Après le pic pétrolier, la fin de la croissance

Nous risquons bien avoir de « gros » ennuis non pas quand les puits de pétrole seront à sec mais bien dès le franchissement du « pic pétrolier ». Michael Kumhof, expert au… FMI, le confirme. Pour lui, une baisse « géologique » de la production d’or noir menace de faire dévisser les PIB des pays importateurs et de faire exploser leurs déficits. Un peu comme la situation actuelle en Europe, mais en pire.

Production de pétrole brut depuis 1970, en millions de tonnes. Document de l'Agence internationale de l'énergie.

Production de pétrole brut depuis 1970, en millions de tonnes. Document de l’Agence internationale de l’énergie.

Nos administrations nationales et internationales possèdent des experts hyper compétents que les dirigeants politiques ne semblent pas connaître. Exemple : Michael Kumhof, grand spécialiste d’économie et de modélisation, travaillant au Département « Recherche » du Fonds monétaire international (FMI). Son chemin l’a mené en mars à l’Ecole normale supérieure de Paris, dans le cadre d’un séminaire scientifique baptisé « Economie de la transition écologique ». Devant un parterre de quelques dizaines de personnes, principalement composé d’étudiants, de chercheurs et d’ingénieurs, Michael Kumhof a décrit sa vision de l’avenir après le « peak oil » mondial, « the future of oil ». Noir c’est noir, comme du pétrole.

Oui, la croissance économique est liée au pétrole

Dans leur vie de chercheurs, Michael Kumhof et ses compagnons « jouent » avec les modèles mathématiques et analysent leurs résultats. Parmi leurs « dadas »: l’après pic pétrolier (quelle que soit sa date) et le nécessaire « ajustement » du système économique.

Premier constat : les modèles en question permettent de lier objectivement la croissance (ou la réduction) de la production de pétrole et la croissance (ou la réduction) du PIB (produit intérieur brut)… Oui, notre « croissance » économique est directement liée à la production de pétrole ! Imaginons ce lien comme l’énergie nécessaire pour faire fonctionner une énorme machine mondiale qui engloberait la plupart de nos activités. On comprend alors qu’après un « pic », la baisse continue de la production contraint la croissance et le fonctionnement même de la machine.

Deuxième constat : ces modèles complexes introduisent de l’entropie dans l’économie et bousculent donc les « vérités » actuelles des économistes (jusqu’alors l’entropie, mesurant le désordre d’un système, est surtout prise en compte dans la thermodynamique). Surtout, cela pose des limites physiques au système économique et permet d’appréhender les potentiels impacts de différents types de chocs pétroliers : « chocs » de la demande, « chocs » de l’offre…

Ainsi, bonne nouvelle, les chocs pétroliers « géologiques », provoqués donc par l’épuisement même de la ressource (épuisement irréversible), pourraient être sans effet dramatique si la « substituabilité » entre le pétrole et les autres facteurs de production croît en même temps que croît le prix du pétrole. Traduction : on réduirait les effets des chocs pétroliers si l’on était capable de compenser le «manque» de pétrole (énergies de substitution, efficacité énergétique, etc.). Cependant, cette action possède des limites et nécessite des délais. C’est peut-être à ce niveau que l’on pourrait un jour prochain regretter fâcheusement de n’avoir pas voulu prendre en compte plus tôt l’importance réelle du « peak oil ».

Une baisse de 2 % de la production de pétrole équivaut à une hausse de 25% de son prix

En revanche, mauvaise nouvelle, une chose paraît acquise : moins on sera « élastique », plus on aura du mal à compenser en temps voulu le manque d’or noir, notamment dans certaines technologies « clés » où il est essentiel… Les impacts d’une déplétion continue (décroissance de la production pétrolière) augmenteront alors dramatiquement en gravité.

Evolution du prix du pétrole brut depuis 1990. Document de l'Agence internationale de l'énergie.

Evolution du prix du pétrole brut depuis 1990. Document de l’Agence internationale de l’énergie.

Selon Michael Kumhof, pour une baisse de la production de pétrole de 2% par an, les modèles peuvent conclure à une hausse de prix du pétrole de l’ordre de 25% sur la même période, 800% sur 20 ans !… Pour les pays importateurs, cela se traduirait par une sévère contraction de leur produit intérieur brut (PIB), et par un alourdissement exponentiel de leurs déficits courants.

Et encore, l’expert admet volontiers les limites des modèles qu’il étudie. D’après lui,  au-delà de 200 dollars le baril de pétrole, on entre dans un « autre monde », inconnu, où des secteurs entiers de l’économie actuelle ne résisteraient pas. « Collapse », dirait Jared Diamond.

Malgré tout, les conclusions de Michael Kumhof ne semblent pas encore suffisamment édifiantes pour sortir du Département « Recherche » du FMI ! A moins qu’elles y restent parce qu’elles sont au contraire trop « déstabilisantes » ? La production mondiale de pétrole se trouve sur un plateau depuis 2005…