Températures moyennes mondiales, fonte des glaces, réchauffement de l’océan, concentration atmosphérique de méthane, multiplication des canicules et des incendies, émissions de carbone des sols, violence des tempêtes et des précipitations, chute de la biodiversité… Au fil des études scientifiques et autres récents rapports, la Terre multiplie désormais les signaux d’un dérèglement qui monte rapidement en puissance.
Quand on le perturbe, un système amortit dans un premier temps les modifications qu’on lui impose, de manière linéaire, sans changer son fonctionnement général, son logiciel. Mais, au-delà de certains seuils, il bascule vers autre chose, éventuellement à la recherche d’une nouvelle organisation, d’un nouvel équilibre. Le climat terrestre est un système. La perturbation qu’on lui inflige depuis environ deux siècles, principalement par la combustion d’énergie fossile -via notamment le CO2- aboutit pour l’instant à des changements linéaires: plus de pluie là où il pleut déjà, plus de sécheresses là où les terres sont déjà sèches, plus de chaleur là où il fait déjà chaud, plus de violence dans les vents… Cependant, au-delà de certains seuils, ce sont les moteurs même du climat -cryosphère, mouvements atmosphériques, courants marins, écosystèmes, etc.- qui périclitent ou basculent vers d’autres modes de fonctionnement. C’est tout le danger du dépassement d’un réchauffement global moyen de plus de 2°C, voire de 1,5°C, depuis le début de notre ère industrielle toute entière portée par les énergies fossiles.
Depuis le début de ce siècle, scientifiques et experts climat-énergie ont répété, le plus souvent dans une grande indifférence, qu’il ne restait plus beaucoup d’années pour inverser la tendance. Aujourd’hui, selon les derniers rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), on se donne souvent dix ans pour y arriver, au prix cependant d’un véritable effondrement des émissions de CO2 (c’est-à-dire de la consommation d’énergie fossile), alors qu’on rêve toujours en parallèle de croissance qui, elle-même carbonée, booste historiquement les émissions de gaz à effet de serre… C’est comme si on tâchait de toujours repousser l’échéance en augmentant l’effort futur à faire, ou en rêvant développer de nouvelles hautes technologies qui pourraient, comme par miracle, le faire sans que l’on modifie réellement notre façon de vivre… Vont sans doute en plus se multiplier les discours qui consistent à essaimer l’idée qu’avec la géo-ingénierie (la manipulation du climat) il est encore possible d’inverser la tendance.
Cependant, les signaux de dépassements de seuils de basculement du système climatique vers « autre chose », donc de dépassement d’un point de non retour, et finalement d’emballement, se multiplient dès à présent: températures moyennes mondiales en forte hausse ces dernières années, fonte des glaces accélérée, réchauffement plus important que prévu de l’océan, poussée de la concentration atmosphérique de méthane, multiplication des canicules et des incendies, émissions de carbone des sols, violence des tempêtes… Même les politiques de dépollution de l’air et de développement du numérique peuvent aggraver l’actuelle dynamique climatique de la Terre. Petit tour d’horizon de ce qui ressemble bien à une alerte rouge, à tous les étages.
Températures moyennes en forte hausse
Pire que les mois de juin et juillet 2016, les mois de juin et juillet 2019 confirment brutalement une tendance: les cinq années les plus chaudes en moyenne à la surface de la Terre depuis la fin du XIXe siècle et l’époque préindustrielle, sont les cinq dernières années. Après 2014, année qui avait déjà surpassé les précédents records globaux, les anomalies mensuelles de la température mondiale ont bondi de manière générale au-delà de +0,80°C par rapport à la moyenne du XXe siècle, vers +1°C, selon les chiffres de l’agence américaine National Océanic and Atmosphéric Administration (NOAA). Avec un puissant El Nino (phénomène « réchauffant »), 2016 a été la plus chaude. Mais, malgré deux La Nina (phénomène « refroidissant »), 2017 et 2018 sont restées largement au-dessus de 2014 et, avec un petit El Nino qui se termine, 2019 s’est donc hissé ces derniers mois au niveau de 2016, même s’il reste improbable à ce stade qu’elle puisse battre le record d’il y a trois ans, selon le Climate Science, Awareness and Solutions (CSAS) de James Hansen. L’ampleur de l’accélération est évidente quand on lisse sur une période de 5 ans la température moyenne mondiale: on passe d’une anomalie de l’ordre de +0,6°C de réchauffement dans la décennie 2005 – 2015 à +0,9°C maintenant. Et quid des prochaines années ? Une étude de probabilités prenant en compte la variabilité naturelle du système climatique, envisage des années 2020, 2021 et 2022 plus chaudes que la norme… Par ailleurs, les simulations prenant davantage en compte le système Terre et ses rétroactions revoient à la hausse le potentiel réchauffement planétaire à l’horizon 2100: jusqu’à +7°C selon un modèle informatique de l’Institut Pierre-Simon Laplace (IPSL), sachant que le réchauffement à la surface des continents est jusqu’alors environ le double du réchauffement moyen global et que les températures extrêmes sont par définition bien plus élevées que les moyennes, et donc encore plus mortelles.
