Comme tous les ans depuis plus de 60 ans, la concentration de CO2 dans l’atmosphère bat en 2021 un nouveau record en franchissant certaines journées la barre de 420 parties par million (ppm). Selon l’agence américaine NOAA, il faut remonter à il y a 3,6 millions d’années pour trouver une concentration comparable. La température moyenne du globe était alors de 2 degrés plus chaude, le niveau de la mer était plus haut de 24 m, des forêts recouvraient l’Arctique, il faisait très chaud dans l’actuelle Europe… Au rythme actuel, les 450 ppm, concentration qui sonne officiellement le glas de l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à +2°C, seront atteints d’ici une douzaine d’années. En rassemblant tous les gaz à effet de serre, nous sommes même à 504 ppm équivalent CO2. Et nous reculons vers l’Eocène, pourtant à des dizaines de millions d’années de nous. Avec environ 30°C de température moyenne, la Terre ne portait alors aucun glacier…
Battu tous les ans depuis la fin des années 1950, date à laquelle les relevés ont débuté, le record de la concentration moyenne annuelle de CO2 dépassera 420 parties par million (ppm) en 2023, selon la tendance actuelle au laboratoire de référence de Mauna Loa à Hawaï. Cette barre a déjà été franchie une dizaine de fois cette année en moyenne journalière avec un record de 421,36 ppm le 8 avril. Elle a également été atteinte en moyenne hebdomadaire pendant la dernière semaine d’avril (420,01 ppm), et sera forcément franchie l’an prochain en moyenne mensuelle. En effet, les émissions de CO2 dues à notre utilisation de pétrole, de charbon et de gaz, sont très largement supérieures aux capacités d’absorption du CO2 par les océans et les écosystèmes terrestres. Et le dioxyde de carbone s’accumule donc toujours un peu plus chaque année dans l’atmosphère. Il faudrait que nos émissions chutent définitivement d’au moins 50% pour commencer à avoir une chance qu’il en soit autrement.
Ainsi, en 1958, au tout début des mesures, la concentration de CO2 atteignait seulement 317 ppm à Mauna Loa pendant les mois printaniers (saison de pic annuel de concentration de CO2 en raison de l’important repos végétatif hivernal de l’hémisphère nord). Cela était néanmoins déjà un peu supérieur à ce qu’avait connu la Terre au cours du dernier million d’années, durant lequel les concentrations de CO2 oscillaient entre 180 et 280 ppm au fil des glaciations et déglaciations. En moyenne mensuelle, les 320 ppm ont été atteints en mai 1960, les 330 en mai 1972, les 340 en mars 1980, les 350 en mai 1986, les 360 en mai 1993, les 370 en avril 1999, les 380 en avril 2004, les 390 en mai 2009, les 400 en mai 2013, les 410 en avril 2018.
Des « petits degrés » de plus qui modifient radicalement la physionomie de la planète
En un peu plus de 60 ans, nous avons donc rajouté 100 ppm, et à un rythme qui tend à s’accélérer. Au taux actuel de la croissance de la concentration de C02 (environ 2,5 ppm par an), une douzaine d’années suffira pour atteindre 450 ppm. Et 450 ppm, c’est la concentration à ne pas dépasser en… 2100 pour espérer avoir encore une chance sur deux de limiter le réchauffement planétaire à +2°C, selon les données du GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat. Précision: il y a un décalage entre le moment où l’on émet et le moment où ça réchauffe. Le réchauffement actuel de l’ordre de +1,2°C est le résultat des émissions datant d’au moins une dizaine d’années…
Certes, on peut se dire que 420 ou 450 parties par million, cela reste en fait très réduit. En effet, sur une base d’une unité, 50 pourcents équivaut à 0,5 et 450 parties par million à 0,00045… Mais c’est oublier que ce n’est pas parce qu’une molécule est présente en quantité infime dans un milieu ou un corps qu’elle n’a pas un grand effet. Les médicaments comme les poisons sont là pour nous le rappeler. On peut également se dire qu’avec +1°C, +2°C, +3°C ou +4°C, nous arriverons de toute façon nous humains à nous adapter, par exemple avec nos technologies, vu les amplitudes thermiques que l’on connaît en permanence et auxquelles nous faisons face quotidiennement… Mais c’est confondre la météo, qui est le temps que l’on vit au jour le jour, et le climat, qui est une moyenne de toutes les météos sur environ 30 ans.
