Si l’on prend en compte le cumul des émissions de CO2 des pays depuis le XIXème siècle, et non pas les seules émissions annuelles, alors on peut estimer que les Etats-Unis et les pays européens (sur la base de l’Union à 28) portent chacun le quart de la responsabilité historique du réchauffement global, contre un peu plus de 10% seulement pour la Chine. A 22 euros la tonne de CO2 (prix du carbone en France en 2016), cela leur ferait une “dette carbone” commune de l’ordre de 4000 milliards d’euros…
Il y a plusieurs manières de considérer la responsabilité de chaque pays dans les perturbations climatiques présentes ou à venir dues aux émissions de CO2 issues de la combustion des énergies fossiles. On peut prendre le CO2 émis chaque année à cause de la combustion de pétrole, de charbon et de gaz. Dans ce cas, avec près de 11 milliards de tonnes de CO2 injectées dans l’atmosphère en 2012 (1), la Chine caracole maintenant largement en tête, loin devant les Etats-Unis (6,2 milliards), l’Union européenne (4,4), l’Inde (3), la Russie (2,3)… C’est l’approche qui a généralement été choisie dans le cadre de la mise en place des contributions nationales émises par la plupart des pays du monde en vue de la COP21 (2). De telles statistiques donnent en fait une photographie des émetteurs de CO2 à un moment donné. Et il s’agit bien sûr des émissions qui doivent maintenant être réduites.
Emissions de CO2 par habitant: une approche qui permettrait la mise en place d’un système de bonus/malus international
On peut également prendre pour chaque pays ces mêmes émissions mais les diviser par le nombre d’habitants. Dans ce cas, ce sont généralement des pays pétroliers ou gaziers ainsi que des paradis fiscaux qui se retrouvent en tête des émetteurs (1): Koweit (plus de 60 tonnes de CO2 par an et par habitant), Sultanat de Brunei (près de 50), Qatar (plus de 40), Oman (33), Trinidad et Tobago (30), Emirats arabes unis (23), Luxembourg (21), Arabie Saoudite (19)… Cependant, de très vastes pays comme l’Australie (29), le Canada (21) ou encore les Etats-Unis (20) font également partie du peloton de tête.
La pertinence de cette approche réside dans le fait que ce sont effectivement les hommes, collectivement et aussi individuellement, qui provoquent les émissions de CO2 issues des énergies fossiles. Mesurant une certaine empreinte écologique, cette méthode permet en plus aux êtres humains de se donner un but commun d’émission. Ainsi, c’est en s’appuyant sur une telle approche que la France à mis en place son objectif de “facteur 4” pour 2050 (réduction par 4 des émissions entre 1990 et 2050).
C’est également en s’appuyant sur cette approche qu’il serait possible, tel que le propose l’économiste français Christian de Perthuis, de mettre en place un système de bonus/malus international dans lequel les pays dont les habitants émettent plus qu’une moyenne mondiale prédéterminée paieraient pour ceux qui émettent moins.
Emissions de CO2 comparées au PIB: une approche qui mesure l’intensité carbone de l’économie mais qui peut être trompeuse
Troisième façon d’évaluer les émissions de CO2 dans un pays: mesurer les émissions d’une année donnée et les diviser par le produit intérieur brut (PIB) de cette même année. Cela donne en fait l’intensité carbone de l’économie (1). A ce jeu, c’est le Tchad (10,6 tonnes de CO2 par millions de dollars de PIB en 2012), le Mali (32,51) et d’autres pays africains qui mènent le bal si on ne prend en compte que le CO2… Si l’on prend en compte tous les gaz à effet de effet de serre, arrive alors en tête la Suisse (116), devant la Suède (130), Singapour (142), la Norvège (153), le Bouthan (168), la France (187), le Costa Rica (199)…
Autant cette approche peut être intéressante quand on veut montrer qu’une économie peut être plus ou moins carbonée pour un PIB similaire, autant elle devient vite trompeuse quand il s’agit d’évaluer une progression. En effet, si vos émissions de CO2 augmentent mais que votre PIB augmente encore plus fortement alors votre intensité carbone va… baisser. Est-ce un progrès ?
Emissions cumulées de CO2: une approche qui permet de mesurer la responsabilité historique des pays
Surtout, alors que le réchauffement global n’est pas dû aux émissions de gaz à effet de serre d’une seule année mais à leur accumulation progressive dans l’atmosphère, aucune de ces approches ne prend en compte le paramètre du temps pour mesurer la responsabilité historique des différents pays depuis le début de l’époque industrielle. Baptisée “proposition brésilienne”, une approche de ce type a néanmoins déjà été soumise à la communauté internationale par le Brésil vers 1997, au moment des accords de Kyoto. Soutenue par différents pays en développement, elle illustre les difficultés qui peuvent exister dans les négociations internationales.
