L’objectif 2°C déjà mort ?

Alors que l’espoir de limiter la fièvre planétaire à +1,5°C n’est toujours pas officiellement enterré, l’objectif 2°C s’avère déjà menacé… Voire même « mort » pour le climatologue américain James Hansen.

Nouvelle « bande du réchauffement » du climatologue Ed Hawkins (Université de Reading, Angleterre), diffusée à l’occasion du dépassement de +1,5°C en 2024. La couleur de chaque bande annuelle correspond à un écart positif (rouge) ou négatif (bleu) par rapport à la moyenne 1971-2000. L’intensité de la couleur augmente avec l’importance de l’écart. Une bande rouge sombre a été ajoutée à cette nouvelle version. © showyourstripes.info

L’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à +1,5°C depuis l’ère préindustrielle est-il « mort » ? Si cela ne fait aucun doute pour de nombreux experts, cet objectif reste officiellement toujours « vivant »… Même si 2024 a explosé cette barre lourde de conséquences pour l’avenir de l’humanité : +1,6°C selon l’observatoire européen Copernicus… +1,55°C par rapport à la période 1850-1900, selon l’Organisation météorologique mondiale (OMM) qui compile les données de six organisations: Copernicus, mais aussi NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), GISS (Goddard Institute for Space Studies, de la NASA) et Berkeley Earth aux États-Unis, JRA-55 au Japon, Hadley Center au Royaume-Uni.

Le message est clair: ce n’est pas parce que cette barre a été dépassée une année que l’objectif ne peut plus être atteint. L’OMM a elle-même indiqué en janvier que l’Accord de Paris « n’est pas mort mais en grand danger ». L’évolution du climat se jugeant traditionnellement sur le long terme, il est vrai que la norme scientifique stipule qu’il faut que cette barre soit dépassée en moyenne sur une période de plusieurs décennies pour qu’elle soit vraiment franchie. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a conseillé de choisir une échelle de deux décennies, ce qu’a repris l’Accord de Paris. Sur cette base, le réchauffement actuel est évalué à environ + 1,3°C.

« Le seuil de l’Accord de Paris a probablement déjà été franchi »

Il y a un problème. S’arrêter là revient à oublier la dynamique du système climatique, selon laquelle les effets des actions entreprises ne sont pas immédiats, et que plus l’inaction perdure plus il est compliqué d’agir efficacement. Comme dans une course contre la montre.

Concrètement, au rythme actuel du réchauffement (de l’ordre de +0,3°C pour la période 2014-2023), l’anomalie annuelle de +1,5°C sera définitivement franchie d’ici 2030 (sauf peut-être à jouer les apprentis-sorciers en allant polluer la stratosphère). Une étude souligne du reste que la période de 20 ans appelée à atteindre un réchauffement de +1,5°C en moyenne, « a déjà débuté »… Et que les effets attendus à ce niveau « vont commencer à émerger ».

Une autre étude estime même qu’avec 12 mois consécutifs au-dessus de +1,5 °C (ce qui a été le cas dès juin 2024), « le seuil de l’Accord de Paris a probablement déjà été franchi » (l’estimation est de trois chances sur quatre). « Si les anomalies à + 1,5 °C persistent au-delà de 18 mois, ce dépassement est virtuellement certain », ajoute-t-elle. Depuis 19 mois, seul juillet 2024 a été juste en dessous, selon les données de Copernicus.

Concentration de CO2: rythmes records de progression

Ce n’est pas tout. Une fois émis, les gaz à effet de serre mettent plus ou moins de temps à agir dans l’atmosphère. Schématiquement, le réchauffement actuel est provoqué par les gaz à effet de serre anthropiques déjà émis jusqu’à il y a 10 – 20 ans. A l’exception de 2020 marquée par la crise covid et des effets de la crise financière 2007-2008, ces émissions n’ont pas vraiment cessé d’augmenter depuis. La concentration atmosphérique de CO2 progresse même actuellement à des rythmes records qui suggèrent un éventuel affaiblissement des puits naturels de CO2, par exemple du côté des forêts. Ce qui alourdirait en retour les impératifs de réduction des émissions anthropiques.

Parallèlement, les sociétés industrialisées se montrent jusqu’alors globalement incapables de réduire leurs émissions d’environ 5% chaque année, ce qu’il faudrait urgemment pour rentrer dans les clous. Sans parler de l’actuel déni de l’enjeu du réchauffement planétaire, symbolisé par le nouveau président des États-Unis -1er émetteur historique mondial. Si bien qu’au total, c’est en fait déjà l’objectif de limiter le réchauffement en dessous de +2°C qui s’avère de plus en plus menacé.

Un système climatique plus sensible que prévu ?

Les scientifiques du Global Carbon Project estiment actuellement que pour conserver encore une chance sur deux de ne pas dépasser cette limite, l’humanité ne doit pas émettre plus de 1110 milliards de tonnes d’équivalent CO2 supplémentaires, soit une échéance de 27 années au rythme des émissions 2024. Ce délai est réduit à 16 ans si l’on veut conserver 83% de chances, ce qui serait sage vu les risques encourus. Avec la même probabilité de réussite, un tel délai dégringole à 7 ans pour viser +1,7°C… Et il sera dépassé dès 2025 pour la barre de +1,5°C.

Ces évaluations s’appuient sur la « sensibilité climatique » du système terrestre. Pour la mesurer, le GIEC estimait dans son dernier rapport qu’un doublement de la concentration atmosphérique de CO2 par rapport à l’ère préindustrielle (560 parties par millions -ppm- contre 280) conduirait à un réchauffement de l’ordre de +3°C (entre +2,5 et +4°C).

Cependant, il y a encore un problème. Des scientifiques, dont l’éminent climatologue américain James Hansen (ancien de la NASA, ayant alerté les élus américains sur la réalité du réchauffement climatique dès les années 1980), avancent que cette sensibilité climatique serait en fait 50% plus importante, à environ +4,5°C.

James Hansen: « L’objectif de +2°C est mort »

Ces chercheurs expliquent ce relèvement par une « sous-estimation » de l’influence « refroidissante » croissante des aérosols entre le dernier tiers du XXème siècle et le début du XXIème siècle. Une influence qui s’est en revanche globalement réduite depuis une vingtaine d’années, avec les mesures de réduction de la pollution: en Chine, dans le transport maritime, etc. Ce qui favorise en retour, comme dans un scénario faustien, une hausse jusqu’alors « cachée » de la fièvre planétaire.

Selon eux, une telle sensibilité, cohérente avec les données paléoclimatiques, explique le bond « surprenant » qu’a connu la température en 2023-2024. « L’objectif de limiter le réchauffement à +2°C est mort », en déduit même James Hansen. Si la sensibilité climatique du système terrestre est bien de 4,5°C pour un doublement de la concentration de CO2, alors ce pourrait en effet être le cas, vu la coupe massive que cela impliquerait dans le budget carbone restant à l’humanité pour respecter cette limite. Une conclusion qui ne fait certes pas l’unanimité scientifique… Mais qui pose, du fait des incertitudes mises à jour, la gravité de la situation.

Une réflexion sur « L’objectif 2°C déjà mort ? »

  1. Bonsoir Vincent,
    Votre synthèse de la situation actuelle au niveau climatique est très claire encore une fois. Je me permet juste d’y ajouter que les océans et les mers, se réchauffant constamment au fil des décennies, deviendront par conséquent de moins en moins apte à absorber le CO2 atmosphérique et que le réchauffement supplémentaire des océans et des mers aura éventuellement un impact négatif sur la croissance du phytoplancton marin et donc sur toute la chaine alimentaire marine.

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