Si les hyper riches peuvent agir rapidement de manière efficace pour freiner la destruction de notre environnement, de notre monde, ils se trouvent au sommet d’un système de fonctionnement qui ignore les limites létales du système terrestre, qui se nourrit des effets d’imitation entre les différentes couches sociales et, par prolongement, entre les sociétés qui structurent notre civilisation mondialisée. Ce mécanisme d’imitation, mis en évidence par un économiste que l’on n’aurait jamais du oublier, Thorstein Veblen, apparaît comme l’un des moteurs de notre économie du « toujours plus » et de la consommation sans limite.
Briser ce mécanisme d’imitation entre les hommes relève sans doute de l’utopie. En revanche, le réorienter en le faisant passer de l’envie de possession et de puissance à l’envie d’art, de plaisir et de culture, apparaît séduisant. De telles promesses porteuses d’identité et de civilisation renouvelée permettraient en plus à des pays comme la Chine ou l’Inde de prendre une autre voie de développement, plus en harmonie avec leur histoire, et avec l’avantage de développer des énergies renouvelables sans avoir forcément à remplacer des structures existantes.
Si un hyper riche émet incomparablement plus de CO2 qu’un ouvrier ou un employé payé au SMIC, et si donc il pollue diablement plus, il reste que, pour le système Terre, les émissions de CO2 n’ont de valeur que globale. Leur augmentation exponentielle est avant tout corrélée à l’explosion de la population et à l’accumulation matérielle qui va avec. La Terre pourrait supporter les 4×4 et les voyages des 500 millions les plus riches si tous les autres n’avaient pas de voiture et ne prenaient jamais l’avion !
La bonne question à se poser est celle-ci : où sont mes besoins réels et raisonnables de confort et où commencent mes désirs de possession et de puissance ? La conscience d’une « terre vivante » donne la réponse. Outre une résistance volontaire dans nos comportements (consommation, alimentation, vacances…), nous, Européens, Américains, enfants de notre civilisation de consommation, devons chacun à notre niveau immédiatement réfléchir à la (re)construction d’une vie qui émet de moins en moins de gaz à effet de serre, et qui prend en compte dans ses choix les risques à venir : inondations, tempêtes, sécheresses, incursions de la mer dans les terres…
De notre lieu de vie à notre métier, l’objectif est bien de se reposer toutes les questions de nos actes quotidiens de manière à être, à court terme, le moins dépendant possible des énergies carbonées. De manière à rester le plus fort ou le moins faible possible face aux chocs à venir. De manière à diffuser à ceux qui nous entourent, le plus vite possible, la réalité de cette contrainte. De manière à phosphorer, chacun de notre côté et tous ensemble, pour faire appliquer toutes les solutions de rupture qui s’imposent, collectivement et personnellement.
Liste non exhaustives de pistes personnelles à tester, à confronter, à développer, à promouvoir, à compléter…
Je vis et je travaille dans la même ville ? J’élimine la voiture, je fais du vélo, si nécessaire électrique, je prends les transports en commun et je milite pour qu’ils soient le moins cher possible. Les transports en commun ne desservent pas correctement mon lieu de travail ? Je rassemble les uns et les autres, dans mon entreprise et dans les entreprises environnantes, pour que la demande d’un service digne de ce nom existe. Si je ne travaille pas dans la ville où je vis, j’envisage soi de changer d’habitation, soi de changer de travail.
Je vis à la campagne et je ne peux pas me passer de mon véhicule ? Alors je suis intransigeant avec l’étiquette « CO2 » de la voiture que j’achète pour longtemps? Je regarde de près l’option vélo électrique. Je développe le covoiturage, avec mes voisins, avec mes collègues de travail, au besoin en demandant des réaménagements d’horaires dans les entreprises.
Si je réside en milieu rural, cela veut également souvent dire que je vis dans une maison. De manière générale, j’aménage celle-ci, et éventuellement j’investis, pour être le moins dépendant possible du fioul ou du gaz. Cela passe en particulier par des systèmes de chaudières bois – solaire permettant également de gagner en autonomie, et de gagner financièrement à terme. Au besoin, j’envisage de déménager plus près de mon lieu de travail, où je cherche un travail plus proche de mon domicile, quitte à changer de métier et tout en faisant également intervenir les autres paramètres de ma vie quotidienne : famille, art, culture… Je remets en question toute ma vie présente et j’échange sur ce sujet.
Je travaille dans les secteurs de l’ « automobile », de l’« aéronautique », dans les industries de biens consommation ? Je peux volontairement regarder vers d’autres secteurs d’activités, éventuellement compatibles avec mon expérience: vélos électriques, éoliennes, hydroliennes, énergies marines, solaire thermique… Je peux également axer mon évolution professionnelle vers l’objet réparable ou la réparation proprement dite.
Je suis agriculteur français ? J’oublie la Politique agricole commune, je reviens à un rapport direct avec la terre, où l’on profite des capacités nourricière des sols au lieu de les forcer. Je développe des circuits de distribution locaux, sinon le plus court possible.
Je suis pêcheur ? J’envisage d’adopter une technique de pêche respectueuse de la ressource, sinon de changer de métier. Je milite pour des pêcheries permettant réellement l’augmentation des stocks des différentes espèces de poissons.
