Concentration record de CO2: la barre des 415 ppm franchie à Mauna Loa

A peine deux ans après avoir dépassé 410 ppm, la concentration de CO2 a franchi à la mi-mai la barre de 415 ppm au laboratoire de Mauna Loa, référence en la matière. A ce rythme, les 450 ppm – sonnant le glas de l’objectif d’une limitation de la fièvre planétaire à +2°C- seront atteints d’ici 2033. Et la hausse des émissions s’accélère cette année.

Evolution ces deux dernières années des concentrations moyennes quotidiennes, hebdomadaires et mensuelles de CO2, au laboratoire de Mauna Loa (Hawaï). Doc. NOAA

415,64 parties par million (ppm): c’est le nouveau record journalier de concentration de CO2 dans l’atmosphère établi le 15 mai à la station Mauna Loa, à Hawaï, par le Earth System Research Laboratory de l’Agence américaine NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), après plusieurs jours au dessus de la barre de 415 ppm qui n’avait jusque-là jamais été franchie depuis que l’on réalise ce genre de mesures. Ainsi, la semaine ayant commencé le 12 mai a atteint la moyenne record de 415, 39 ppm, soit 3,5 ppm de plus que l’an passé et 25 ppm de plus qu’il y a dix ans, sachant que le niveau à l’époque préindustrielle était de l’ordre de 280 ppm et qu’il ne faudrait pas dépasser 450 ppm à la fin du siècle pour conserver une chance sur deux de limiter la fièvre planétaire à +2°C, selon les données du GIEC, Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.

Le niveau actuel de CO2 est déjà incompatible avec une limitation du réchauffement global à +1,5°C

En fait, comme nous émettons avec l’usage des énergies fossiles (pétrole, charbon, gaz), environ le double de CO2 que peuvent capturer les océans et les écosystèmes terrestres, le record de la concentration atmosphérique de CO2 est systématiquement battu tous les ans. Cela se déroule au printemps, en avril – mai, c’est-à-dire plutôt vers la fin de la période de repos de la végétation de l’hémisphère nord, où l’on trouve la plupart des continents, c’est-à-dire également la plupart des arbres, plantes… Cette concentration atmosphérique de CO2 diminue ensuite pendant la période de croissance de la plupart des végétaux, puis remonte, bat son précédent record, et ainsi de suite. Les records 2018 était de 412,45 ppm en moyenne journalière (moyenne établie le 14 mai 2018), de 411,85 ppm en moyenne hebdomadaire (semaine commençant le 13 mai 2018) et de 411,24 ppm en moyenne mensuelle (mois de mai 2018). L’actuel record mensuel de 2019 est le mois d’avril avec une moyenne de 413,32 ppm. Il sera battu en mai.

Une telle succession de records ne pourra s’arrêter que lorsque nos émissions mondiales de CO2 deviendront inférieures à la capacité de « pompage » des océans et des continents, un stade que les experts appellent « neutralité carbone » et qui n’est pas attendu avant 2050 dans le meilleur des cas. Autrement dit, on a dès à présent toutes les chances de dépasser la barre de 450 ppm. Au rythme actuel, il faudra même moins de 15 ans pour y parvenir. Quant au niveau maintenant atteint, il est déjà incompatible avec une limitation du réchauffement global à +1,5°C qui nécessiterait de revenir bien en dessous de 400 ppm, toujours selon les rapports du GIEC. Pour mémoire, cette barre de 400 ppm a été franchie pour la première fois à Mauna Loa en mai 2013, il y a 6 ans.

Des émissions de CO2 fossile en hausse d’environ +2,7% en 2018

Question: vu l’urgence, les émissions mondiales sont elles prêtes à baisser ? Sauf crise majeure du genre pic pétrolier ou pénurie, la réponse est pour l’instant clairement non. En effet, si les émissions de CO2 sur le territoire des pays membres de l’Union européenne sont en diminution de 2,5% pour 2018 selon Eurostat (-3,5% en France, ce qui est même bien inférieur à ce qu’il faudrait tous les ans jusqu’à 2050 pour limiter le réchauffement bien en dessous de 2°C), cette baisse est très largement compensée à l’échelle du globe par une hausse par ailleurs générale: +4,7% pour la Chine, +2,5% pour les Etats-Unis, +6,5% pour l’Inde, selon l’organisation Global Carbon Project.

