Une nouvelle étude confirme que la Terre réagit bien plus vite à sa fièvre que ce que les scientifiques n’osaient encore imaginer. Celle-ci concerne le réchauffement des océans, pouvant de plus en plus perturber la circulation des courants propices à la vie, favoriser les tempêtes les plus violentes, et accélérer « naturellement » le dérèglement climatique, y compris de manière brutale.
Même si elle est passée quasiment inaperçue en France, l’étude intitulée « Stratification croissante des océans au cours du dernier demi-siècle » que viennent de publier dans Nature Climate Change, les chercheurs Guancheng Li, Lijing Cheng, Jiang Zhu, Kevin Trenberth, Michael Mann et John Abraham, se révèle lourde de conséquences pour l’avenir de la biodiversité marine, des tempêtes et du réchauffement planétaire.
En effet, dans son fonctionnement normal, l’océan possède déjà des masses d’eau de températures différentes qui ont naturellement du mal à se mélanger. Les masses d’eau les plus légères (les plus chaudes et les moins salées) sont au-dessus des plus denses (les plus froides et les plus salées). Ces différentes couches parviennent néanmoins à créer des mouvements d’échange entre la surface et les profondeurs selon notamment les différences de température en surface, le jeu des courants, les vents et la densité en sel de l’eau. Ces mouvements ‘pompent » du CO2 atmosphérique et transportent également en particulier des nutriments se trouvant dans les fonds marins ainsi que de l’oxygène. Quand les nutriments reviennent en surface, cela crée par photosynthèse, avec la lumière du Soleil, du plancton, base de la chaîne alimentaire des océans. Il s’agit donc là d’un véritable moteur de vie.
Une stratification des océans en hausse de 6% depuis les années 1960
Jusqu’alors, une progression de la stratification des océans étaient bien crainte du fait du réchauffement planétaire, y compris par le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), mais pas de manière accélérée. Grâce aux multiples instruments déployés à travers les mers pour mesurer entre autres températures et salinités, le travail des chercheurs a consisté à évaluer l’évolution durant les dernières décennies de la stratification des océans jusqu’à des profondeurs de 2000 m (contre 200 m auparavant)… Résultat: de 1960 à 2018, la stratification océanique a déjà progressé jusqu’à près de 6 % (entre 5 et 5,8%), soit près de 1% par décennie. Et plus des deux tiers de cette augmentation (environ 71%) a eu lieu dans les premiers 200 mètres. Dit autrement, il y a dès à présent de plus en plus d’eau chaude dans les parties supérieures des océans, et elle peut entraver les échanges d’oxygène, de CO2 et de nutriments entre la surface et les profondeurs.
Moteur de vie menacé
Les conséquences de l’amplification de ce phénomène apparaissent ainsi clairement. Primo, par la production de plancton qu’il permet, le moteur même de la vie marine (coquillages, crustacés, poissons, mammifères…) est ici menacé, le plancton calcifié entraînant également du CO2 atmosphérique vers les fonds des océans tandis que le plancton végétal produit la plus grande partie de l’oxygène que nous respirons. Au-delà des océans, c’est ainsi la concentration même d’oxygène dans l’atmosphère qui est en jeu.
De surcroît, plus une eau reste chaude, moins elle peut chimiquement contenir d’oxygène, nécessaire également à la vie, et plus elle pourra donc devenir zone morte. Sans parler de l’excès de CO2 qui acidifie les océans et rend notamment plus difficile la formation des coquilles pour les animaux qui en ont besoin, ou de la pollution et de la surpêche qui ont déjà bien affaibli la ressource.
Pompe à carbone en danger
Secundo, par la pompe à « CO2 » atmosphérique qu’il constitue, le puits de carbone des océans est également en danger. Jusqu’alors, les océans captent environ un quart du dioxyde de carbone émis par les activités humaines, principalement issu de l’utilisation de pétrole, de charbon et de gaz. Tout le CO2 qui ne sera plus capté par les océans restera donc dans l’atmosphère, et aggravera encore plus le réchauffement global, pouvant lui-même s’accélérer naturellement avec les multiples rétroactions climatiques du système terrestre. Or, selon le GIEC, l’océan a déjà absorbé « plus de 90 % de la chaleur excédentaire du système climatique. D’ici à 2100, il absorbera 2 à 4 fois plus de chaleur que pendant la période allant de 1970 à l’heure actuelle si le réchauffement planétaire est limité à 2 °C, et jusqu’à 5 à 7 fois plus, si les émissions sont plus élevées« , estime-t-il.
