Il est très significatif dans notre civilisation économiquement mondialisée que ce soit un homme de 93 ans, ancien résistant et déporté, diplomate aux Nations Unies, qui appelle la jeunesse à une insurrection pacifique, qui appelle à la rupture radicale avec notre système du « toujours plus », pour au moins trois motifs d’indignation: l’écart grandissant entre les riches et les pauvres, le recul des droits de l’homme et l’état de la planète.
Il est également très significatif que son petit ouvrage, « Indignez-vous », ait pu connaître un aussi beau succès. Y aurait-il autant de citoyens prêts à entrer en résistance ? Prenant au mot Stéphane Hessel, les lignes qui suivent ont un objectif simple : donner quelques éléments supplémentaires d’indignation et stimuler la réflexion et l’action face à l’avenir que construit notre monde.
Ce monde que l’on nous présente quotidiennement de manière infiniment complexe, insaisissable, serait telle une pieuvre multiforme dont on ne peut plus se dépêtrer, telle une myriade de bulles spéculatives faisant fi de la réalité, tel un vaisseau dont personne ne guide l’avancée, et pouvant assez facilement nous mener à l’effondrement global, au totalitarisme, au néant. Retour à des cases de type 1929, 1933, 1939…
En fait, l’espoir existe bel et bien. Il se cache quelque part au fond de nous-mêmes. Il a même tout pour vivre et progresser, avec simplement comme force originelle une nouvelle étape dans notre conscience collective. Dans la conscience de nous-mêmes et de notre environnement, dans notre conscience de ce qu’est réellement la Terre, notre Terre.
Qu’est-ce à dire ? Au Moyen-Age, l’homme occidental a fini par définitivement remplacer, comme le suggérait depuis des siècles l’astronomie antique, la conception d’une « terre plate » à celle d’une « terre sphérique». Il a fait un autre bond en avant avec Darwin et sa théorie de l’évolution des espèces.
Aujourd’hui, le citoyen a tous les éléments en main pour aller encore plus loin, pour passer d’une conception de « Terre masse minérale accueillant de la vie » à celle d’une « Terre système », d’une « Terre entité vivante », telle que l’a bien sentie depuis plusieurs des dizaines d’années, dans le sillage de Vladimir Vernadsky, un autre de nos nonagénaires, le scientifique britannique ancien de la Nasa, James Lovelock, un temps décrié sinon raillé par les siens, aujourd’hui reconnu et honoré par la communauté scientifique.
L’hypothèse de plus en plus vérifiée est la suivante. S’autorégulant, la Terre possède des aspects d’un être vivant et travaille à maintenir la vie en son sein. Un peu comme, à un degré beaucoup plus simple, la ruche peut être assimilée à un être en soi et non pas à une simple addition d’abeilles.
Pour atteindre ce niveau de conscience de notre planète, ressentir sa vie, il convient de dépasser notre manière classique d’appréhender la science, matière par matière : la géographie à côté de la biologie, les mathématiques à côté de la physique, la chimie à côté de la géologie… Concentrons nous sur les liens entre ces savoirs, sur leurs interdépendances et leurs interactions, au lieu de les faire se regarder, voire s’affronter. Nous avons appris à nous servir du microscope, apprenons à nous servir du macroscope d’un autre ancien, Joël de Rosnay.
Nous commencerons alors à avoir une vue plus large de notre système global, de son fonctionnement. Un système nous paraissant infiniment grand mais un système résolument fini, clairement circonscrit. Nous pourrons alors comprendre, par exemples, pourquoi d’une algue peut naître un nuage, pourquoi d’un rayon de soleil peut émerger la vie, pourquoi de la vie végétale et animale nait la terre nourricière et se compose l’atmosphère, pourquoi les araignées font le plus solide des fils, pourquoi les courants et les vents sont intimement liés à la vie, pourquoi les abeilles « êtres vivants » sont les cellules de la ruche « organisme vivant », et en même temps les cellules « assurance-vie » de la flore, participant elle-même au stockage du CO2 et à la fabrication de la terre, etc.
Dès cet instant, il est certain que le citoyen s’indignera profondément de ce qui est fait aujourd’hui de la planète. Pour lui-même et pour ses enfants dont l’avenir s’obscurcit un peu plus tous les jours.