Même s’il est bien sûr impossible de connaître exactement les gaz à effet de serre émis par tous les pays depuis le XIXème siècle, certaines évaluations donnent un ordre idée assez intéressant. Selon le CAIT Climate Data Explorer du World Resources Institute, la communauté humaine a émis environ 1400 milliards de tonnes de CO2 de 1850 à 2012 (en dehors du changement d’utilisation des sols et des forêts).
Emissions cumulées de CO2 (hors changement d’affectation des terres et forêts) depuis 1850.
Dans ce total, les chiffres du World Resources Institute montrent que les Etats-Unis (366 milliards de tonnes émises) et les pays européens (329 milliards de tonnes émises sur la base de l’Union européenne à 28) sont historiquement responsables de plus ou moins un quart chacun du réchauffement global actuel, soit ensemble la moitié. De son côté, la Chine n’est ici redevable que d’un peu plus de 10 % du cumul des émissions de CO2 dues aux énergies fossiles, et la Russie de 7,5%.
Quant à la France elle a émis à elle seule environ 34 milliards de tonnes de CO2 issues des énergies fossiles depuis 1850, ce qui équivaut à 9,3 milliards de tonnes de carbone, environ ce que l’humanité émet actuellement en un an. Ainsi, la France possède à ce jour 2,5% de la responsabilité historique du réchauffement global. C’est environ deux fois et demi la part qui lui est généralement attribuée (plus ou moins 1%) si l’on s’en tient aux émissions d’une seule année.
Emissions cumulées de CO2 et prix du carbone: une approche qui permet d’estimer des « dettes carbone »
A 22 euros la tonne de CO2 (prix donné au carbone en France pour 2016 dans les taxes intérieures sur la consommation des produits énergétiques d’origine fossile), cela reviendrait à une “dette carbone” de l’ordre de 200 milliards d’euros. A 56 euros la tonne (prix du carbone prévu en France en 2020 par la loi de transition énergétique), cette dette passerait à plus de 500 milliards d’euros ! 7500 euros par habitant.
Si l’on applique les mêmes prix du carbone à l’Union européenne et aux Etats-Unis, leurs “dettes carbone” historiques s’élèveraient respectivement à 2000 et 2200 milliards d’euros à échéance 2016 (900 milliards d’euros pour la Chine, 600 pour la Russie, 500 pour l’Allemagne…), et à 5000 et 5600 milliards d’euros à échéance 2020 (2300 milliards pour la Chine, 1600 pour la Russie, 1300 pour l’Allemagne…). Au total, la dette virtuelle globale des pays historiquement émetteurs seraient de plus de 8000 milliards d’euros avec un carbone à 22 euros la tonne, et de l’ordre de 20 000 milliards d’euros si l’on monte à 56 euros la tonnes.
Même si l’on divise par deux ces “dettes carbone” en partant du principe que les océans et les écosystèmes terrestres ont jusqu’à présent fait une partie du travail en absorbant environ la moitié des émissions de CO2 d’origine anthropique émises depuis le XIXème siècle, cette responsabilité historique se chiffre toujours en milliers de milliards d’euros…
On peut bien sûr arguer du fait qu’une telle approche serait injuste et culpabilisante, que les générations précédentes “ne savaient pas”… Mais on peut également considérer qu’elles auraient pu savoir bien plus tôt si certains scientifiques avaient été un peu plus écoutés, notamment par les élites: le Suédois Svante Arrhenius par exemple a publié, dès la fin du XIXème siècle, des calculs sur le réchauffement global causé par les émissions de CO2 issues des énergies fossiles. Le Britannique James Lovelock n’a pas été vraiment pris au sérieux avec son “hypothèse Gaïa”, approche globale du fonctionnement de la Terre, à la fin du XXème siècle. L’Américain James Hansen a également longtemps prêché dans le désert aux Etats-Unis concernant les risques réels du réchauffement global, et il n’est toujours pas complétement écouté…
(1) Toutes les données sont ici extraites du CAIT Climate Data Explorer du World Resources Institute
(2) 21ème Conférence des partie des parties (pays) adhérant à la Convention-cadre des Nations-Unies sur les changement climatiques (CCNUCC) qui s’est déroulée à Paris en décembre 2015, avec l’objectif de mettre en place un accord universel pour limiter le réchauffement global bien en desous de 2°C en visant 1,5°C.
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