Des tempêtes de plus en plus violentes
Tertio, plus l’eau chaude stagnera en surface et continuera à se réchauffer davantage en profondeur, plus elle pourra servir de réservoir d’énergie aux tempêtes tropicales, qui seront donc en mesure de devenir toujours plus violentes. Du reste, comme l’a déjà montré une autre étude de Michael Mann, les ouragans sont déjà de plus en plus grands, puissants, et durables, avec une zone de risque qui s’agrandit. C’est notamment vrai dans certaines régions de l’hémisphère nord où, c’est également à noter, les océans se réchauffent plus vite et peuvent désormais atteindre des anomalies de température moyenne mensuelle de plus de 1°C par rapport à la moyenne du XXe siècle.
Un El Nino qui devient la norme ?
Quarto, la stratification océanique peut également avoir un effet sur les phénomènes El Nino et La Nina, au niveau du Pacifique équatorial. Actuellement, La Nina est un phénomène « refroidissant » l’atmosphère et qui relève d’une amplification des vents et courants habituels dans la région. Comme l’année 2016 a par exemple pu le montrer, El Nino est quant à lui un phénomène « réchauffant » qui se produit avec des inversions temporaires de vents et de courants. La crainte des scientifiques avec une stratification océanique croissante, c’est qu’El Nino devienne la norme… Là encore avec un coup d’accélérateur pour la fièvre planétaire.
Un « tapis roulant » qui s’arrête ?
Enfin, comme elle dépend de la température mais aussi de la salinité de l’eau, une stratification plus rapide des océans pose la question du devenir de la plongée des eaux en Arctique, point de départ de la circulation thermohaline, également appelée « tapis roulant », gigantesque courant mondial formé par des eaux de surface très froides et très salées. Une fois au fond de l’eau, ces eaux se dirigent doucement vers l’autre côté du globe, assurant ainsi de multiples échanges avec celui-ci. Mais, quand les glaciers et calottes polaires fondent, ils apportent de l’eau douce qui fait chuter le taux de sel… Or, une autre toute récente étude souligne pour sa part que l’apport à la hausse du niveau de la mer de la fonte de ces glaces d’eau douce et de celles de l’Antarctique, atteint les pires niveaux envisagés il y a quelques années par le GIEC, bien au-delà de ce qui était prévu pour les émissions de gaz à effet actuelles. Outre un ralentissement déjà constaté, certains modèles envisagent déjà un arrêt de cette circulation dès ce siècle tandis que d’autres en ont évalué les effets: la fin de notre environnement tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Bonjour Vincent,
En plus de l’accumulation de chaleur excédentaire de l’atmosphère et de l’acidification des océans causée par l’aborption du CO2, il y a aussi la pollution agricole du aux engrais chimiques azotés qui affectent les océans. Ceux-ci comportant de plus en plus de zones mortes du à l’anoxie qui en est la cause. D’abord à proximité des côtes, ces zones mortes s’étendent de plus en plus vers le large. La vie marine est vraiment en péril.
Bonjour Jacques, oui la pollution est du reste citée dans cet article, même si ces effets n’y sont pas développés.
Oh lalalala… La Terre est restée tranquille pendant des milliards d’années et d’un coup, au vingtième et vingt-et-unième siècles TOUTES les catastrophes qu’une imagination enfiévrée peut entrevoir s’y déroulent. Et si ces « crises » n’étaient qu’une manifestation de paranoïa collective entretenues par des intellectuels dont c’est le gagne-pain ?
Bonjour,
La Terre n’est pas restée tranquille des milliards d’années. Elle a pu connaître de nombreuses « agitations » climatiques. Voir pour cela par exemple l’excellent livre de Gilles Ramstein « Voyage à travers les climats de la Terre ». Néanmoins, le système climatique de la Terre est très calme depuis les derniers 10 000 ans environ, ce qui a permis aux civilisations humaines de se développer…
Bonjour Vincent,
Cet article mentionne la menace qui pèse sur le plancton, « moteur même de la vie marine », du fait du réchauffement et de l’acidification des océans. On oublie souvent de rappeler que le phytoplancton produit plus de la moitié de l’oxygène que l’on respire, et que sa disparition aura une incidence déterminante sur la composition de l’atmosphère, au moins autant que la déforestation.
Avec des océans morts, quid de la vie sur Terre ?
Bonjour Matthieu,
Merci pour votre message. Oui, avec des océans morts, la vie sur les continents est également menacée.