En effet, bien au-delà des débats stériles sur le temps qu’il fera à Paris ou à New-York en 2080 éloignant en fait le citoyen de la question vitale de notre avenir, que dit finalement notre Terre à nos scientifiques ? Que son atmosphère est une construction des êtres vivants la peuplant, des bactéries aux animaux les plus complexes. Que malgré l’accroissement progressif de la puissance du Soleil et malgré les cycles astronomiques auxquels elle est soumise, la Terre a réussi à maintenir la vie depuis plusieurs milliards d’années, en particulier grâce à un jeu subtil et progressif de modification de la composition de cette atmosphère et de modifications de la forme de cette vie, en y intégrant l’évolution de type darwinienne. Qu’elle a pour cela au moins une arme secrète : un ingénieux enfouissement du méthane et du CO2 dans ses entrailles. Que l’homme depuis plus de 150 ans, avec le charbon puis le pétrole, dégaze ce méthane et ce CO2, comme moult volcans en activité, et s’est même mis à fabriquer ses propres gaz à effet de serre (CFC, HCF, etc). Que ce dégazage est aujourd’hui bien supérieur à la capacité d’absorption, de « digestion » de la Terre, le double environ. Que l’on sait que ce dégazage, même si on pouvait l’arrêter immédiatement et totalement, ce qui est évidemment impossible, va a minima changer sinon bouleverser les différents climats que l’on connaissait jusqu’alors à la surface du globe, c’est-à-dire nos conditions de vie quotidienne et même le fonctionnement de nos corps. Car ces climats régissent alimentation, reproduction, cycles de vie, équilibre des animaux les peuplant, dont nous-mêmes. Que l’on sait également que les effets de ce dégazage seront exponentiels dans le temps, avec des risques de rétroactions particulièrement violentes, à l’échelle de la puissance de la Terre : débâcles polaires, puissantes émissions naturelles de gaz à effet de serre, éradications de forêts, désertifications accélérées, modification des courants océaniques, inondations et tempêtes accrues, éruptions de méthane et d’hydrates de méthane, déstabilisation des sols, tremblements de terre, volcanisme, raz de marée… Apocalypse tomorrow !
Quand le président du GIEC, Rajendra Pachauri, dit que nous avons jusqu’à 2015 pour inverser la tendance, il fait simplement référence à ces effets exponentiels, formant une sorte de tsunami en gestation, à la manière des courbes mathématiques représentant la croissance de nos émissions de gaz à effet de serre et l’évolution actuelle de la température moyenne à la surface de la Terre. Oui, regarde bien ces courbes, citoyen, elles sont ton avenir prochain et celui de tes enfants !
La succession des années très chaudes depuis la fin du XXème siècle et le début du XXIème siècle, ainsi que de phénomènes extrêmes de type inondations et tempêtes, font offices de simples prémices des réponses que va pouvoir apporter la Terre au profond déséquilibre que nous lui imposons dans son fonctionnement intime.
Si nous ne parvenons pas à éviter ces effets exponentiels, le système Terre possède schématiquement, selon James Lovelock et un peu à l’image des plages de température que connaît le chameau, deux options: soit son système ne parvient plus à se stabiliser et s’emballe définitivement et… bonjour Vénus ! Soit il parvient, après une phase chaotique et grâce justement au fait qu’il est « vivant », à se réguler à un autre niveau de « température moyenne », ou plutôt d’équilibre évolutif de fonctionnement.
Malheureusement, ce niveau, quel qu’il soit, a toutes les chances de ne pas convenir à la majorité des êtres vivants peuplant et ayant participé à l’élaboration de l’actuel système de vie de la planète, dont les hommes. Une sixième extinction aboutissant au mieux à un nouveau démarrage en somme…
Savoir si la température moyenne de l’atmosphère à la surface de la Terre va augmenter de 2,5, 3, ou 3,5 °C sur les quelques dizaines d’années qui viennent, n’a donc que trop peu de sens si l’on ne remet pas ces chiffres dans le contexte d’une « Terre système vivant », en intégrant tous les risques potentiels encourus, pour nous-mêmes et nos enfants, dans une perspective plus globale.
Sur ce plan, l’un des problèmes du GIEC -quand on constate que des effets de la crise climatique sont plus rapides ou plus importants qu’initialement prévu, comme le dégel de certaines glaces- est celui-ci: difficile d’intégrer toutes les subtilités de cette Terre « organisme vivant » dans la modélisation de la problématique climatique.
Toujours est-il que, dans une situation de type « business as usual », dans laquelle nous ne maîtrisons pas ces risques, dans laquelle nous ne les regardons même pas en face pour les affronter, dans laquelle 6 milliards d’êtres humains aspirent à une vie occidentale, nous possédons à assez court terme, sans même prendre en compte les autres paramètres pouvant déstabiliser nos sociétés (problèmes économiques, rivalités régionales, crises financières, surexploitation des ressources naturelles….), deux grandes grandes alternatives d’avenir :
1- Un cocktail de risques de guerres, de famines, de maladies, de dictature… dans un environnement de plus en plus hostile et vivant au rythme des catastrophes naturelles. Car il faut le savoir : une Terre avec brutalement deux, trois ou quatre fois moins d’hommes est beaucoup moins nocive pour elle-même. Mais ça, ce serait une issue qui, outre un désastre lié à un ou des phénomènes climatiques extrêmes, pourrait passer par le totalitarisme, la destruction, et pourquoi pas une nouvelle forme de nazisme. « Espace vital », ca vous dit quelque chose ? Ce n’est pas du catastrophisme mais à l’évidence ce serait catastrophique !
2- Une volonté (finissant par être) mondiale de changement radical plaçant l’intérêt général de la planète au dessus de tous les intérêts particuliers, fussent-ils économiques, nationaux ou multinationaux. Parce que les citoyens auront conscience de cette « Terre vivante ». D’une simple évolution de conscience peut vite découler une révolution pacifique, se propageant rapidement, et pouvant faire face à la fois à la problématique climatique et au fossé entre riches et pauvres.
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