Submersion, érosion, salinisation… C’est avec ces trois armes que l’augmentation du niveau de la mer va redécouper et redéfinir, y compris en France, les littoraux durant ce XXIème siècle, selon un nouveau rapport rédigé par des scientifiques français sous la houlette du climatologue et vice-président du GIEC Jean Jouzel. Reste à savoir dans quelles proportions et avec quelles mesures d’adaptation : renforcement ou reconstruction des ouvrages ? Abandon de zones basses sensibles ? Délocalisation de populations, de biens et d’activités ? Premiers éléments de réponse.
Laisser faire, renforcer les protections, reconstruire, se replier… Ce sont les options « coût-bénéfice » qui se dessinent pour l’avenir des ouvrages maritimes face à la montée du niveau de la mer durant ce XXIème siècle. Et c’est un exemple de l’ampleur du péril que peut constituer le réchauffement global de la planète pour des littoraux toujours de plus en plus urbanisés. Il est mis en évidence dans un nouveau rapport scientifique: « Changement climatique et niveau de la mer : de la planète aux côtes françaises ».
Rédigé par différents scientifiques français placés sous la direction du climatogue Jean Jouzel, par ailleurs vice président du Groupe d’expert intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ce rapport est le 5ème volume de la série « Le climat de la France au XXIème siècle ». Officiellement remis fin mars à la ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, Ségolène Royal, il confirme le 5ème rapport publié par le GIEC en 2013 – 2014 et précise les données pour la France: le niveau de la mer monte, et il monte de plus en plus vite depuis environ 20 ans.
« Au-delà d’un certain seuil de réchauffement, la fonte en surface de la calotte du Groenland ne sera pas compensée par l’accumulation de neige »
Depuis le dernier maximum glaciaire, il y a 21 000 ans, où son niveau était de 130 m en dessous du niveau actuel, la mer est remontée à la vitesse moyenne d’environ 1 m par siècle, mais de manière irrégulière, jusqu’au début de l’holocène il y a 11 700 ans. Cette hausse s’est ensuite ralentie, notamment depuis 6 000 ans. « Durant les 2-3 derniers millénaires, le taux d’élévation s’est stabilisé à environ 0,5 mm/an (avec des variations inférieures à 6 cm par siècle) » précise le rapport.
Cependant, redémarrage comme par hasard à la fin du XIXème siècle. Cette nouvelle hausse, « clairement détectée dans les observations instrumentales les plus anciennes des marégraphes » -et coïncidant avec ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’anthropocène– donne un taux moyen d’élévation de 1,7 mm/an sur la période 1901-2010. Ce taux double quasiment entre 1993 et 2014 avec 3,2 mm/an. Ce qui donne une vingtaine de centimètres en plus depuis la fin du XIXème siècle et une hausse possible de l’ordre du mètre à l’horizon 2100 si l’on poursuit sur notre lancée actuelle sans sortir des énergies fossiles (jusqu’à plus de 80 centimètres en 2081-2100 par rapport à 1986-2005). Cette hausse pourrait même atteindre en 2300 « plus de 3 m pour un scénario de fortes émissions » et plus de 6 mètres en 2500. Le rythme ainsi atteint serait comparable au rythme moyen du dernier dégel glaciaire !
« Les simulations des modèles indiquent qu’au-delà d’un certain seuil de réchauffement, la fonte en surface de la calotte du Groenland ne sera pas compensée par l’accumulation de neige », ajoute le rapport, cette calotte représentant l’équivalent de 7 mètres de niveau de la mer. Dit autrement, « la fonte des glaces peut s’emballer », comme le résume la chercheuse Anny Cazenave (CNES) qui a participé à la rédaction du premier volume du dernier rapport du GIEC. Un emballement version débâcle.
Un tel seuil se trouverait selon le dernier rapport du GIEC entre environ + 1 °C de réchauffement (faible confiance) et + 4 °C (confiance moyenne). Certes, cette fourchette reste vague, mais si l’on est capable de limiter le réchauffement global à +2°C, le risque serait pour les scientifiques, limité avec une projection de hausse des niveaux marins de 26 à 55 cm d’ici la fin du siècle et de moins d’un mètre en 2300 et 1 mètre en 2500.
« L’aggravation des submersions marines est la conséquence la plus immédiate de l’élévation du niveau de la mer »
Les modèles montrent également que si elle concerne plus de 95% des régions océaniques, la hausse du niveau des mers –à la fois due à la fonte des calottes et des glaciers et aussi pour une grande partie à la dilatation thermique des océans- se répartira de manière inégale. Par exemple, « la fonte future des calottes polaires causera une amplification de l’élévation de la mer dans les océans tropicaux de 20% à 30% par rapport à la hausse moyenne globale ».