Fonte rapide des glaces en Arctique
L’ampleur et l’accélération de la fonte de la banquise arctique est à la fois marquée par la baisse de la superficie de cette glace de mer, qui a atteint chaque année en fin d’été depuis 2011 des seuils inférieurs à la moyenne 2001-2010 (moins de 5 millions de km2) selon le NSIDC, National Snow and Ice Data Center- et par la baisse de son volume. Calculé par le Polar Science Center de l’Université de Washington, ce volume de glace se réduit en toute saison au fil du temps. Depuis 2007, il est systématiquement passé tous les ans sous la barre des 10 000 km3 en août, septembre et octobre, stade qu’à notre époque il n’avait jamais atteint avant 2005. Depuis 2015, ce volume est nettement en dessous de 6000 km3 chaque mois de septembre jusqu’à environ 4500 km3 en 2016, le record remontant à 2012 (environ 3800 km3 de glace). En prolongeant cette tendance (plus de 3000 km3 en moins chaque décennie), les risques de connaître un Océan Arctique temporairement libre de glace au cours du mois de septembre s’accroissent nettement dès la décennie 2020. Or, un océan glacé et un océan liquide ne présentent pas la même dynamique, en termes de biodiversité (quantité et espèces de plancton notamment) comme en termes de CO2, d’accumulation de chaleur ou encore de courants marins et de circulation atmosphérique. Par ailleurs, l’étendue de la fonte estivale de la calotte du Groenland a durant la présente décennie été le plus souvent bien au dessus de la moyenne 1981-2010, et régulièrement supérieure à 500 – 600 000 km2 (environ le tiers de la surface de cet inlandsis), ce qui illustre une réelle dynamique de fonte, celle-ci agissant directement sur la hausse du niveau de la mer, jusqu’à + 7 mètres si elle fond totalement.
Réchauffement accéléré des océans
Accélération de la hausse du niveau des mers, acidification des eaux, multiplication des submersions, salinisation des terres, effondrement des ressources dans les eaux côtières tropicales, augmentation des phénomènes El Nino extrêmes, déplacements de populations humaines… Alors que le tout prochain rapport spécial du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), relatif aux océans et à la cryosphère, devant être rendu public en cette fin septembre, s’annonce dès à présent dramatique, un rapport d’experts réunis sous l’égide du Programme international sur l’état de l’océan (IPSO) a indiqué cet été que le réchauffement de l’océan est 40% plus rapide que ce qui a été anticipé par les modèles informatiques. Dit autrement, les changements vont être plus abrupts et plus rapides qu’initialement prévu, avec comme perspectives une production moins importante de la chaîne alimentaire, une capacité à stocker du carbone affaiblie, des niveaux d’oxygène en chute (plus de 2% déjà perdus dans les dernières décennies) ou encore le possible rejet dans l’atmosphère de la chaleur jusqu’alors emmagasinée à la suite du réchauffement global anthropique.
Poussée de la concentration atmosphérique de méthane
Le prochain rapport spécial du GIEC « The Ocean and Cryosphere in a Changing Climate » évoquera également la fonte du pergélisol, ou permafrost selon le terme anglais, à savoir les terres restant jusqu’alors gelées toute l’année quelle que soit la saison. Cette fonte libère des gaz à effet de serre dont du méthane qui, dans les 20 années qui suivent son émission, est plus de 80 fois plus réchauffant que le CO2 à quantités égales. Il est ainsi déjà suspecté d’avoir boosté des réchauffements dans l’histoire de la Terre. Or, la concentration atmosphérique de méthane, dont l’évolution est par ailleurs corrélée à celle du CO2, au moins depuis des centaines de milliers d’années, est en forte augmentation depuis une dizaine d’années. Les potentielles causes sont multiples: élevage des ruminants, exploitation des énergies fossiles, notamment les hydrocarbures de schiste, multiplication des marécages remplaçant le pergélisol… De plus, la fonte du pergélisol a commencé dans les îles arctiques canadiennes avec des dizaines d’années d’avance sur les prévisions, comme l’ont constaté des scientifiques. Et si les océans passent un certain stade de réchauffement, des dégazages massifs sont possibles avec la déstabilisation d’hydrates de méthane (glace de méthane) contenu au niveau des marges continentales océaniques.
