Si, en cette période de “transition énergétique”, ce sont les énergies renouvelables qui occupent régulièrement le devant de la scène, en coulisses c’est bien le charbon qui se taille, jour après jour, la part du lion. Il rattrape même le pétrole au hit parade de la consommation planétaire et l’a déjà bien « grillé » en terme de CO2. A la clé: une accélération brutale des émissions humaines de gaz à effet de serre, et chaque année des dizaines de milliers de morts… Plus de 20 000 en Europe selon l’Université de Stuttgart, sans doute 10 fois plus dans le monde.
Energie du 19e siècle pour beaucoup, donc du passé, le charbon est également, que cela nous fasse ou non plaisir, l’énergie montante de ce début de 21e siècle, très très loin devant l’éolien, le solaire et toutes les énergies renouvelables réunies. Défini par son président Jean-Marc Jancovici, comme un “lobby” (de lutte contre les affres à venir du changement climatique) The Shift Project a rassemblé et mis en ligne une base de données dont la précision et la pertinence permettent de détailler cette envolée de la houille.
Au niveau mondial, la consommation de charbon est passée de 1 623 millions de tonnes équivalent pétrole à 2 061 Mtep entre 1981 et 2000, soit 27% de hausse. Pendant la même période, le pétrole a lui augmenté de 3 086 Mtep à 3 891 Mtep, soit une augmentation de 26%, et le gaz de 1 362 à 2 265 Mtep (+ 66%). Malgré la forte poussée du gaz, le charbon se maintenait alors déjà à plus ou moins un quart de l’énergie primaire consommée sur la planète.
2000-2011: la consommation de charbon a bondi de 66 %, 10 fois le volume de progression de toutes les énergies renouvelables
Les courbes de The Shift Project montrent que c’est bien après 2000 que le décollage a eu lieu. En 2011, qu’il s’agisse de produire du ciment, de l’acier et surtout de l’électricité, la consommation de charbon a atteint 3 412 Mtep (près de 66% de plus qu’en 2000) tandis que le pétrole s’essouflait à 4 425 Mtep (une “petite” hausse de 14%) et que le gaz arrivait à 2 975 Mtep (44% de hausse). Le charbon (29% de l’énergie primaire consommée en 2011) rattrape donc peu à peu le pétrole (37%). Dans les projections de l’Agence internationale de l’énergie (IEA), ils se talonneront avant la fin de l’actuelle décennie, vers 2017.
Répartition de la consommation d’énergie primaire par source d’énergie. Document interactif The Shift Project.
Par comparaison, la consommation d’énergie liée aux renouvelables n’a augmenté que de 53 %, passant de 253 à 387 Mtep. Certes, les énergies renouvelables autres que l’hydroélectricité (biomasse, ethanol, biodiesel, éolien…) ont bien explosé de 324% mais pour un total de seulement 119,2 Mtep consomés. Autrement dit, pendant que la consommation d’énergie renouvelable augmentait de 134 Mtep entre 2000 et 2011, la consommation de charbon bondissait de 1 351 Mtep. 10 fois plus donc !
Mondialisation: la croissance chinoise engloutit plus de la moitié du charbon consommé sur la planète
Pourquoi? Pour l’Agence internationale de l’énergie “la Chine c’est le charbon et le charbon c’est la Chine”. Certes, la croissance chinoise s’appuie pour les ¾ environ sur le charbon. Cela représentait en 2011 plus de la moitié du charbon consommé sur la planète: 1 866 Mtep selon les chiffres fournis par Shift, contre 530 en 2000. 252% d’augmentation. Mais la croissance chinoise c’est aussi… la mondialisation. Bien d’autres pays ont également accru leur consommation de charbon: l’Inde (+ 82% entre 2000 et 2011), l’Indonésie (+ 150%), la République de Corée (+82%), le kazakhstan (+63%) et également dans des proportions moindres la Russie, l’Ukraine, l’Australie, l’Afrique du Sud…
D’autre part, si, pendant la même période, la consommation de charbon s’est contractée dans les pays développés de l’OCDE, elle y reste importante: 834 Mtep en 2011 contre 995 en 2000. Cette baisse de 16% reste en plus toute relative: la part du charbon dans la consommation primaire d’énergie de l’OCDE représente toujours 16 % (18% en 2000), et 13 % en Europe: 55% en Pologne, 36% en République tchèque, 32% en Bulgarie, 22% en Grèce, 20% en Roumanie, 19% en Allemagne… Dans cette Allemagne souvent montrée comme une “championne des Enr”, l’éolien représentait en 2011 une consommation de 3 Mtep contre 54 Mtep pour le charbon, 18 fois plus.