Malgré tout, « 70 % des littoraux du monde vont connaître un changement du niveau de la mer ne s’écartant pas de plus de 20 % de l’élévation du niveau moyen global de la mer ». C’est le cas de la France, jugée légèrement en dessous de la moyenne: + 3 mm/an à Brest entre 1980 et 2004, + 2,6 à Marseille, + 2,1 mm/an dans le pertuis charentais entre 1941 et 2011, + 2,1 à Saint-Jean-de-Luz entre 1942 et 1996… Mais + 3,5 mm/an par an en Polynésie entre 1950 et 2010 contre + 2 mm à Nouméa en Nouvelle-Calédonie.
Dans tous les cas, cette montée des eaux va redéfinir, avec plus ou moins de vigueur selon donc notre comportement, les littoraux des continents en fonction de trois de ses effets: la submersion marine, l’érosion des côtes et la salinisation des terres.
Concernant les submersions marines, le rapport conduit par Jean Jouzel constate qu’ « au cours des dernières décennies et en moyenne globale, les niveaux marins extrêmes ont suivi la même tendance à la hausse que l’élévation du niveau de la mer. Ainsi, l’aggravation des submersions marines est la conséquence la plus immédiate de l’élévation du niveau de la mer ».
Conséquence : pour l’avenir, « la remontée du niveau marin sera vraisemblablement la cause principale d’aggravation de l’aléa de submersion ». Ainsi « pour une hausse d’un mètre du niveau marin, les ouvrages perméables implantés en faible profondeur doivent être rehaussés de 2 mètres environ, les ouvrages imperméables doivent être rehaussés de 3 mètres environ », préconise le rapport.
« Si l’adaptation n’est pas anticipée, d’énormes volumes de matériaux de construction vont devoir être simultanément mobilisés afin de renforcer les ouvrages de protection lorsque ceux-ci commenceront à être clairement sous-dimensionnés »
L’inquiétude concerne en particulier « les zones basses, avec un risque de submersion accru et/ou des coûts d’entretien des défenses côtières plus importants », et d’autant plus que « l’attractivité actuelle des zones littorales conduit à une exposition accrue des personnes, habitations, infrastructures et entreprises aux risques de submersion temporaire ». Quid par exemple de toutes ces résidences « les pieds dans l’eau » qui sont actuellement très valorisées ?
Associé à « l’actualité de la question de notre inadaptation » face à l’aléa submersion, cette situation ouvre, toujours selon ce rapport, « la perspective d’actions de relocalisation des biens, des personnes et des activités : de telles actions, en réduisant l’exposition et la vulnérabilité actuelles aux aléas côtiers, ont un bénéfice immédiat et constituent un premier pas vers une adaptation au changement climatique », estime-t-il. Une façon, également, de reconnaître la surpuissance de la nature.
Pour les infrastructures côtières et portuaires, si le laisser-faire restera la « meilleure solution » pendant un certain temps, « il sera cependant nécessaire d’anticiper le renforcement ou la reconstruction. En effet, si l’adaptation n’est pas anticipée, d’énormes volumes de matériaux de construction vont devoir être simultanément mobilisés afin de renforcer les ouvrages de protection lorsque ceux-ci commenceront à être clairement sous-dimensionnés », analyse-t-il. Et le rapport recense sur le littoral métropolitain plus de 400 kilomètres d’ouvrages « haut de plage », plus de 90 kilomètres d’ouvrages transversaux et brise-lames, 180 kilomètres de digues d’ouvrages portuaires…
Languedoc, Aquitaine, delta du Rhône… Les zones les plus exposées à l’érosion sont avant tout « des littoraux meubles, particulièrement ceux pour lesquels un déficit sédimentaire est actuellement observé »
La seconde conséquence attendue de cette montée des eaux est « un recul du trait de côte, en particulier des littoraux bas et meubles ». Ici, les risques induits « dépendent non seulement des conséquences du changement climatique, de la dynamique sédimentaire côtière locale et régionale, mais aussi de l’exposition des infrastructures à l’aléa recul du trait de côte et de la dynamique démographique », expliquent les scientifiques qui estiment que 41% des plages sont actuellement en recul en métropole.
Selon eux, « les conséquences pour l’érosion pourraient être très différentes selon le scénario d’émissions de gaz à effet de serre », c’est-à-dire selon que l’on atteigne ou non l’objectif de +2°C et que l’on parvienne ainsi à limiter la hausse du niveau de la mer à « quelques dizaines de centimètres ».