Multiplication des canicules
Dans son organisation actuelle, le système climatique terrestre possède des sortes de frontières entre ses parties les plus froides, aux pôles, et ses parties les plus chaudes, entre les tropiques, avec les courants jets et autres vortex polaires qui ont notamment tendance à protéger les zones tempérées des températures extrêmes. Dans l’hémisphère nord, le réchauffement accéléré de l’Arctique affaiblit ces frontières de telle sorte que des montées d’air chaud du sud ou des descentes d’air froid du nord peuvent plus fréquemment s’abattre sur les zones tempérées, comme cela a été le cas avec les canicules de cet été en Europe. Or, ces températures extrêmes peuvent dépasser les seuils de tolérance de multiples êtres vivants inadaptés dont de nombreuses plantes qui, alors, se mettent à devenir une source de CO2 au lieu de le capter, ce qui accroît encore plus le réchauffement global.
Incendies des forêts boréales
Outre les activités humaines qui peuvent générer de larges destructions, comme en Amazonie, les températures élevées, les sécheresses et les impacts de foudre peuvent provoquer de nombreux incendies. C’est souvent ce qu’il s’est passé cet été, au niveau du cercle polaire arctique, sur des millions d’hectares, en Sibérie, en Alaska ou encore dans le nord du Canada, quand ces régions ont pu subir des bouffées d’air chaud venant du sud. Rétroaction positive du réchauffement rapide de cette partie du globe, ce phénomène d’incendie des forêts boréales, lui-même aggravé par la combustion de la tourbe présente dans le sol, a atteint depuis le début de ce siècle un niveau inégalé depuis au moins 10 000 ans, selon une étude publiée dès 2013. En plus de la chaleur et du CO2 rejetés, les cendres de ces incendies noircissent les surfaces enneigées quand elles retombent au sol, ce qui renforce l’absorption du rayonnement solaire et accélère ainsi encore le réchauffement.
Emissions de carbone des sols
Plus le réchauffement global de la planète progresse, moins les sols sont capables de stocker du CO2. Publié en août, le rapport spécial du GIEC sur le changement climatique et les sols souligne que les activités humaines affectent jusqu’aux trois quarts des terres libres de glace de la planète. Il estime notamment que l’érosion des sols due à la culture avec labourage traditionnel peut être plus de 100 fois plus élevée que le taux de formation du sol et qu’en 2015 environ un demi milliard d’êtres humains vivaient dans des zones ayant subi une désertification entre les années 1980 et les années 2000, notamment autour du Sahara, au Moyen-Orient et en Asie du Sud-Est. Se réchauffant nettement plus rapidement que la moyenne terrestre (+1,53°C entre la période 1850-1900 et la période 2006-2015 contre +0,87°C globalement, selon le GIEC), les terres voient également leur dégradation exacerbée par le changement climatique: accroissement de l’intensité des précipitations, inondations, augmentation de la sévérité et de la fréquence des sécheresses, stress hydrique, vent, vagues et hausse du niveau de la mer, fonte du pergélisol… Au final, si l’accroissement de la concentration CO2 dans l’atmosphère a jusqu’alors favorisé l’augmentation du stockage de CO2 par les écosystèmes terrestres (effet fertilisant du dioxyde de carbone, allongement de la saison de croissance), le GIEC souligne que l’augmentation nette des émissions de CO2 issues des plantes et des sols sous l’effet du changement climatique va contrer cette dynamique et que la persistance du puits à CO2 que constituent ces sols et plantes est incertaine. Une récente étude a notamment mis en évidence que la respiration des sols (par les micro-organismes, les racines ), émettrice de CO2, progresse dès à présent plus rapidement que la production végétale, qui en capte.
