Nous vivons dans un monde fini qui s’autorégule et qui maintient la vie depuis plus de 3 milliards d’années: la Terre.
Un scientifique contemporain pourrait se tailler une célébrité comparable à celle d’un Galilée ou d’un Darwin. Pourtant, en France, il reste encore étonnamment inconnu du plus grand nombre. Agé de 94 ans, ce vieil homme est le Britannique James Lovelock. Conseiller auprès de la Nasa, il a recherché de la vie sur la planète Mars en inspectant son atmosphère. Il a inventé différents instruments dont le « détecteur à capture d’électrons », à l’origine de progrès dans notre connaissance de l’environnement : mesure de contamination par les polluants, observation de la « couche » d’ozone…
Surtout, poursuivant le travail du Russe Vladimir Vernadsky (père du concept de biosphère), il a développé depuis plus d’une trentaine d’années une théorie du fonctionnement de la Terre qui révolutionne les sciences du vivant et qui développe l’aspect scientifique de l’histoire de la vie. James Lovelock a choisi de nommer cette approche heuristique « hypothèse Gaïa », un terme controversé, ensuite repris et même « divinisé », version New Age. D’autres préfèrent donc l’appeler « hypothèse biogéochimique ». Appelons là simplement « hypothèse Lovelock ».
Une vision résolument globale, systémique, dynamique
De ses travaux, James Lovelock conclue que la Terre fonctionne comme un corps, comme une entité qui s’auto régule de manière à rester favorable à la vie. Ce qui est fondamental dans cette approche, c’est qu’elle dépasse notre classique approche analytique des choses par une démarche et une vision résolument globale, systémique (1), dynamique.
Expliquons nous. Pour faciliter son étude du monde, l’homme cartésien a découpé en tranches les connaissances : physique, chimie, géologie, biologie, géographie… Et il a beaucoup progressé grâce à ça. L’hypothèse Lovelock permet en fait de passer un nouveau cap dans la connaissance en mettant le projecteur sur les liens qui unissent toutes ces disciplines. Parce qu’un courant marin peut créer la vie, des algues peuvent fabriquer des nuages, des arbres donnent de la terre, du carbone crée de la matière, le minéral nourrit le végétal…
L’atmosphère, véritable construction de la vie terrestre
L’ensemble de ces articulations, de ces connexions, qui restent à découvrir pour la plupart, c’est un peu la toile de la vie, l’internet de nos racines. Une toile qui « commence là où les roches de la croûte terrestre entrent en contact avec le magma incandescent, à environ cent cinquante kilomètres sous la surface et s’étend sur une même distance au dessus de l’océan, traversant l’air jusqu’à la thermosphère, encore plus chaude, en lisière de l’espace interplanétaire » (2). Un monde plus grand que la biosphère mais qui reste fini, avec des limites bien déterminées.
Montrant que les parties animées et inanimées de cet ensemble sont intimement liées, James Lovelock souligne deux choses que l’on devrait apprendre dans toutes les écoles. La première, c’est que la composition chimique de l’atmosphère terrestre, avec notamment son oxygène et son azote, ne serait pas ce qu’elle est sans la vie en surface. Véritable construction de la vie terrestre, elle agit selon lui comme une protection, à la manière de la fourrure ou des plumes qui protègent l’animal.
La Terre a adapté son climat et sa chimie de façon à rester propice à la vie
La seconde observation que l’on devrait toujours avoir en tête, c’est que la vie se maintient depuis plus de 3,5 milliards d’années alors que l’émission d’énergie du soleil a augmenté de plus de 30%. Comment expliquer une telle permanence avec un tel changement ? C’est de cette question que vient l’hypothèse du scientifique : comme une machine autorégulée, la Terre a adapté son climat et sa chimie de façon à rester propice à la vie, même si celle-ci a pris des formes bien différentes selon les conditions du moment – atmosphère chargée en méthane, apparition de l’oxygène, etc.
En quelque sorte, la Terre serait donc elle-même un corps vivant. James Lovelock explique que des extra-terrestres qui l’observeraient de loin avec des appareils adaptés, pourraient découvrir cela par la seule étude de son atmosphère, sans avoir ni à atterrir, ni même à s’approcher. Tous les hommes qui sont allés dans l’espace sont à chaque fois revenus fascinés par la beauté révélatrice de ce corps céleste. De là haut, on pourrait même animer la vie de la Terre en empilant les images du globe au fil des saisons : outre les nuances de couleurs, on y verrait les pôles grossir et se rétracter comme les lobes de poumons. Tous les poètes ressentiront cette vie.
Un équilibre dynamique en perpétuelle évolution
Et comment ferait la Terre pour limiter, distribuer et réguler cette chaleur solaire en constante augmentation ? Elle renvoie des rayons vers l’atmosphère, elle stocke du carbone sous terre et dans les mers, elle fait fonctionner ses courants, ses vents et ses pluies, elle se sert de sa forme circulaire, de ses variations géographiques, de ses couleurs, de ses végétaux, de ses animaux, de ses bactéries et de toutes les molécules émises par son monde. L’ensemble de ces éléments en interaction permanente, assure l’équilibre dynamique en perpétuelle évolution de la Terre, son homéostasie selon le terme scientifique consacré.
Quand James Lovelock a présenté son hypothèse dans les années 70-80, les visions que l’on avait des roches, des mers, de l’atmosphère, des êtres vivants, de l’activité humaine, étaient autant cloisonnés que les disciplines qui les enseignaient. Pas question non plus d’attribuer une influence de la vie terrestre sur l’atmosphère. A l’instar de la théorie de Darwin, l’hypothèse Lovelock a été très fraîchement accueillie dans le monde scientifique. Pourtant, depuis 30 ans, rien n’est sérieusement venu la contredire, bien au contraire. Elle est aujourd’hui beaucoup mieux reconnue, en particulier par les scientifiques travaillant sur les problématiques climatiques.
Une autre manière de comprendre le « réchauffement global »
Surtout, à travers ce schéma de pensée révolutionnaire, un phénomène comme l’accumulation continue de gaz à effet de serre (CO2, méthane, protoxyde d’azote…) dans l’atmosphère prend tout son sens : bien au-delà du « réchauffement global », c’est l’équilibre même du système Terre qui est en jeu. James Lovelock fait une analogie avec le chameau : cet animal fascinant est capable de changer rapidement sa température intérieure pour s’adapter au chaud et au froid. Question : comme le chameau, la Terre va-elle partir à la recherche d’une nouvelle température d’équilibre qui, contrairement à ce que nous connaissons depuis des dizaines de milliers d’années, ne nous sera plus favorable ?
(1) Voir également à ce propos Le Macroscoque, Joël de Rosnay.
(2) James Lovelock, La revanche de Gaïa.
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