Un rapport qui est entre les mains des négociateurs « climat » de la prochaine Conférence des Nations-Unies sur les changements climatiques de Paris (COP21, en décembre) suggère qu’il serait par précaution préférable de viser une limite de réchauffement inférieure à 2°C, notamment à cause d’éventuelles rétroactions du système terrestre. Or, selon les données du GIEC, pour avoir une chance sur deux de limiter le réchauffement à environ +1,5°C, soit +0,65°C par rapport à aujourd’hui, il faut laisser environ 90% des combustibles dans le sol. Et nous devons émettre moins de 10 ans de nos émissions actuelles avant d’avoir une société définitivement décarbonée ! L’étau se resserre…
Certains scientifiques comme James Hansen à la NASA le craignent depuis un moment déjà, et le sujet a émaillé la dernière conférence des Nations-Unies sur le climat à Lima, en 2014, et vient d’être remis sur la table par le biais d’un rapport, dans le cadre d’un round de négociations à Bonn en Allemagne, en vue de la COP21 à Paris : la limite des 2°C ne serait pas le meilleur objectif à viser si l’on veut vraiment réduire les risques d’emballement du réchauffement global.
Viser une limite de réchauffement le plus possible en dessous de +2°C
Emanant du dialogue entre experts « climat » issus de divers organismes (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, organisation météorologique mondiale, Hadley Centre, Programme des Nations-Unies pour l’environnement…), ce rapport SED (Structured Expert Dialogue) souligne peu ou prou que même si la science manque encore de précisions concernant les risques supplémentaires entre un réchauffement de 1,5°C et un réchauffement de 2°C, il conviendrait par précaution que l’on vise une limite (ou « ligne de défense » ou encore « zone tampon ») le plus possible en dessous de 2°C.
Les scientifiques estiment qu’un tel objectif réduirait les risques concernant entre autres, l’insécurité alimentaire (par exemple en Afrique), l’extinction d’espèces, l’acidification des océans, ou encore la disparition de systèmes « uniques et menacés » comme les récifs coralliens et maintes parties de la cryosphère, ce qui inclue également le risque de hausse aggravée du niveau de la mer. Ils expliquent notamment que « dans un monde plus chaud de 1,5 °C que dans les temps pré-industriels, nous sommes sur le point de passer à un risque élevé pour les organismes, alors que dans un monde à 2 °C plus chaud que dans les temps pré-industriels, le risque devient élevé pour des écosystèmes complets ». Ils évoquent également l’éventualité que l’on n’ait pas seulement une hausse progressive des effets du réchauffement global mais également certaines évolutions « non-linéaires ».
Eviter les rétroactions qui déclenchent des modifications potentiellement irréversibles du climat
Qu’est-ce à dire ? En fait, une crainte des chercheurs concerne plus généralement les rétroactions du système terrestre, dont l’inertie est très longue. Citons par exemples la réduction des glaces et des manteaux neigeux qui entraîne elle-même une accélération du réchauffement et donc encore plus de réduction des glaces, les sécheresses et canicules qui affaiblissent la capacité des écosystèmes terrestres à capter du CO2, le réchauffement de l’eau de mer qui diminue également la capacité des océans à stocker du dioxyde de carbone, cela favorisant la hausse de la concentration atmosphérique de CO2.
A un certain seuil, ces rétroactions peuvent déclencher des basculements, des modifications potentiellement irréversibles du climat, définitive à l’échelle de la vie d’un homme. Ainsi, les écosystèmes peuvent-ils se mettre à relâcher plus de CO2 qu’ils n’en captent. Ainsi, la fonte du pergélisol ou permafrost (sol continuellement gelé aux hautes latitudes) peut-elle générer un puissant dégazage de gaz à effet de serre par le biais des importantes quantités de méthane que contiennent ces sols, aggravant rapidement le réchauffement global. Ainsi encore la fonte des glaces peut-elle parvenir à un stade où certaines de ces composants se disloquent et donnent naissance à une vaste débâcle d’icebergs qui se mettent à dériver vers le sud, à la rencontre du courant de l’Atlantique Nord, et provoquent au final un refroidissement…
Les leçons de l’histoire de la Terre: des épisodes abruptement chauds et froids
Des basculements abrupts chauds et froids répétés ont déjà eu lieu dans le passé de la Terre. Les paléoclimatologues ont même mis en relation de hautes teneurs en méthane de l’atmosphère (pouvant être provoqué via le dégel du permafrost) et le déclenchement, durant la dernière glaciation, de phases rapides de réchauffement pouvant s’établir en quelques dizaines d’années, appelés événements de Dansgaard-Oeschger, et qui ont eux mêmes provoqué… des phases de refroidissement appelées événements de Heinrich.
