Refroidissement généralisé, saison des neiges étendue, renforcement des tempêtes littorales hivernales, baisse du débit des fleuves, chute de la production végétale et des récoltes, banquise approchant au printemps la Grande-Bretagne… Tels sont quelques impacts qui frapperaient l’Europe en cas d’effondrement de la plongée des eaux dans l’Atlantique Nord, système de courants assurant jusqu’alors la douceur de notre climat océanique.
AMOC. Acronyme anglais d’Atlantic meridional overturning circulation (ou en français circulation méridienne de retournement Atlantique), ce terme est bien moins évocateur et poétique que celui de Gulf Stream. Il procède néanmoins de la même mécanique terrestre, celle que les scientifiques schématisent par un « tapis roulant » de courants marins qui fait circuler à travers les océans de l’énergie du Soleil reçue en abondance entre les tropiques, du carbone issu du CO2 atmosphérique, ou encore des minéraux favorables à l’éclosion de la vie.
Un système qui assure la douceur de notre climat océanique
Egalement évoquée sous le nom de circulation thermohaline, l’AMOC représente l’eau qui plonge dans le nord de l’Océan Atlantique sous l’effet notamment de sa température et de sa teneur en sel. En effet, au fur et à mesure de son voyage, l’eau chaude issue du Gulf Stream s’évapore et ainsi son taux en sel augmente. Sa densité se renforce encore avec la baisse de la température. Arrivée dans le Grand Nord, près de la formation des glaces, cette eau de surface peut ainsi devenir plus lourde que les couches d’eau inférieures. Alors, elle plonge et emporte avec elle du CO2. Elle crée également un lent courant profond qui se chargera de nutriments pour stimuler les efflorescences, grâce à la photosynthèse, quand cette eau reviendra en surface, bien plus tard et bien loin de là.
Malheureusement, en réduisant la teneur en sel de l’eau et en facilitant la formation de glace, l’afflux d’eau douce consécutive à la fonte des glaces provoquée dans l’Arctique par le réchauffement anthropique de l’atmosphère, menace l’équilibre de cet impressionnant système assurant jusqu’alors la douceur de notre climat océanique, particulièrement en Europe occidentale.
De l’affaiblissement du Gulf Stream à l’arrêt de la convection
Dans son dernier rapport de synthèse, en 2013-2014, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) estimait déjà « très probable » que la circulation thermohaline ralentisse au cours du 21ème siècle, et envisageait qu’elle puisse perdre jusqu’à plus de la moitié de sa force. L’an passé, dans son rapport sur un monde à 1,5°C, le GIEC a admis que la preuve d’un ralentissement de l’AMOC s’était depuis renforcée. Plusieurs récentes études ont sonné l’alerte. Selon l’une d’elle, l’AMOC a perdu 15% de sa puissance depuis 50 ans. Une autre évoque l’affaiblissement du Gulf Stream et estime que la circulation océanique est à son plus faible niveau depuis plus de 1500 ans. Etudiant notamment la plongée des eaux en mer du Labrador, une autre souligne que des modèles climatiques couplant océan et atmosphère prévoient pour ce siècle un arrêt complet de la convection engendrant des refroidissements abrupts. Une autre encore pronostique qu’avec un quadruplement de la concentration de CO2 (par rapport au niveau préindustriel), soit environ 1100 parties par million (nous sommes à 410 ppm), la plongée des eaux allait remonter encore plus au nord pour une petite partie et descendre vers la zone tropicale pour une autre.
Quand un réchauffement de l’atmosphère provoque le refroidissement d’un hémisphère
Mais à quoi ressemblerait concrètement les conséquences d’un effondrement de l’AMOC pour la vie quotidienne, en particulier en Europe ? Menée par des chercheurs (1) du Met Office Hadley Centre for Climate Science and Services, avec un modèle climatique global à haute résolution (qui améliore notamment la prise en compte des turbulences de la circulation océanique, du transport atmosphérique d’humidité, du relief, des impacts locaux), une étude (datant de 2015 mais restée assez discrète) confirme les résultats de précédents travaux: refroidissement généralisé à travers l’Atlantique Nord et même sur l’ensemble de l’hémisphère nord; plus grande couverture de glace et renforcement des tempêtes dans l’Atlantique nord; moins de précipitations et d’évaporation aux moyennes latitudes de l’hémisphère nord; larges changements dans les précipitations sous les tropiques avec un glissement vers le sud de la zone de convergence intertropicale; réchauffement de l’hémisphère sud.
L’étude du Met Office Hadley Centre va encore plus loin, notamment en ce qui concerne l’Europe qui perdrait plusieurs degrés, de 2 à plus de 5 sur le continent, et jusqu’à plus de 15 en mer de Norvège. Lorsqu’elle atteindra sa surface maximale en mars, la banquise pourrait même s’étendre jusqu’à la pointe nord de la Grande-Bretagne, et jusqu’à Terre-Neuve de l’autre côté de l’océan.
Côté précipitations, l’étude prévoit une baisse l’été dans beaucoup de régions. Notable exception: la Méditerranée. Les précipitations moyennes baisseraient également en hiver, sauf pour les zones touchées par les tempêtes littorales qui se renforceraient sur les côtes ouest, notamment en Grande-Bretagne et en Norvège, et qui pénétreraient davantage dans les terres. Dans la plupart des régions, une plus forte proportion des précipitations prendrait la forme de neige, avec une augmentation du nombre de mois connaissant un enneigement d’au moins 5 cm. De son côté, la circulation atmosphérique amoindrirait ce refroidissement: en hiver, le renforcement des vents d’ouest favoriserait l’effet réchauffant de l’océan tandis qu’en été, l’affaiblissement de ces vents modérerait leur effet refroidissant, estime l’étude.
Chute dramatique des récoltes en France, Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne, Ukraine…
Conséquences de ces forts asséchement et refroidissement, le niveau des rivières s’affaiblirait largement tandis que la productivité primaire végétale chuterait de l’ordre de plus de 25% en moyenne. En France, un fleuve comme la Garonne perdrait environ 30% de son niveau en fin d’hiver, les baisses pouvant dépasser 80% dans la péninsule ibérique. La baisse de la productivité végétale serait plus prononcée au printemps et aux latitudes de plus de 50° nord. Selon les scientifiques, les récoltes baisseraient de manière dramatique en France, en Espagne, en Allemagne, au Royaume-uni, au Danemark, en Pologne, en Ukraine, en Roumanie, en Bulgarie…
Enfin, dans cette étude, l’AMOC ne donne aucun signe de reprise dans le siècle qui suit son effondrement. Alors que la faim gagnerait donc une Europe grelottante, parlerait-on de refroidissement comme aujourd’hui on parle de réchauffement, ou bien parlerait-on, enfin, de chaos climatique?
(1) Laura Jackson, Ron Kahana, Mark Adam Ringer, Tim Graham, Richard Wood (tous du Met Office), Tim Woolings (University of Reading), Jennifer Mecking (University of Southampton).
Je vous remercie de cet article.
Néanmoins, comment expliquer que nonobstant la baisse de l’intensité du Gulf Stream, on constate une forte diminution de l’etendue de la banquise en hiver sur la mer de Barents avec de plus des remontées importantes d’eau chaude à l’ouest de Svalbard.
Cette baisse de l’ntensité du courant chaud devrait au contraire favoriser la croissance de la banquise à l’ouest et au nord de la nouvelle Zemble.
Nous avons encore beaucoup à apprendre des courants.
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