Je suis enseignant ? Qu’il s’agisse de géologie, de géographie, de biologie, de physique, de chimie, de mathématiques, d’histoire, de langues, ou encore d’art, j’ai une place centrale pour expliquer ou illustrer au adolescents, aux enfants (beaucoup plus réceptifs aux explications systémiques que des adultes ayant toujours baigné dans la logique cartésienne) les contraintes suivantes, non négociables, et dans lesquelles tout développement doit obligatoirement s’intégrer :
-La Terre est un monde clos avec une quantité de ressources limitées qu’il est nécessaire d’entretenir en permanence, pour assurer notre survie.
-La composition de l’atmosphère terrestre est dépendante de la vie, et la vie est dépendante de l’atmosphère terrestre.
-La planète a réussi à maintenir la vie depuis plusieurs milliards d’années alors que la puissance du soleil s’est accrue de 30%, grâce à un savant dosage entre forme de cette vie et composition de l’atmosphère. Dans ce système, l’équilibre des gaz à effet de serre carbonée (CO2, méthane…) joue un rôle vital de thermostat.
Je travaille dans les professions relatives à la santé humaine et dans toutes celles qui sont liées à la flore et à la faune ? J’observe les nouvelles pathologies, les pics d’épidémie ou d’allergie, les évolutions inhabituelles, les anomalies diverses… Je deviens une véritable vigie sanitaire.
Je travaille dans le bâtiment ? Je deviens le plus rapidement possible un professionnel de l’habitat zéro émission, quelle que soit ma spécialité : maçon, plombier, charpentier, couvreur… Si je suis déjà dans une entreprise, je demande une formation continue à mon patron. Je n’hésite pas le cas échéant à changer d’entreprise ou à lancer ma propre activité.
Je travaille dans un bureau ? J’évalue ce que fait mon entreprise et l’impact de son activité, la mienne en particulier, sur les émissions de gaz à effet de serre. Selon les cas, je cherche à changer de travail ou je m’engage pour faire chuter ses émissions (transport, utilisation du papier, parc informatique…).
Je travaille dans une banque ? J’agis comme dans tout emploi de bureau. Et je milite pour casser les spirales qui emportent les plus pauvres, et les débiteurs en général, vers l’exclusion. Je lutte de l’intérieur pour éviter les abus qui freinent les investissements des petites entreprises. Je milite pour le concept de banque responsable et solidaire.
Je suis commerçant ? Je pratique une marge raisonnable sans profiter avidement de l’éventuelle rareté d’un produit. Je privilégie les produits locaux, de saison, naturels qui peuvent venir à moi grâce à des circuits de distribution simple. J’évite la multiplication des intermédiaires. Je fais de la publicité pour les produits que l’on cuisine plutôt que pour les produits déjà cuisinés. Je préfère ne pas avoir de tout mais avoir du bon plutôt… qu’avoir de tout mais avec des produits que je ne mangerais pas moi-même. Je n’ai pas peur de faire la promotion de la frugalité : manger un peu moins mais beaucoup mieux.
Je suis chef d’entreprise ? Je regarde toutes les possibilités d’économies en gaz à effet de serre de ma société (transports, déplacements des salariés, devenir des déchets, consommation énergétique, etc.). J’étudie l’intérêt d’effectuer un bilan carbone. J’envisage en tout état de cause, de manière objective, la place de mon activité dans les émissions de gaz à effet de serre. Si besoin, j’étudie les possibilités de reconversion.
Je suis scientifique ? Je m’évertue à chercher et à démontrer des liens entre ma discipline d’origine et toute autre discipline scientifique. Je tache d’intégrer ma spécialité dans le fonctionnement général de la planète, même si je n’y vois pas de rapport a priori. Je me forme aux mécanismes biogéophysiques de la Terre.
Je suis artiste ? Je multiplie les créations et les événements liés au fonctionnement du système vivant Terre. Je milite pour que les arts et la culture jouent un rôle moteur dans le fonctionnement de la société, qu’ils en soient son ciment.
Je fais du marketing ? J’intègre l’importance du système « vivant » Terre dans tous les produits sur lesquels je suis amené à travailler, qu’il s’agisse de produits industriels ou de services. Je conseille et j’oriente le choix des décideurs vers des solutions qui rentrent dans le cadre d’un développement limité aux capacités de la Terre.
Je travaille dans les domaines de l’information et de la communication ? Je m’informe en permanence sur le fonctionnement de la planète et je revois mon savoir à la lumière de ces nouvelles connaissances, même si elles doivent remettre en cause mes convictions passées. Je regarde la réalité de nos sociétés à travers un nouveau prisme, celui d’une planète vivante menacée, et aux ressources limitées. Je privilégie les dossiers qui éclairent la connaissance de la Terre, de ses richesses, de ses mécanismes, de ses faiblesses. Si je travaille pour un service de communication, j’arrête d’écouter les sirènes qui demandent de ne pas inquiéter les gens.
Je cherche du travail ? Je me regroupe avec d’autres chômeurs. Je refuse d’être une simple statistique. Je n’ai pas honte de ma situation. Je demande des formations ou bien je vais voir du côté des entreprises agricoles, du bâtiment, de l’industrie ou encore du tertiaire qui intègrent une nouvelle forme de développement prenant en compte les limites de la Terre. Je cherche en particulier du travail dans le secteur de l’Economie sociale et solidaire, en plein développement. Je n’hésite pas à m’installer comme réparateur de tel ou tel produit, à militer pour un système qui redonne une place au travail manuel en le détaxant. Je participe à la mise en place de réseaux de solidarité, par l’intermédiaire notamment d’internet.
Du reste, quelle que soit ma profession, ma situation, je participe à ces réseaux de mobilisation et de solidarité, et à toute l’activité relative à notre problématique commune de survie…