La cupidité, la course effrénée aux profits, épuisent les sous-sols, les sols, les forêts, les rivières, les mers, la flore, la faune, les hommes. Puissance financière, pouvoir… Ceux qui peuvent agir le plus efficacement et le plus rapidement sont les hyper riches. Cela vaut bien une petite lettre.
Chers hyper riches,
Voilà une lettre que vous lirez peut-être. Hyper riches ? Mais qui doit vraiment se sentir concernés ? Qu’est-ce d’abord qu’un riche ? Si nous nous plaçons du côté d’un homme qui passe sa journée à chercher de quoi se nourrir, nous sommes malgré nos dettes très riches. Si l’on se place du côté d’un milliardaire, nous avons déjà entendu que la vraie richesse c’est de ne pas être capable de dépenser les intérêts de son capital, voire les intérêts des intérêts de son capital…
Voici une façon de définir une personne qui s’enrichit. Notre société fonctionne comme un aspirateur : il y a d’un côté ceux qui s’appauvrissent sans réellement comprendre pourquoi et de l’autre ceux qui s’enrichissent sans forcément trop le chercher. Le mot « riches » peut schématiquement englober cette seconde catégorie de personnes. Et les hyper-riches alors ?
Le revenu de dizaines de personnes parmi les plus riches du monde est bien supérieur à celui de centaines de millions d’humains parmi les plus pauvres, selon le Programme des Nations unies pour le développement. Le phénomène d’aspiration de la richesse vers le haut a créé et entretient une oligarchie dirigeant de fait les affaires du monde. Disons quelques milliers de personnes. Ce sont les hyper riches.
Chers hyper riches donc,
Cette lettre s’adresse à vous non pour vous culpabiliser de votre grande opulence mais simplement parce que vous avez plus d’argent que vous ne pourrez sans doute jamais en dépenser, parce que cela vous donne également beaucoup de pouvoir -de l’ordre social aux effets de mode en passant par la science- et aussi parce que comme chaque homme, comme chaque femme, vous aimez vos enfants.
L’humanité vit actuellement un tournant de son histoire. Des gaz à effet de serre qui se concentrent dans l’atmosphère, des climats et des écosystèmes qui vont être de plus en plus bouleversés, des sols qui vont être de moins en moins nourriciers, des déserts qui vont de plus en plus s’étendre, des rivières dont le cycle va de plus en plus s’accélérer, des forêts qui après avoir mangé du CO2 vont de plus en plus en rejeter, des raz de marée dont la force de pénétration va de plus en plus augmenter, des catastrophes qui peuvent s’enchaîner comme une chute de dominos…
Issue du développement débridé qui a permis votre fortune, cette liste de périls menaçant l’humanité et valant bien le plus élémentaire des principes de précautions, n’est pas exhaustive. Nous n’échapperons pas à de vrais gros problèmes et nous devons nous y préparer. Nous ne sommes même pas en mesure d’exclure qu’il est peut-être trop tard pour éviter le cataclysme. Mais nous pouvons encore espérer, en agissant très vite et radicalement. N’oubliez pas : 2015, date butoir donnée en 2008 par le président du GIEC, Rajendra Pachauri qui vient dans un nouveau rapport de confirmer qu’il nous reste peu de temps pour agir.
Personnellement, je me dis que si j’en avais les moyens, j’investirai massivement dans ce combat qui déterminera en fait l’avenir de mes enfants. A quoi bon leur léguer un quelconque patrimoine s’ils doivent mourir dans l’effondrement qui menace notre monde ? Que mangeront-ils alors ? Des billets de banque qui ne vaudront plus rien ? Des lingots cachés dans les décombres d’une banque ? Les briques et les caméras de leurs palais surprotégés ?
Et puis, je me poserai également cette question : mes enfants seront-ils plus fiers de moi si je continue à accumuler sans réel objectif, sinon la taille de mon yacht, ou si j’investis pour que l’humanité partage et revienne sur un chemin qui n’est pas une impasse ?
Je m’inquiéterais de savoir si finalement mes enfants, le jour où la catastrophe sera évidente à tous, ne me détesteront pas de n’avoir rien fait, et surtout d’avoir participé au cataclysme, en toute connaissance de cause. En revanche, je me réjouirais de la fierté qu’ils éprouveraient en sachant que j’ai placé la plus grande partie de ma fortune dans un avenir vivable et durable, pour tous, donc en particulier pour eux.