Quand les gaz de schiste américains boostent le charbon en Europe…
Quant aux Etats-Unis, le charbon y a connu une consommation en dents de scie durant la première décennie du 21e siècle, avec un plus haut en 2007 (525 Mtep) et un plus bas en 2009 (455 Mtep). Selon l’Agence internationale de l’énergie, l’exploitation des gaz de schiste a permis une réduction de la consommation de charbon, mais avec toutefois deux soucis. D’abord, des études américaines mettent les gaz de schiste et le charbon sur le même plan en terme de gaz à effet de serre. Ensuite, l’exploitation de ce “shale gaz” a permis aux Etats-Unis d’exporter plus de charbon vers… l’Europe, où, ajoute l’IEA, la consommation augmente à présent.
D’après les chiffres utilisés par le Shift, la consommation européenne de charbon est en effet passée de 193 Mtep en 2010 à 205 Mtep en 2011. 2012 a confirmé cette poussée en Allemagne, en Espagne, au Royaume-Uni, en France… Pour l’IEA, un pic aura lieu en 2013, avec une baisse par la suite.
Néanmoins, une toute récente étude de l’IER (Institute for Energy Economics) de l’Université de Stuttgart, réalisée à la demande de Greenpeace, compte 50 nouveaux projets de centrales à charbon en Europe. Ces constructions concernent la Pologne (32,872 megawatts), l’Allemagne (14,802 megawatts), l’Italie (4,170 megawatts), la Roumanie (4,150 megawatts), les Pays-Bas (3,500 megawatts), la République tchèque (2,785 megawatts), la Grèce(1,650 megawatts), la Bulgarie (1,350 megawatts), la Slovénie (600 megawatts), la Hongrie (400 megawatts). France, Royaume-Uni, Eire, Espagne, Portugal, Danemark, Scandinavie, sont à ce jour épargnés.
France: EDF, GDF-Suez et Air Liquide se développent à l’international avec le charbon, l’Américain Powerdyne veut faire profiter l’Europe du charbon “propre”
Mais même en France où l’on a fini d’épuiser nos ressources dans les premières années de ce siècle, nous avons toujours des centrales à charbon (fonctionnant avec du charbon importé), en particulier dans les anciens bassins houilliers du Nord et de l’Est comme le montre la même étude. Mieux, certaines de nos grandes entreprises participent aux nouveaux projets européens de développement du charbon: EDF en Pologne, GDF-Suez en Pologne également, aux Pays-Bas et en Allemagne… Pour respecter une directive européenne sur les émissions des grandes centrales et prolonger la vie de ses installations, EDF investit également dans plusieurs de ses centrales françaises, dont celle du Havre, et teste le captage de CO2.
De son côté, Air Liquide a annoncé au printemps avoir signé “un contrat majeur” de gazéification du charbon en Chine, notamment pour produire de… l’hydrogène. On imagine que cet hydrogène va ensuite se parer d’une étiquette verte.
A la fin 2012, l’Américain Powerdyne a lui ouvert un “bureau de représentation” à Paris pour promouvoir une technologie de charbon dit “propre” (avec captage de CO2), en test aux Etats-Unis et en Suisse, et au passage pour « profiter des aides européennes en matière d’énergie propre ». « Alors que bon nombre d’Etats tels que la France ou l’Allemagne sont en train de mener une réflexion de fond sur leur stratégie énergétique, cette nouvelle technologie arrive à point nommé. Nous estimons qu’il sera moins coûteux d’équiper des centrales thermiques existantes de procédés de captation du carbone que de développer, par exemple, des champs d’éoliennes. L’amélioration du bilan écologique des centrales à charbon, désormais rendue possible par notre technologie, nous oblige à reconsidérer certains choix énergétiques », assure tout de go Geoff Hirson, le PDG de Powerdyne, notamment soutenue par Spencer Abraham, ancien ministre de l’énergie d’un certain Georges Bush.
Quand le charbon booste de 25 % en dix ans les émissions mondiales de C02
Pour l’heure, la technologie de captage et de stockage du CO2 demeure calée au stade expérimental. Le bilan carbone du charbon reste en moyenne de 1 123 kg équivalent carbone émis pour 1 tonne équivalent pétrole, soit 26 % de plus que le fioul lourd, 35% de plus que l’essence, 72,5% de plus que le gaz naturel, 3400% de plus que l’éolien, 5800% de plus que le nucléaire, 8500% de plus que l’hydroélectricité…
Si l’on considère qu’une tonne “équivalent pétrole” c’est environ 1,43 tonne de charbon (d’après l’IEA) et qu’un coefficient de 3,67 s’applique pour calculer les émissions en “équivalent CO2” à partir des émissions en “équivalent carbone”, alors une tonne de charbon va émettre en moyenne 2882 kg, soit près de 3 tonnes de CO2. Powerdyne arrondit pour sa part à 2 tonnes… C’est pour faciliter la définition du charbon “propre” ?
