Notre façon actuelle de gérer notre activité sur Terre possède un point commun capital avec la manière dont les puissants financiers et leurs traders, guident les affaires et l’économie: tout le monde agit comme si nous vivions dans un monde sans limite, dans un monde infini. Or la Terre est bien un environnement clairement limité. Cet environnement est en particulier déterminé par les fines couches d’atmosphère et de terre nourricière qui protègent la vie, nos vies.
Pour être durables, toutes les actions de l’homme doivent être clairement circonscrites dans ce cadre, sans le menacer mais au contraire en l’entretenant, en le cultivant. Telle est la condition de notre survie: ne pas vouloir maîtriser, mater la nature mais se servir de ses mécanismes pour progresser.
La finance a quitté le monde réel il y a quelques dizaines d’années, dans les années 1970, le jour où le dollar, clé de voûte du système monétaire international depuis les accords de Bretton Woods en 1944, n’a plus été étalonné sur du concret, en l’occurrence sur l’or. En effet, l’or étant présent sur Terre en quantité déterminée, il formait –quels que soient par ailleurs les qualités et les défauts du système – un cadre physique. Il était peu ou prou une traduction, dans la sphère monétaire et financière, du caractère fini de notre environnement. Ironie de l’histoire, officiellement, il a été supprimé pour éviter les faillites bancaires.
L’absence de cadre monétaire physique a permis au capitalisme de se débrider sous l’influence du libéralisme économique, de se financiariser, de s’enfoncer dans l’impasse du « toujours plus » et des bulles spéculatives. Avec une spirale progressive d’appauvrissement du plus grand nombre et d’enrichissement d’une minuscule minorité.
Souvenez-vous. Il est quand même assez instructif de noter comment les propos à la volée, mais médiatiques, d’un footballeur comme Eric Cantona suggérant de retirer l’argent des banques pour faire s’écrouler le système, ait pu émouvoir à ce point les banquiers. Ce qu’il faut en retenir, c’est que l’argent est avant tout un jeu d’écriture et que les comptes en banque contiennent plus « d’argent » que les masses dont les banques disposent. Ce qui au passage relativise la véritable valeur de l’argent. Comment sérieusement imaginer que les 10 ou 20 % de gain qu’on va par exemple s’octroyer en une journée à la bourse, sont une véritable création de richesse ?
Pour émouvoir encore un peu les banquiers, Cantona pourrait même approfondir en conseillant à ceux qui en ont les moyens d’acheter de l’or pour limiter leur liquidité et sécuriser leur patrimoine. Et pour ensuite sortir ces pièces et lingots de leurs comptes-titres, c’est-à-dire des banques… Ce serait –hormis les question liées au vol- sans risque : si besoin, rien n’est plus simple que de revendre de manière tout à fait anonyme son or chez les marchands spécialisés et au cours en vigueur. Par exemple autour… du Palais Brongniart, l’ex-Bourse de Paris ! Mais les banques pourraient-elles fournir tout cet or ?
L’économie sort elle aussi du monde réel quand elle base son développement sur la croissance matérielle perpétuelle, celle du PIB, Produit intérieur brut. Car cette croissance s’appuie inévitablement sur la consommation des richesses de la Terre. Or cela fait également plusieurs dizaines d’années que nous consommons plus de biens offerts par la planète que celle-ci peut n’en produire.
Cette situation ne sera pas tenable longtemps et nous guide tout simplement vers un effondrement de nos sociétés, d’autant qu’une pierre angulaire des ressources naturelles est le pétrole dont l’extraction et l’exploitation ont fait exploser la concentration de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et dont les réserves géologiques sont limitées. Si bien que la quantité de pétrole que l’on pourra produire/consommer chaque année va à un moment donné inexorablement diminuer. Ce qui est une situation inédite depuis le début de l’industrialisation. Nous sommes actuellement au sommet de la courbe.
Pétrole et bouleversement climatique sont en fait les deux faces d’une même pièce, intimement liée à notre problématique de développement. Ce ne sont pas les autres sources d’énergies, fussent-elles renouvelables, qui vont seules pouvoir prendre le relais avant longtemps, c’est-à-dire avant que la réalité des énergies fossiles ne provoque diverses tensions économiques et géopolitiques sur la planète. On serait mieux armé pour franchir le cap si on avait persisté dans leur développement après avoir claironné, dans les années 1970, que la France n’avait pas de pétrole mais qu’elle avait des idées… Il va maintenant falloir passer par un goulet d’étranglement, où le désir de pétrole sera supérieur à ce que l’on pourra consommer, où les coûts de production seront de plus en plus lourds. Situation explosive.
Comme la finance, les activités de l’homme ont en fait besoin d’être reconsidérées et réalisées dans un cadre fini, limité : celui des capacités d’auto reproduction du système Terre.
De la conscience qu’acquiert le citoyen de la « Terre être vivant » doit donc découler une nouvelle manière d’aborder le développement de l’activité humaine. Un développement où l’intérêt général devient le maintien de la viabilité de la planète qui nous porte. Un « développement soutenable » comme le dit littéralement l’expression originale : « Sustainable development ». A l’intelligence humaine, qui reste évidemment immense, de mettre ensuite en place les outils de ce développement, un peu comme elle a su mettre en place… les actuels outils de l’économie productiviste et financiarisée !