Un El Nino extrême pour la COP21

Prévue début décembre à Paris, la conférence des Nations-Unies sur le changement climatique (COP21) va coïncider avec un phénomène El Nino fort sinon très fort. Officiellement présent depuis le printemps dans l’Océan Pacifique, ce phénomène aggravant du réchauffement global a déjà commencé à semer ses drames, par exemple en affectant durement les récoltes céréalières en Amérique centrale, où “des centaines de milliers de petits paysans ont perdu une partie ou la totalité de leurs récoltes”, selon la FAO. Et si la tendance actuelle du réchauffement se poursuit, les climatologues promettent un doublement de la fréquence des El Nino extrêmes au XXIème siècle…

Le phénomène climatique El Nino se forme dans l'Océan Pacifique au niveau de l'équateur, à partir d'une eau plus chaude que la normale. Il est ici bien visible. Doc. NOAA

Le phénomène climatique El Nino se forme dans l’Océan Pacifique au niveau de l’équateur, à partir d’une eau plus chaude que la normale. Il est ici bien visible. Doc. NOAA

Alors que le mois d’août 2015 s’annonce une fois de plus comme l’un des mois les plus chauds au niveau mondial depuis que l’on fait des mesures de ce type (1880), le phénomène El Nino qui s’est déclaré en mars devrait pour sa part atteindre un niveau fort à très fort d’ici cet hiver, peu ou prou comme en 1998, selon l’agence américaine NOAA (National Oceanic and atmospheric administration) ou encore le Met Office au Royaume-Uni. Aggravant le réchauffement global, ce phénomène et ses conséquences ne manqueront donc sans doute pas de s’inviter dans les allées de la conférence des Nations-Unies sur le climat, devant rassembler début décembre à Paris, des négociateurs de 195 pays, ces derniers affirmant toujours avoir l’ambition de parvenir à un accord universel pour limiter le réchauffement global dans la limite de +2°C par rapport à l’époque préindustrielle.

“Les baisses de production seront particulièrement marquées au Salvador et au Honduras, deux pays où les pluies irrégulières ont causé la destruction de 60 pour cent du maïs”, selon la FAO

Ayant désormais atteint un niveau classé “moyen”, El Nino a sans attendre déjà commencé a semé la misère, en particulier dans ce que l’on appelle le “couloir sec” de l’Amérique centrale, qui s’étend des plaines du bassin versant du Pacifique jusqu’aux contreforts du Guatemala, du Salvador, du Honduras, du Nicaragua et d’une partie du Costa Rica. Selon l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture -la FAO- la sécheresse prolongée due à El Nino, a retardé les semis, réduit les surfaces cultivées et freiné le développement des cultures, entamant ainsi sérieusement les productions céréalières du Salvador, du Guatemala, du Honduras et du Nicaragua. “Des centaines de milliers de petits paysans ont perdu une partie ou la totalité de leurs récoltes”, estime la FAO.

“Avec 3 millions de tonnes pour toute la sous-région, la récolte de maïs devrait être nettement inférieure à la moyenne et en recul de 8 pour cent environ sur le résultat déjà compromis de l’an dernier”, précise-t-elle. Et d’ajouter: “Les baisses de production seront particulièrement marquées au Salvador et au Honduras, deux pays où les pluies irrégulières ont causé la destruction de 60 pour cent du maïs. Au Salvador, les pertes sont estimées à 28 millions de dollars en semences, engrais, pesticides et préparation des sols. Le Honduras a perdu en outre 80 pour cent de ses cultures de haricots”.

De son côté, “le Guatemala aurait perdu quelque 80 pour cent des récoltes, notamment 55 000 tonnes de maïs et 11 500 tonnes de haricots, touchant plus de 150 000 familles”, toujours selon la FAO. Et au Nicaragua, “50 pour cent des superficies ensemencées totales ont été endommagées, voire la totalité dans les régions les plus touchées du pays”, selon les premières estimations.