Si en revanche on suit la tendance actuelle (jusqu’à plus de +5°C à l’horizon 2100 par rapport à l’époque préindustrielle), il faut s’attendre à « des conséquences majeures pour l’érosion des littoraux meubles et la submersion permanente de zones basses », avec « des reculs du trait de côte importants », mais qui restent aujourd’hui « difficile de quantifier avec exactitude ». Et si, dans ce cas, le rapport pense qu’il sera encore « possible de financer la protection de villes côtières », la seule adaptation « économiquement viable » consistera à « se retirer de nombreuses zones côtières rurales ou périurbaines, parmi les plus basses », avertissent-ils.
Aujourd’hui bien identifiées, les zones les plus exposées à ces risques sont avant tout « des littoraux meubles, particulièrement ceux pour lesquels un déficit sédimentaire est actuellement observé », souligne le rapport. « Les régions du Languedoc, du delta du Rhône et de l’Aquitaine sont particulièrement concernées », précise-t-il, « mais le reste de la côte atlantique et la plaine de Corse orientale le sont également ».
« Prendre en compte l’élévation du niveau de la mer dans la gestion des risques » et « permettre aux systèmes côtiers de s’ajuster naturellement à de nouvelles conditions environnementales »
Par ailleurs, « les lagunes littorales dont les cordons protecteurs sont les plus fragiles pourraient également être exposées à la montée du niveau marin. Celles-ci deviendraient alors plus larges, plus profondes et leurs eaux deviendraient plus salées ».
« En revanche, dans un premier temps, les conséquences de l’élévation du niveau de la mer devraient rester limitées pour les marais côtiers qui sont aujourd’hui le plus souvent en accrétion », poursuit-il. Et les besoins d’adaptation apparaissent « plus localisés » dans des régions à falaises comme la Haute-Normandie ou le Pays basque.
Quant à l’Outre-Mer, « peu de scénarios de mobilité du trait de côte ont été réalisés. Pourtant, l’adaptation peut s’y révéler particulièrement complexe, car les zones basses côtières y sont des zones essentielles pour le développement ».
Au final, « deux mesures d’adaptation peuvent d’ores et déjà offrir des bénéfices immédiats », toujours selon les scientifiques: « la première consiste à éviter l’aggravation de l’exposition aux risques côtiers, en considérant l’élévation du niveau de la mer dans la gestion des risques, y compris pour des infrastructures sensibles à longue durée de vie. La seconde vise à préserver de l’espace pour les processus de transports sédimentaires littoraux, afin de permettre aux systèmes côtiers de s’ajuster naturellement à de nouvelles conditions environnementales ».
Salinisation: des impacts potentiels d’autant plus importants que « les ressources d’eau douce des aquifères côtiers sont essentielles aux différents usages du littoral », où vit « environ 60% de la population mondiale sur une bande de 60 kilomètres de large »
Enfin, concernant la salinisation, « l’impact de la remontée du niveau marin actuel sur les intrusions salines est actuellement limité. Cependant, ce constat n’est pas à extrapoler pour le futur, car le niveau de la mer continuera à augmenter et parce qu’il y a des contextes littoraux vulnérables et favorables aux intrusions salines », souligne le rapport qui observe également que « l’augmentation de la salinité des nappes littorales pourrait être le fait de la conjugaison de différents facteurs » : niveau marin mais aussi prélèvements d’eau, conditions de recharge des aquifères, infiltrations d’eau salée…
Alors qu’il reste visiblement encore des progrès à faire pour la compréhension scientifique de la globalité de ce phénomène, la question devrait avec le temps prendre d’autant plus d’importance que « les ressources d’eau douce des aquifères côtiers sont essentielles aux différents usages du littoral », où vit « environ 60% de la population mondiale sur une bande de 60 kilomètres de large ».
Entre autres impacts potentiels :
– Modification des intrusions salines et migration dans des proportions variables vers l’intérieur des terres de l’interface eau douce – eau salée.
– Inondation des zones basses par de l’eau de mer et infiltration de l’eau de mer vers les aquifères libres.
– Remontée de front salé via les estuaires et infiltration vers les aquifères libres. Ce phénomène « pourrait être accentué par la baisse des débits des cours d’eau du fait du changement climatique et/ou l’augmentation des prélèvements », estime le rapport.
– Contamination des eaux souterraines par le bore, en plus des chlorures des eaux marines au niveau des plaines d’inondation.
– Modification de la recharge et des zones de décharge des aquifères.
« L’intensité de ces impacts peut varier de manière significative selon les lieux, la nature des aquifères, et leurs modalités d’exploitation », estiment également les scientifiques. Par exemple, « pour certains aquifères, l’exploitation des eaux souterraines par forage (pompage) peut accentuer les impacts potentiels du changement climatique et de l’augmentation du niveau marin ».
Alors, on ne sort pas des énergies fossiles et on va au-delà de + 2°C ?
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