettre de bâtir une société de la sobriété et de l’efficacité énergétique ». La question des énergies fossiles et du dérèglement climatique n’est pas immédiatement et nommément citée dans l’évocation de ce « projet de société ».
-10ème constat. Question d’Edgar Morin : « Ne devriez-vous pas être le président qui indique que la planète doit changer de voie, puisque tout nous indique que la voie actuelle conduit à des catastrophes en chaîne ? Ne pourriez-vous être le président qui montre au monde angoissé, désenchanté ou révolté, qu’une autre voie est possible, et que la France est capable d’indiquer cette nouvelle voie, laquelle conduirait à une métamorphose salutaire ? » On ne trouve pas dans l’ouvrage la réponse de François Hollande.
Mais restons optimiste ! Le plus important dans l’action politique est parfois ce que l’on ne dit pas. Ou pas encore…
François Hollande – Edgar Morin. Dialogue sur la politique, la gauche et la crise. Entretien réalisé par Nicolas Truong. Le Monde – Editions de l’Aube. Série « L’Urgence de comprendre ».
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