En ce qui concerne l’accumulation des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, et donc le bouleversement en cours du climat, les quantités les plus pertinentes à prendre en compte sont les volumes globaux, émis par tous les pays. Selon les données rassemblées par The Shift Project, les émissions de CO2 dues au charbon sont passées de 8 647 milliards de tonnes en 2000 à 14 942 milliards de tonnes en 2011. A ce niveau, le charbon a déjà largement dépassé le pétrole… depuis 2005. Ses émissions représentent à présent près de la moitié des émissions totales de CO2 dues aux énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz).
En valeur absolue, alors que le protocole de Kyoto occupait le devant de la scène, les émissions mondiales de CO2 sont passées de 23 729 milliards de tonnes en 2000 à 32 648 milliards de tonnes en 2011, soit 8 919 milliards de tonnes de CO2 supplémentaires émises (37,5% d’augmentation). Le charbon représente environ 70% de cette hausse, avec 6 295 milliards de tonnes de CO2 en plus… dont 5 434 milliards juste pour la Chine. Autrement dit, en une décennie, le charbon a boosté de 25 % les émissions mondiales de C02. Ce qui pose l’ampleur du problème concernant l’application de “baisses d’émissions” de gaz à effet de serre pour tous les pays après 2020…
Rapport “Silent Killers”: les 300 grandes centrales à charbon européennes provoquent la mort prématurée de 22 100 personnes
L’histoire et la médecine montrent quant à elles que le charbon, outre la question du changement climatique, c’est également de la pollution et d’importants problèmes sanitaires : maladies de type silicose, anthracose et cancer des poumons pour les plus exposés; directement dans les mines, coups de grisou, effondrements, incendies, asphyxies… ; dans la nature, émanations de dioxyde de soufre, d’oxydes d’azote, de monoxyde de carbone, ou encore de cendres pouvant contenir des traces de moult composés toxiques (de l’arsenic à l’uranium en passant pas le mercure, le plomb…), le tout provoquant cancers, lésions, difformités, décès… Sans parler du dépérissement d’espèces végétales et animales.
Publiée en juin et intitulée “Silent Killers” (Les Tueurs silencieux), l’étude commandée par Greenpeace à l’IER de l’Université de Stuttgart, a calculé, sur la base de données de 2010, que les 300 grandes centrales européennes au charbon provoquent annuellement la mort prématurée de 22 100 personnes. Toujours selon elle, les actuels projets de construction de 50 nouvelles centrales (dont celles d’EDF et de GDF-Suez) ajouterait environ 3000 morts annuels.
Le charbon, un fléau mondial estimé à plus de 200 000 morts annuels
Pays par pays, l’étude allemande estime que la pollution due au charbon tue chaque année plus de 3000 personnes en Allemagne et près de 1000 en France… Elle tue même plus que les accidents de la route en Pologne (plus de 5000 morts), en Roumanie (près de 3000), en Bulgarie (2700), en République tchèque (1700) et en Slovaquie (plus de 500). Elle tue quasiment autant au Royaume-Uni (plus de 2000), en Grèce (1150) et en Slovénie (150).
D’autres études ont précédemment chiffré les dégats de la pollution de l’air et des particules fines issues du charbon, à 25-30 morts par térawatt-heure (TWh) électrique produit. En 2011, la production électrique au charbon de la planète était de 8 456 TWh selon les chiffres du The Shift Project, ce qui nous amène à un fléau de 210 000 à 250 000 morts pour l’année… Ces études ne contredisent pas celle publiée par Greenpeace. La communauté européenne a produit 805 TWh au charbon en 2010. Cela donne une fourchette de 20 000 à 24 000 morts.
L’IER de l’université de Stuttgart a également classé les compagnies possédant les centrales les plus “sales”. Le Polonais PGE arrive en tête avec 21 600 “années de vie perdues”, devant RWE 15 400. Le Français EDF pointe à la 7e place avec 8 720 “années de vie perdues”. En ce qui concerne les nouvelles centrales “sales”, l’Allemand RWE (5 113 années de vie perdues) devance PGE (3620). GDF-Suez arrive 7e (977 années de vie perdues) et EDF 8e (898).
Dans une certaine indifférence, le charbon ne semble donc pas du tout avoir fini d’être historiquement la source d’énergie la plus dangereuse de la planète, notamment en terme de mortalité humaine, actuellement équivalente selon les précédents calculs, au bilan d’un Hiroshima par an. Charbon mon amour.
superbe travail, bravo.
Bonne synthèse, bravo. La comme ailleurs, tout est une question de €, ou plutôt de $ (les « morts prématurés » n’ont pas de coût, ou du moins pas de coût direct).
petite précision : le data portal Shift Project ne produit pas de données mais met en image les données issues de sources comme l’EIA, World Bank, OPEC…
bonne continuation
Bonjour Vincent,
Merci… et bonne précision. Le data portal du Shift a également l’avantage de remonter 30 ans en arrière. Or, il n’est pas forcément facile de trouver toutes ces données…
Bonne continuation également.
VR
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Bel article, j’ai toujours du mal à expliquer à mon entourage que le charbon n’est pas l’énergie du XIXème siècle, mais bien celle du 21ème !
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