Violence des vents
Si le réchauffement planétaire n’implique pas forcément plus de cyclones ou ouragans ou typhons, il implique en revanche davantage de violence de la part de ces phénomènes. Ayant étudié les données relatives aux quatre dernières décennies, des scientifiques ont ainsi montré que la fréquence des événements affichant des vents maximum d’au moins 200 km/h a doublé durant cette période, et qu’elle a triplé pour les phénomènes atteignant 250 km/h et plus. Ainsi, certains demandent, comme Michael Mann, que l’on rajoute une catégorie 6 à l’échelle de Saffir-Simpson pour les événements « extrêmement dévastateurs », avec des vents de 300 km/h et plus. Dit autrement, les évènements comme Irma (2017) ou Dorian (2019) sont entrain de se multiplier. Par ailleurs, de manière générale, des températures atmosphériques plus chaudes permettent à l’air de contenir de manière naturelle plus de vapeur d’eau, donc de former de plus gros réservoirs tendant à engendrer des précipitations plus intenses, aggravant elles-mêmes les risques d’inondations, de coulées de boue…
Chute de la biodiversité
En mai dernier, un rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) a estimé à un million le nombre d’espèces animales et végétales menacées d’extinction, sur les continents et dans les océans et mers. « La santé des écosystèmes dont nous dépendons, ainsi que toutes les autres espèces, se dégrade plus vite que jamais. Nous sommes en train d’éroder les fondements mêmes de nos économies, nos moyens de subsistance, la sécurité alimentaire, la santé et la qualité de vie dans le monde entier », a notamment déclaré Robert Watson, président de l’IPBES. Facteurs de cette hécatombe: les changements d’usage des terres et des mers, l’exploitation de ressources, le changement climatique, la pollution, les espèces envahissantes…
Rétroaction de la dépollution de l’air
Parallèlement aux émissions de gaz à effet de serre, les activités humaines, et notamment la combustion des énergies fossiles, diffusent dans l’atmosphère des polluants devenant de plus en plus insupportables, comme en Chine, mais dont l’effet sur le climat tend globalement à un refroidissement temporaire de la température moyenne. Dans son rapport de 2014, le GIEC estimait que l’effet de ces aérosols contrebalançait près du tiers du forçage radiatif (du réchauffement) dû au gaz à effet de serre. Plus récemment, une étude a suggéré que l’élimination des aérosols actuellement émis -notamment les aérosols sulfatés qui se forment suite aux émissions de soufre provoquées par la combustion de pétrole et de charbon- entraînerait une hausse supplémentaire de la température moyenne de la planète de +0,5 à + 1,1°C, ainsi qu’une hausse des précipitations (due à l’interaction aérosols-nuages). Sans parler d’un accroissement de la violence des tempêtes tropicales. Dit autrement, au fur et à mesure où la lutte contre la pollution va être efficace et où l’usage d’énergie fossile va diminuer (pour limiter la concentration de CO2 ou pour des raisons géologiques), un surplus d’effet de serre jusqu’alors masqué par les aérosols va apparaître, aggravant encore plus le bouleversement climatique.
Emissions de gaz à effet de serre du numérique
Alors que la révolution numérique, levier de développement économique et social, est souvent considérée comme un moyen de réduire les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’énergie de ce secteur est en hausse de 9% par an, a calculé le think tank français de la transition carbone, The Shift Project, ce qui donne une tendance d’un doublement sur une décennie. On compte plus d’un milliard de téléphones portables dits intelligents vendus tous les ans autour de la planète, ce type d’outil étant même devenu « naturel » dans les pays développés qui concentrent la plupart de la consommation de données et où la plupart des utilisateurs n’imaginent encore en rien s’en passer… Et d’autant plus que le numérique a maintenant envahi toute la vie quotidienne: entreprises, consommation, habitat, transports, administrations… Le simple visionnage de vidéos a généré en 2018 autant de CO2 qu’un pays comme l’Espagne, soit près de 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Au total, le numérique approche actuellement 4% des émissions (à peu près le niveau de l’Inde) et pourrait dépasser les 8% en 2025, plus que les voitures aujourd’hui.
Protéger les forêts… planter des arbres… la base du bon sens ?
Ping : Sensibilité climatique - Le dernier carbone - Climat
Ping : Chronique d’un effondrement programmé: épisode covid-19 | Dr Pétrole & Mr Carbone
Ping : Gaz à effet de serre: la barre de 500 ppm équivalent CO2 franchie! | Dr Pétrole & Mr Carbone