Alors que d’aucuns voudraient toujours cantonner la question climatique dans le champ scientifique, en arguant du fait que le problème ne viendrait peut-être pas (que) de l’homme, un nombre croissant de citoyens prend conscience des risques réels encourus. Suit généralement une angoissante contradiction entre d’un côté ce que la raison nous susurre pour notre avenir, pour l’avenir de ceux que nous aimons, et de l’autre, nos actes réels, notre travail, nos courses, notre vie de tous les jours. Parce que nous sommes tous des enfants de cette société de consommation, du « toujours plus ». Parce que nous sommes tous des accros au pétrole, des « drogués », selon le terme employé par l’expert énergie-climat Jean-Marc Jancovici. Dès lors, la solution ne peut pas être douce. Les grandes pensées et les petits gestes quotidiens qui font les grands fleuves, bien qu’absolument nécessaires, resteront insuffisants sans changement radical de fonctionnement.
« C’est bien de dire tout ça, mais que fait-on alors précisément chacun de notre côté ? » Nous sommes nombreux à être restés désarmés devant une telle question. Car oui, que fait-on sinon devenir un tantinet dépressif, sinon schizophrène ? C’est précisément ici que le petit livre de Stéphane Hessel prend tout son sens. Réponses donc : 1- S’indigner du potentiel cauchemar mondial à venir. 2- Résister pour qu’il n’arrive jamais. 3- Penser aux solutions à mettre en œuvre.`
Loin du green washing et business vert siglé DD, il s’agit en premier lieu, avant que la Terre ne réagisse elle-même -sans aucun état d’âme, sans aucune humanité et sans aucune haine- de reconsidérer totalement et même douloureusement, tous ensemble mais également chacun de notre côté, l’ensemble de notre façon de vivre, de manière à rapidement émettre le moins de gaz à effet de serre possible, ou disons à émettre des gaz à effet de serre le plus intelligemment possible.
Résistance donc dans la consommation (du local, du réparable, moins de viande…), dans les transports (oublier la voiture, au moins dans sa version actuelle), dans les vacances (stop à l’avion, bonjour le temps de voyage qui devient temps de vacances…), dans la maison (se séparer de l’énergie fossile, limiter les appareils, éventuellement déménager…).
Mais cela veut également dire résistance sociale, dans les entreprises, dans la rue, avec des réseaux Internet, des réseaux de solidarité et de mobilisation, des réseaux d’échanges de produits, de services et de compétences, pour partager les difficultés, les efforts, les espoirs, les idées, les créations… Pour mutualiser notre intelligence et mettre au dessus de toute autre considération la viabilité de notre maison commune, et l’intérêt général du partage des ressources qui va avec.
Cette approche doit pouvoir agréger, c’est certain, des citoyens toujours plus nombreux, pour au moins deux raisons : le péril climatique, de plus en plus visible, approche et -que nous soyons Américains, Chinois, Russe, Saoudiens, Sénégalais ou Français- nous aimons tous nos enfants, normalement. Il nous est donc, il nous sera et il sera à nos filles et fils de plus en plus insupportable d’imaginer que nous construisons jour après jour un monde appelé à être invivable quand eux seront adultes !
Un tel discours ne serait-il pas celui d’un simple bobo, le vrai malheureux, n’arrivant pas lui à manger et à donner à manger à ses enfants, ayant tout perdu, avenir et dignité, et se fichant donc bien de savoir que le monde qui l’a laissé sur le bord du chemin court à la catastrophe ?
Au contraire. Loin d’être désespérant, ce combat est aussi celui du bien-être commun, de la paix. Il doit être capable de redonner un espoir d’avenir au plus grand nombre, et en particulier aux laissés pour compte du libéralisme déchaîné, face à la fuite en avant du « toujours plus » productiviste et de la consommation sans limite. Car l’énergie, le pétrole, en multipliant les machines de plus en plus complexes, évite certes à l’homme des tâches difficiles mais en même temps le prive de manière structurelle de travail, créant d’un côté du chômage et de l’autre un néo esclavage.
En remettant le travail manuel au centre de nos activités et de notre intelligence, en réorientant toutes nos activités du jetable au réparable, en prenant en compte la réutilisation des déchets fabriqués, en remplaçant la taxation du travail par la taxation des émissions carbonées, nous opérons une bascule. Nous inversons la tendance en fabriquant durablement de l’emploi. Nous créons du lien social et avons un but commun: la pérennité du système Terre. Comme pour le fumeur qui arrête la cigarette, les bénéfices de demain seront bien plus importants que les difficultés présentes.
« Si aujourd’hui (…) une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour que la pâte se lève », disait Stéphane Hessel. Alors qu’attend-on pour se lever ?