Comment donc bien interpréter ces données ? A ce jour, l’histoire de la Terre donne la meilleure réponse. Pour retrouver une concentration de CO2 de l’ordre de 420 ppm, il faut changer d’ère géologique, sortir du Quaternaire et remonter au Pliocène moyen, il y a environ 3,6 millions d’années, estime l’agence américaine NOAA, National Oceanic and Admospheric Administration. A cette époque, la température moyenne de la Terre affichait environ 2 degrés de plus qu’aujourd’hui. Même si les continents étaient presque à leur place actuelle, la physionomie de la planète était radicalement différente. Il faisait très chaud dans l’actuelle Europe occidentale et encore plus en allant vers l’équateur. L’océan avançait par de longues échancrures à l’intérieur des terres, la mer Méditerranée remontait profondément la vallée du Rhône. Les eaux étaient torrentielles à la surface du sol. La calotte glaciaire du Groenland n’existait pas et l’Arctique était couvert de forêts. La calotte de l’Antarctique était réduite, à l’ouest comme à l’est. Selon NOAA, le niveau de la mer était supérieur d’environ 24 mètres, ce qui signifie bien sûr que tous les littoraux actuels seraient engloutis.
Il y a 50 millions d’années, l’Eocène: 1000 ppm, 30°C
Rappelons par ailleurs que les activités humaines n’injectent pas que du CO2 dans l’atmosphère. L’élevage, les rizières, les déchets et également l’utilisation d’énergies fossiles émettent du méthane (CH4). L’agriculture, avec notamment l’utilisation d’engrais azotés, diffuse du protoxyde d’azote (N2O). Et les êtres humains ont également inventé des molécules à partir d’hydrocarbures pour la réfrigération, les aérosols, les mousses isolantes ou encore pour des composants d’ordinateurs et de téléphones portables: les halocarbures. Le méthane, 2ème gaz à effet de serre persistant dans l’atmosphère, a lui aussi battu son record de concentration en 2020 (1892 parties par milliard, ppb) avec une augmentation sur un an elle aussi record: environ 15 ppb. Quand on ajoute ces gaz à effet de serre au CO2, on obtient une concentration actuelle de 504 ppm équivalent CO2, selon NOAA.
L’ère géologique du Miocène durant sa période la plus chaude, il y a environ 15 à 17 millions d’années a connu une concentration de CO2 maximum de l’ordre de 500 ppm. La calotte de l’Antarctique n’était pas encore durablement installée. La Méditerranée, qui se formait, avait un climat subtropical. Si on remonte encore un peu le temps, il y a environ 23 à 33 millions d’années, l’Oligocène montre des niveaux de concentrations de CO2 de 500 ppm à 1000 ppm, le niveau que l’on pourrait atteindre en 2100. Et cette période suit l’Eocène, il y a entre 56 et 34 millions d’années, une époque très chaude provoquée par un réchauffement rapide à l’échelle de la planète (plus de 5 degrés en environ 10 000 ans…), dont le coupable serait le méthane. Durant cette période, la concentration de CO2 était de 1000 à 1600 ppm, la température moyenne de la Terre affichait environ 30°C soit une quinzaine de degrés de plus qu’aujourd’hui. Il n’y avait aucune calotte polaire, aucun glacier. On trouvait des palmiers en Antarctique. L’eau pouvait dépasser 40°C sous les tropiques. Le niveau de la mer était des dizaines de mètres plus haut (totalement fondue, la calotte de l’Antarctique correspond à une hausse moyenne de 58 m). La fin de l’Eocène a été marquée par la chute de la concentration de CO2 de 1000 à 500 ppm ainsi que des températures. Nous, nous faisons le contraire.
Réchauffement, fonte des glaciers, acidification, bouleversement des écosystèmes, biodiversité… L’Antarctique au bord du basculement
A ce stade, il convient de rappeler que les actuelles études scientifiques relatives aux calottes du Groenland, de l’Antarctique occidental et du plateau de Totten, en Antarctique oriental, alertent toutes sur le risque croissant de fonte irrémédiable. Irrémédiable, cela veut dire que, même si on stoppait nos émissions de CO2 du jour au lendemain, on est arrivé à un stade où il y en a assez dans l’atmosphère pour que la seule dynamique de fonte, entraînée par des phénomènes comme l’albédo (absorption de chaleur du soleil plus importante par les surface sombres que par les surfaces claires), désintègre ces trois calottes qui représentent une hausse du niveau de la mer de l’ordre de 15 mètres. Et cela sans que les scientifiques ne sachent précisément à quelle vitesse ça va monter. Un nouveau rapport, publié en juin 2021 par le Wilson Center Polar Institute alerte encore plus généralement sur l’imminence des « points de basculement de l’Antarctique », région du globe jusque-là isolée, et leurs conséquences mondiales: hausse des températures océaniques, fonte de calottes glaciaires, acidification des océans, transformation de la répartition géographique des espèces, perte de biodiversité…
Ce rapport pointe également un autre basculement imminent en Antarctique: « les changements dans la séquestration régionale du carbone ». En effet, plus il fait chaud dans l’océan moins celui-ci peut jouer son rôle de pompe à CO2 atmosphérique. Et il en est de même avec les écosystèmes terrestres quand l’air devient trop chaud. Dit autrement, ces éléments naturels qui nous aident depuis environ un siècle à retirer une partie du CO2 que nous émettons, environ la moitié, seront de moins en moins enclins à le faire…
