SI les scénarios mêlant climat, énergie et économie se montrent très complexes, les perspectives qu’ils offrent dépendent en partie de données dites « exogènes », c’est-à-dire de données que les scientifiques introduisent dans leurs machines avant que leurs modèles ne moulinent. C’est notamment le cas du progrès technologique et de la croissance économique qui à long terme est toujours envisagée comme inéluctable. Pourtant, pic pétrolier oblige, cela n’est en rien démontré, bien au contraire.
Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) publie dans ses rapports (dans le dernier en 2013-2014 comme dans le prochain en 2021-2022) des scénarios d’évolution des émissions et de la concentration de gaz à effet de serre qui varient notamment selon différentes éventuelles actions qui seront effectuées ou non par les êtres humains pour les atténuer. Schématiquement, ces scénarios ont pour but de répondre à cette question: quelle trajectoire permettra d’atteindre tel ou tel objectif en termes de réchauffement planétaire ? Et ils servent également de plus en plus à l’élaboration de politiques climatiques, au niveau des états et des entreprises…
Toutes les hypothèses du GIEC supposent un monde en croissance matérielle
Aujourd’hui, il existe de multiples modèles différents, ou agrégations de modèles, qui produisent des scénarios. Une demi douzaine d’entre eux a permis la mise en place de « voies socio-économiques partagées » (shared socioeconomic pathways, SSP) qui servent de références pour les scénarios d’atténuation du réchauffement planétaire publiés par le GIEC. Cinq voies « nettement différentes sur les développements socioéconomiques futurs tels qu’ils pourraient se dérouler en l’absence de politiques et de mesures supplémentaires explicites visant à limiter le forçage climatique ou à renforcer la capacité d’adaptation », ont ainsi été déterminées. Cependant, toutes les hypothèses émises envisagent que la croissance économique mondiale (croissance du produit intérieur brut, PIB) perdurera forcément d’ici 2100, même si cette croissance s’avère très variable selon les cas.
La voie de la « croissance verte »
L’hypothèse du développement « soutenable » (SSP1, avec un monde qui « évolue progressivement, mais de façon généralisée, vers une voie plus durable, mettant l’accent sur un développement plus inclusif qui respecte les frontières environnementales perçues ») montre une croissance économique relativement forte, notamment par habitant. C’est la voie de la « croissance verte » en somme.
La voie de « la résurgence du nationalisme »
La voie qui montre la plus faible croissance à long terme est celle d’un monde qui connaît « la résurgence du nationalisme » (SSP3) et où « les préoccupations au sujet de la compétitivité et de la sécurité et les conflits régionaux poussent les pays à se concentrer de plus en plus sur les questions nationales ou, tout au plus, régionales ».
La voie du développement des énergies fossiles
A l’inverse, l’option qui montre la plus forte croissance (SSP5) est celle où l’exploitation des énergies fossiles demeurent importante, dans un monde où « progrès technologiques rapides et développement du capital humain » forment « la voie du développement durable », avec « une confiance dans la capacité de gérer efficacement les systèmes sociaux et écologiques, y compris par la géo-ingénierie ». C’est aussi la voie qui aboutit au réchauffement le plus intense.
La voie des progrès trop lents
Une quatrième voie (SSP2) imagine un monde dans lequel « les tendances sociales, économiques et technologiques ne changent pas de façon marquée par rapport aux modèles historiques », où « le développement et la croissance des revenus progressent de façon inégale, certains pays faisant des progrès relativement bons, tandis que d’autres sont en deçà des attentes », avec des institutions mondiales et nationales qui « progressent lentement vers l’atteinte des objectifs de développement durable. »
La voie de l’inégalité
Enfin, la cinquième voie servant de base à l’édification des scénarios du GIEC (SSP4) est celle d’un monde où les inégalités augmentent, où « l’écart se creuse entre une société connectée à l’échelle internationale qui contribue aux secteurs à forte intensité de connaissances et de capital de l’économie mondiale, et un ensemble fragmenté de sociétés à faible revenu et peu instruites qui travaillent dans une économie à faible intensité de main-d’œuvre et à faible technologie », avec une cohésion sociale qui se dégrade et des conflits et les troubles qui « deviennent de plus en plus fréquents ».
Et la voie du pic pétrolier et de la déplétion ?
Bien sûr, il ne s’agit pas de miroirs dans lesquels l’avenir pourrait être tracé. Il s’agit bien de dresser des tendances à long terme selon certains paramètres de base préalablement définis (croissance économique, évolution de la population, disponibilité des technologies…). Mais pour certains scientifiques, ces tendances de long terme n’apparaissent pas forcément taillées pour intégrer les phénomènes qui peuvent subvenir à plus court terme (comme une crise financière, une guerre, un événement inattendu…) et leurs effets.
Rien surtout sur l’hypothèse d’un pic pétrolier ou peak oil qui, lui, a pourtant toutes les chances d’avoir des effets à long terme, et des effets qu’il vaudrait mieux connaître et anticiper selon les experts. Au-delà des scénarios montrant depuis longtemps les limites à la croissance, il serait donc intéressant de faire également tourner des modèles informatiques en leur appliquant à des degrés variables une telle contrainte: déplétion, décroissance énergétique, décroissance du PIB… donc décroissance des émissions ? Bien sûr, d’aucuns pourront alors parler d’effondrement du système économique, notamment en cas de déplétion brutale. Mais le véritable enjeu dans ce cas ne serait-il pas justement d’arriver à gérer du mieux possible cette déplétion ?
D’autres limites aux modèles scientifiques
Clarté, accessibilité, absence de cadre d’évaluation commun aux scientifiques, non-représentation du système financier, valeur du taux d’actualisation dans les modèles socio-économiques, détermination du prix des énergies, impact des changements climatiques sur le système économique, effet rebond de l’efficacité énergétique… Le think tank français de la transition carbone The Shift Project a relevé de multiples autres limites de ces modèles. Pour certains chercheurs, ces modèles restent en fait perfectibles tandis que d’autres pensent avant tout qu’ils peuvent induire en erreur.
Face à l’urgence climatique qui risque de plus en plus permettre, y compris au GIEC, de justifier des « solutions » comme celles de la géo-ingénierie (bioénergie avec captage stockage du CO2, biocharbon, injection de particules dans la stratosphère, traitement des nuages, fertilisation et alcalinisation des océans, etc.), l’ONG nord-américaine ETC group souligne de son côté que « les modèles peuvent ne pas tenir compte de certaines variables ou interactions, ou, au contraire, en exagérer les effets. Ils ne doivent donc pas être considérés comme immuables », avertit-elle.
Par exemple, « même si les gaz à effet de serre déjà présents dans l’atmosphère auront des effets à long terme sur le climat, il existe de nombreux moyens de rechange à la géo-ingénierie pour résorber une partie des gaz à effet de serre en excès. La restauration prudente des écosystèmes naturels et l’agriculture agroécologique en sont deux exemples, mais le GIEC ne semble pas les considérer », estime l’ONG. A quand donc des hypothèses d’avenir plus complètes ?
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