Explication de cette « surprise climatique », selon les travaux du chercheur Wallace Broecker : une fois arrivées à un certain niveau de fonte, les glaces se sont effectivement disloquées et ont donné lieu à des débâcles d’icebergs. Dérivant vers le sud, ces icebergs ont fondu, apportant donc un énorme volume d’eau douce à l’océan qui, du coup, a vu sa concentration en sel chuter. Or, c’est sa température et sa concentration en sel de plus en plus élevée par le jeu de l’évaporation, qui permettent au courant de l’Atlantique Nord, issu du Gulf Stream, de monter jusqu’aux mers de Norvège, du Groenland, d’Islande et du Labrador, puis de plonger vers les fonds marins, générant ainsi ce que l’on appelle la circulation thermohaline ou « tapis roulant », régulateur du climat…
Chacune de ces périodes de débâcles d’icebergs a été accompagnée d’« une diminution très nette de la ventilation profonde de l’Atlantique », donc de la circulation thermohaline, et d’un « refroidissement intense » de l’ordre de 5°C, note le climatologue Edouard Bard, même si le « tapis roulant » reprend peu à peu par la suite (1).
Un élémentaire principe de précaution voudrait que l’on vise un objectif de moins de 2°C. Mais qu’est-ce-que cela veut dire viser 1,5°C et non plus 2°C ?
Si l’on prend en compte l’hypothèse du scientifique James Lovelock d’une autorégulation de la Terre, cette capacité à créer un événement froid à partir d’un événement chaud pourrait témoigner d’une sorte de « soupape de sécurité » du système face à un réchauffement brutal, cette soupape n’étant évidemment pas sans conséquences sur les êtres vivants.
Les travaux des scientifiques effectués sur le passé de la Terre tendent également à prouver que le largage massif de méthane dans l’atmosphère peut jouer un rôle d’ « amplificateur de changement » et être à l’origine de perturbations majeures du climat (2), comme lors de l’extinction du Permien il y a 245 millions d’années, ou lors de la crise climatique de la fin du Paléocène il y a 55 millions d’années, crise qui a ensuite permis le développement des mammifères…. et au final de l’homme.
Mais la réalité scientifique que montre le rapport SED de la CCNUCC (3), c’est aussi que les chercheurs ne savent pas exactement à partir de quel moment, dans l’évolution de l’actuel réchauffement global dû à l’activité humaine, extrêmement rapide à l’échelle géologique, ce genre de basculement vers une évolution « non linéaire » devient inévitable du fait de l’inertie du système terrestre. C’est là que la « zone tampon » entre 1,5°C et 2°C prend toute son importance.
Dit autrement, un élémentaire principe de précaution voudrait que l’on vise un objectif de moins de 2°C. Mais qu’est-ce-que cela veut dire viser 1,5°C et non plus 2°C ? Selon ce rapport, les moyens nécessaires pour un scénario à 1,5°C sont les mêmes que pour un scénario à 2°C, mais ils doivent être déployées plus vite, et la demande d’énergie a besoin d’être réduite plus tôt, ce qui implique un coût plus élevé que pour le scénario à 2°C.
La décarbonation, c’est maintenant. Sinon, de plus en plus diront assez vite: maintenant, c’est trop tard !
En terme d’émissions de CO2 à ne pas dépasser, la réponse se trouve dans le dernier rapport de synthèse du GIEC (page 64). Pour avoir 66% de chances de limiter le réchauffement à +2°C, il ne faut plus émettre que 1000 milliards de tonnes de CO2 à partir de 2011. Pour avoir 50% de chances de limiter le réchauffement à + 1,5°C par rapport à l’époque pré-industrielle, il faut n’en émettre que 550 milliards de tonnes, presque deux fois moins (400 milliards de tonnes pour avoir 66% de chances de limiter le réchauffement à +1,5°C). Or, cela représente aujourd’hui moins de 10 ans de nos émissions actuelles, selon les calculs de l’organisme expert, The Carbon Brief.
Comme l’indique également le GIEC, les réserves prouvées de combustibles fossiles sont équivalentes à des émissions de CO2 allant de 3670 à 7100 milliards de tonnes. Il faut donc laisser environ 90 % de ces combustibles fossiles sous terre pour avoir une chance sur deux de ne pas dépasser un réchauffement global de +1,5°C par rapport à l’époque pré-industrielle, c’est-à-dire un réchauffement de l’ordre de + 0,65°C par rapport à la situation de 2012 (+0,85°C).
Enfin, pour parvenir à l’objectif +2°C, il est actuellement prévu un pic des émissions dans les 10 ans, au moins – 50% d’émissions de gaz à effet de serre en 2050, une neutralité carbone entre 2055 et 2070, et zéro émission de gaz à effet de serre entre 2080 et 2100. Pour 1,5°C, ou plutôt pour être le plus près possible de 1,5°C, la gageure est donc d’avancer toutes ces échéances… Ainsi, la baisse des émissions de gaz à effet de serre, c’est maintenant… la décarbonation c’est maintenant ! Sinon, on ne pourra très vite que dire: maintenant, c’est trop tard !
(1) L’Homme face au climat. Ouvrage écrit sous la direction d’Edouard Bard. Odile Jacob, collection Collège de France.
(2) «Le méthane et le destin de la Terre. Les hydrates de méthane, rêche ou cauchemar ?». Gérard Lambert, Jérôme Chappellaz, Jean-Paul Foucher, Gilles Ramstein. EDP-Sciences.
(3) Convention-cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques.
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