“Face aux graves pertes alimentaires, les gouvernements d’El Salvador, du Guatemala, du Honduras et du Nicaragua ont commencé à distribuer des kits agricoles comprenant des semences, des engrais et des pompes d’irrigation, afin d’aider les paysans autant que possible durant la deuxième campagne de semis, actuellement en cours”, poursuit la FAO. Mais, “si les conditions El Niño se prolongent jusqu’en début d’année 2016 comme il est fort probable, la production de la deuxième campagne risque d’être également restreinte”.

Si la tendance actuelle du réchauffement global se poursuit, la fréquence des phénomènes El Nino extrêmes doublera au cours du XXIème siècle

C’est en fait la deuxième année consécutive que la sécheresse affecte les récoltes céréalières de ces pays, 2014 ayant connu des conditions proches d’un El Nino déclaré. Ce phénomène climatique avait même été très clairement envisagé par les scientifiques. Néanmoins, “pour une raison qui reste encore inexpliquée, et alors qu’on avait une masse d’eau chaude jamais vue depuis que l’on fait des relevés (1950), le couplage entre l’Océan Pacifique et l’atmosphère n’a pas eu lieu”, indique Eric Guilyardi, chercheur au Laboratoire d’océanographie et du climat à L’Institut Pierre Simon Laplace. Cette anomalie serait-elle due à certains vents du Pacifique ? A la situation dans l’Océan Indien ? A celle de l’Océan Atlantique ? Et finalement, de manière plus générale, au réchauffement global ? Les climatologues travaillent sur la question.

Ce qui est en revanche certain pour Eric Guilyardi, c’est que si la tendance actuelle du réchauffement global se poursuit, la fréquence des phénomènes El Nino extrêmes, comme celui que l’on va connaître cet hiver, doublera au cours du XXIème siècle, passant d’un El Nino sur 6 à un El Nino sur 3. Depuis l’El Nino extrême de 1998, il y a eu quatre El Nino classés “faibles” à “moyens”.

Phénomène naturel cyclique issu de l’interaction entre les vents et les courants marins, provoquant une inversion de vents et se déclenchant dans le Pacifique au niveau de l’équateur, El Nino (alias l’enfant jésus pour les pêcheurs péruviens qui avec lui voient chuter leurs prises de poissons à l’époque de Noël) a de multiples conséquences régionales et mondiales:

-Arrivée d’une eau plus chaude sur la côte pacifique d’Amérique latine stoppant la remontée (upwelling) des courants profonds riches en nutriments, d’où arrêt de la formation de plancton, d’où chute des quantités de poissons pêchés, d’où crise.

-Mouvement ascendant de la chaleur dans l’atmosphère, celle-ci s’exportant aux hautes latitudes des deux hémisphères, renforçant l’effet du réchauffement global.

-Convection atmosphérique accumulant l’énergie et renforçant les vents d’ouest d’un côté (Pacifique Est), avec pluies diluviennes, inondations, glissements de terrain, destructions, et de l’autre (Pacifique Ouest) sécheresses propices aux incendies, pertes de récoltes, etc.

Dans le cas d’un El Nino fort, on peut notamment s’attendre à de puissantes pluies sur la façade pacifique de l’Amérique du Sud ainsi que sur la Californie, à de la sécheresse pour l’Australie, l’Indonésie, l’Asie du Sud, ou encore à un affaiblissement de la mousson en Inde. Ainsi, d’un côté, ce sont les risques “inondations” et “glissements de terrain” qui augmentent, tandis que de l’autre c’est le risque “incendies” qui s’aggrave. Peu de conséquences météorologiques directes en revanche pour l’Europe où l’on peut seulement envisager un temps plus frais et sec en fin d’hiver, selon Eric Guilyardi.

Enfin, en plus d’un effondrement de l’activité des pêcheries de l’Equateur, du Pérou et du Chili, on peut également craindre une envolée mondiale du prix de certaines denrées agricoles (cacao, café, canne à sucre, huile de palme…), c’est-à-dire la production de base de la zone tropicale. “Au Salvador, au Honduras et au Nicaragua, les prix du maïs ont été sensiblement supérieurs à ceux de l’an dernier – avec des hausses allant jusqu’à 20 pour cent au Honduras”, annonce déjà la FAO.