Je vois d’ici des gens très surs d’eux raillant ces propos, ironisant sur le catastrophisme ou la naïveté, pariant sur le progrès, la recherche, la capacité de l’homme à maîtriser la nature… Leur erreur est justement ici. Cette croyance est celle des hommes du 19e et du 20e siècle. Cette croyance est entrain de mourir. L’avenir passe au contraire par la compréhension et l’utilisation des capacités, des ressorts et mécanismes de la nature, de la Terre, ressorts et mécanismes dont la plupart nous sont encore inconnus et méritent que nous les recherchions, que nous les trouvions. C’est du reste comme cela que certaines sociétés antiques ont réussi à éviter leur propre effondrement, alors que d’autres persistant dans leurs erreurs, se sont écroulées comme des châteaux de cartes. On ne l’apprend pas encore assez dans les grandes écoles formant nos élites.
Chers hyper-riches,
Je me demande également ce qu’il adviendra après 2015 si nous n’avons rien réussi à faire. Aurons nous des scientifiques émérites nous disant : « Maintenant, messieurs et mesdames, vous pouvez faire ce que vous voulez, mais rien ne changera : la machine va s’emballer » ? Fera-t-on taire ces scientifiques et les citoyens qui préfèrent les écouter, comme on a fait taire il y a quelques siècles ceux qui disaient que notre planète était ronde ? Dira-t-on que ce sont des menteurs ? Les embastillera-t-on ? La dictature deviendra-t-elle la règle commune ?
Et que pourra-t-on expliquer aux citoyens à qui l’on se plait encore aujourd’hui à répéter que rien n’est sûr à 100% concernant les conséquences de l’augmentation exponentielle des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, que le débat scientifique est toujours ouvert ? Que pourront vraiment promettre comme avenir des parents à leurs enfants ?
Peut-être s’en remettra-t-on une nouvelle fois à la science pour nous sauver… Une science qui se dirige vers de pharaoniques projets de géo-ingénierie climatique pour mettre l’atmosphère sous cloche. Une science qui dit qu’elle progresse pour être capable de nourrir encore plus d’êtres humains alors qu’on a déjà aujourd’hui les moyens de nourrir tout le monde mais que notre système économique, toujours lui, nous en empêche… Une science qui elle aussi effectue actuellement un virage historique.
Le chercheur est en effet allé du plus grand vers le plus petit. Aujourd’hui, les technologies permettent de repartir dans l’autre sens, de reconstruire du vivant avec des parties élémentaires. La génétique offre la possibilité d’apporter une caractéristique supplémentaire à un être vivant : une résistance à une maladie, une croissance plus rapide… Et pourquoi pas des ailes à la place de nageoires ? Des poumons à la place des branchies ? Ne riez pas: les « biobricks » permettant de tels jeux de Lego sont disponibles sur internet.
Alors une autre question viendra tôt ou tard vous tarauder : si l’homme se rend compte qu’il ne peut plus éviter un changement de son environnement qui lui sera hostile, ne va-t-il pas essayer de se transformer lui-même pour s’adapter au bouleversement de cet environnement ? Une sorte de forçage de son fonctionnement intime. Amateurs de chirurgie esthétique, pensez que c’est bientôt le fonctionnement de vos organes que l’on pourra peut-être transformer, si bien sûr vous avez l’argent nécessaire… Et pourquoi pas modifier les gênes de vos enfants pour qu’ils puissent survivre dans l’ordre nouveau, ceux qui n’en ont pas les moyens étant pour leur part invités à regarder et à disparaître ?
Chers hyper riches,
Vous pouvez c’est vrai suivre, sinon conduire l’actuelle dictature internationale des marchés financiers qui distille la peur, qui menace la paix et la démocratie. Vous avez également le pouvoir de nourrir la course folle de la science, les compétitions de la plus grosse maison, de la plus puissante voiture, du plus long yacht, de la plus haute tour… Comme les habitants de l’île de Pâques jouaient à ceux qui auraient la sculpture en tête d’homme la plus imposante.
Vous avez aujourd’hui les moyens de nous offrir la dictature pour conserver vos privilèges. Vous avez les moyens d’être nos bourreaux et même les bourreaux de vos propres enfants. Mais vous avez également les moyens d’être… nos héros et ceux de vos enfants.
Car, oui, vous possédez la force de nous faire sortir de notre actuel système économique débridé et sous dépendance pétrolière, vous avez les moyens d’investir massivement dans tous les domaines qui feront progresser les solutions les plus intelligentes pour mettre en place un système économique vertueux, juste. Et qui au final vous profitera.
Vous avez la capacité d’appliquer le nécessaire partage des richesses de la planète pour nous faire sortir au plus vite des énergies fossiles, pour éviter les violences et les guerres qui se feront au détriment de tous. Vous pouvez placer votre fortune au bénéfice général, et devenir les principaux acteurs de notre résistance. C’est d’autant plus vrai que vous êtes le plus souvent les modèles de ceux qui, dans l’ordre de la richesse ou du pouvoir, sont juste derrière vous, eux mêmes servant de modèles à ceux qui se trouvent sur la marche du dessous, et ainsi de suite.
Chers hyper riches de tous les pays, unissez-vous… avec nous, modestes mortels.
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