Le réchauffement planétaire remet en cause tout un système économique
Arrivera-t-on donc à ne pas dépasser la barre des 450 ppm de CO2 ? Sur la tendance actuelle, la réponse est clairement négative. En effet, si l’objectif affiché des Nations-Unies est bien de limiter le réchauffement à +2°C (voire +1,5°C, ce qui est désormais largement hors de portée), les états ne savent en fait pas comment y parvenir. Leurs promesses d’engagements, si elles sont toutes tenues, parviennent à un réchauffement d’environ +3°C. Et un rapport publié fin 2018 par le World Ressource Institute a souligné que sur 197 pays signataires de l’Accord de Paris de 2015 sur les 2°C, seulement 17 (de petits émetteurs pour la plupart mis à part le Japon, le Canada et l’Indonésie) avaient lancé des politiques à la hauteur de leurs engagements…
Ce n’est pas une surprise. En effet, le réchauffement planétaire remet en cause tout un système économique, tout un modèle de développement dont le fonctionnement est toujours massivement basé sur les énergies fossiles (malgré le développement important des énergies renouvelables), notamment sur le pétrole pour tous les transports. En 2020, le confinement de la planète dû au Covid a montré que la mise à l’arrêt d’une bonne partie de ce système a fait chuter temporairement les émissions (environ -7%). C’est une chute à peu près comparable qu’il faudrait tous les ans pendant des années, au moins jusqu’en 2030, pour parvenir à respecter les l’Accord de Paris sur le climat…
Comme une fuite en avant…
Changer de modèle de développement, « changer le système » comme le scandent depuis des années les manifestations, ou en préparer un autre (sait-on jamais s’il s’effondre de lui-même !…), semble ainsi la seule issue source d’espoir, bien qu’a priori utopique. Le cœur de ce système est l’argent érigé en instrument de richesse, ce qui favorise notamment l’exploitation sans fin des matières premières de la planète (dont les sources d’énergie fossiles) qui sont pourtant notre véritable capital. En redonnant à l’argent un simple rôle d’échange de biens et services, et en en faisant un moyen de développement collectif plus harmonieux avec la nature et juste entre les êtres humains, alors on commencerait à changer la donne. Mais cela suppose également que chacun d’entre nous, particulièrement dans les pays développés, reconsidère profondément l’approche de sa vie…
Sinon, une autre issue se dessine à l’horizon, celle du système actuel. Elle envisage en particulier d’avoir recours à d’hypothétiques technologies conduisant à la manipulation hasardeuse… de la nature pour tenter d’absorber du CO2 atmosphérique… Et de l’atmosphère pour essayer de limiter le rayonnement lumineux que nous envoie le soleil. Science fiction ? En tout cas, le prochain grand rapport du GIEC, en 2021-2022, doit faire une bonne place à la géo-ingénierie. Comme une fuite en avant…
Bonjour Vincent, en vous lisant, on comprend que la vie sur Terre sera menacée, possiblement bien avant 2100. A part les conséquences néfastes de la combustion du pétrole, du charbon et du gaz qui produisent du CO2, l’agriculture mondiale est une source importante de production d’un autre gaz à effet de serre (oxyde nitreux) par l’utilisation d’engrais azotés dans les champs de culture. La déforestation massive en Amazonie et en Indonésie amplifie le problème en augmentant les surfaces disponibles pour l’agriculture et aussi pour les convertir en pâturage pour des ruminants qui sont des émetteurs de méthane qui est un autre gaz à effet de serre.
Bonjour :les politiques n’anticipe jamais !, il y a très longtemps que le ferroutage aurait dû être mis en place vu le nombre de camions qui circule dans toute l’Europe et qui
participe à la pollution intensif. Cordialement
Bonjour Vincent,
Le bétail est responsable de plus de 23 % des gaz à effet de serre
selon le rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat). Malgré ce chiffre élevé, certaines études affirment que ce pourcentage ne correspond pas à la réalité. Parce qu’il ne tient pas compte du coût supplémentaire de la valeur écologique des écosystèmes qui étaient auparavant occupés par des zones naturelles et qui sont perdus lorsqu’ils sont utilisés pour le bétail, ou pour la production de fourrage et de céréales pour le bétail.
Bonjour Jacques,
Oui bien sûr. Mais l’élevage, l’agriculture ou encore la sylviculture également, ne seraient pas non plus ce qu’ils sont sans les énergies fossiles… Tracteurs, engins divers et grands espaces pour les laisser passer, monocultures, engrais de synthèse, etc.
Bonjour,
Le seul moyen de sauver la planète, serait une politique globale de gestion de la fécondité. 9 milliards puis 15 milliard puis ???.
Mais tous les politiques parlent de croissance, ce qui implique +++naissances .
Des milliers de scientifiques prônent une sous population.
Peut être, pour qu’ils soient écoutés, le monde d ‘aujourd’hui devraient se rallier à leurs causes.
Alain LEBRUN