Importance relative des émissions de CO2 par pays. Plus le diamètre du cercle noir est important, plus les émissions sont importantes. Doc. Carbon Global Prroject.

Au total, la hausse globale 2018 des émissions de CO2 fossile atteint +2,7%, ce qui correspond en fait à une accélération du mouvement de hausse. A présent, ces émissions dues aux énergies fossiles dépassent 37 milliards de tonnes de CO2. Par comparaison, elles étaient de l’ordre de 20 milliards de tonnes dans les années 1980 alors que la problématique du réchauffement planétaire était déjà pointée du doigt sur la scène internationale, la création du GIEC datant de 1988.

20 pays représentent les trois quarts des émissions de CO2

Arrêté à 2017, l’actuel Top 20 des principaux émetteurs est celui-ci, selon les données de Carbon Global Project:

  1. Chine 9839 millions de tonnes de CO2
  2. Etats-Unis 5270
  3. Inde 2467
  4. Russie 1693
  5. Japon 1205
  6. Allemagne 799
  7. Iran 672
  8. Arabie Saoudite 635
  9. Corée-du-Sud 616
  10. Canada 573
  11. Mexique 490
  12. Indonésie 487
  13. Brésil 476
  14. Afrique du Sud 456
  15. Turquie 448
  16. Australie 413
  17. Royaume-Uni: 385
  18. France: 356
  19. Italie: 356
  20. Thaïlande: 331

Total: près de 28 milliards de tonnes de CO2 fossile, soit plus des trois quarts des émissions mondiales pour 20 pays.

Correspondance entre émissions de CO2, exploitation du sous-sol et concentration de richesse

Ce classement ne montre cependant pas les comportements les plus émetteurs. Si l’on prend maintenant les émissions des pays par habitant, la liste des plus mauvais élèves souligne l’intéressante correspondance entre les émissions de CO2, l’exploitation du sous-sol, notamment des énergies fossiles bien sûr, et la concentration de richesse que symbolisent les paradis fiscaux.

En effet, voici le top 20 des territoires les plus émetteurs par tête (année 2017):

  1. Qatar 49 tonnes de CO2 par habitant.
  2. Curaçao 39
  3. Trinidad-et-Tobago 30
  4. Koweit 25
  5. Emirats Arabes Units 25
  6. Brunéi Darussalam 24
  7. Bahreïn 23
  8. Nouvelle-Calédonie 20
  9. Arabie Saoudite 19
  10. Australie 17
  11. Etats-Unis 16
  12. Kazakhstan 16
  13. Luxembourg 16
  14. Canada 16
  15. Estonie 15
  16. Palaos 14
  17. Oman 14
  18. Iles Féroé 14
  19. Iles Bonaire, Saint-Eustache et Saba 14
  20. Saint-Pierre-et-Miquelon 13

La présence de deux territoires français dans une telle liste s’explique par le fait que la France n’intègre pas les émissions de certaines de ses régions d’outre-mer (Nouvelle-Calédonie, Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis et Futuna) dans sa comptabilité CO2 au sein de l’Union européenne, s’exonérant ainsi de certaines contraintes de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Or, les émissions de CO2 par habitant sont importantes en Nouvelle-Calédonie du fait notamment de l’exploitation du nickel et des centrales à charbon qu’elle nécessite. Quant à Saint-Pierre-et-Miquelon -un archipel isolé dans un environnement froid et où seulement quelques milliers de personnes vivent- la production électrique y est inféodée aux centrales thermiques à fioul.

Top 30 des pays aux « jours du dépassement » les plus rapides

Evalué pour les principaux pays par l’ONG Global Footprint Network, le « jour du dépassement« , c’est-à-dire le jour de l’année où la consommation d’une entité dépasse ce que la Terre peut en fait lui donner en un an, confirme en partie la concordance entre émissions, exploitation des ressources, concentration de la richesse. Ainsi, si tout le monde vivait comme au Qatar ou au Luxembourg, il faudrait 8 à 9 planètes comme la Terre pour que cela soit « durable ». Selon les données de l’ONG, voici le Top 30 des jours du dépassement les plus rapides pour 2019:

  • 1 Qatar 11 février
  • 2 Luxembourg 16 février
  • 3 Emirats Arabes Unis 8 mars
  • 4 Koweit 11 mars
  • 5 Etat-Unis 15 mars
  • 6 Canada 18 mars
  • 7 Danemark 29 mars
  • 8 Australie 31 mars
  • 9 Suède 3 avril
  • 10 Finlande
  • Belgique
  • Arabie Saoudite 6 avril
  • 13 Corée du sud 10 avril
  • 14 Singapour 12 avril
  • 15 Norvège 18 avril
  • 16 Russie 26 avril
  • 17 Slovénie
  • Irlande 27 avril
  • 19 Israël
  • Allemagne 3 mai
  • 21 Hollande 4 mai
  • 22 Nouvelle-Zélande 6 mai
  • 23 Suisse 9 mai
  • 24 Japon 13 mai
  • 25 France 14 mai
  • 26 Italie 15 mai
  • 27 Royaume-Uni 17 mai
  • 28 Chili 19 mai
  • 29 Grèce 20 mai
  • 30 Portugal 26 mai

 

11 réflexions sur « Concentration record de CO2: la barre des 415 ppm franchie à Mauna Loa »

  1. Ping : Concentration record de CO2: la barre des 415 ppm franchie à Mauna Loa – Enjeux énergies et environnement

  2. Bonjour et merci pour l’article

    Nous oublions de mentionner que nous sommes à 500 ppm de CO2eq selon les calculs de la NOAA
    https://www.esrl.noaa.gov/gmd/aggi/aggi.html

    Le carbone noir, la suie, est le 2e plus important contributeur au réchauffement climatique après le CO2, mais la mesure CO2eq ne comptabilise que les gaz, pas les aérosols,
    https://e360.yale.edu/features /carl_zimmer_black_carbon_and_global_warming_worse_than_thought

    « Climate scientists typically express that energy as watts per square meter of the Earth’s surface. The number they got — 1.1 watts — was enormous. »

    Quelques facteurs outres nos émissions expliquent la hausse de plus en plus rapide, dont certains feedback du système climatique, comme les arbres qui meurent, les forêts qui brûlent, les océans qui en absorbent de moins en moins et même en émettent à l’occasion, notamment l’océan austral.
    En résumé, les puits de carbone en capturent de moins en moins et en émettent de plus en plus

    Il y a aussi tout ce méthane qui se décompose en CO2 au fil des décennies.
    Ce sont ces « gouttes d’eau » qui font que le vase va déborder de plus en plus tôt.

    Le temps de réponse du système climatique est d’une relative lenteur. Dit autrement, si on cessait toutes les émissions de CO2 et autres GES demain matin, le climat continuerait de se réchauffer pendant… ou jusqu’à…

    Avant, on avait une idée… Désormais, nous savons le système climatique est un équilibre très fragile et que si on le pousse d’un côté, il va descendre la pente de plus en plus rapidement jusqu’à un nouveau point d’équilibre, quelque part entre 6°C et 14° de réchauffement.
    Difficile de savoir exactement à quel niveau le système climatique va basculer dans une période « hothouse Earth », c’est à dire un réchauffement d’au moins 5°C, possiblement le double… À plus de 5°C (il en reste donc 4) de réchauffement, il n’y aura plus de glace aux pôles mais ça va prendre du temps… Ce point de bascule a été estimé à 2°C et en a alarmé plusieurs. Ç’aurait du être phrasé ainsi :
    «Plus on approche du 2°C, plus le risque de précipiter la Terre en état d’étuve est grand.»
    Il y a aussi les feedback du pergélisol et autres sols, de la végétation, les aquatiques, des glaces et de la réduction de l’enneigement. Les nuages dont plusieurs demeurent difficilement calculables mais au sujet desquels une récente étude parlait d’e 8°C de réchauffement supplémentaire si les trato cumulus venaient à disparaître.

    La concentration de méthane augmente aussi très rapidement. Je viens à nouveau de poster un truc à ce sujet.
    http://www.climatecodered.org/2019/05/unexpected-surge-in-global-methane.html

    Les causes de cette hausse sont nombreuses, marécages plus chaud et donc plus actifs, plus de bétail, de culture de riz, mais ce sont surtout les émissions de l’industrie des combustibles fossiles qui en sont responsables.
    Je ne me souviens plus qui je cite ou paraphrase…
    «Bien que nous ayons tendance à regarder vers l’Arctique quand on parle de méthane, la cause principale de la hausse, c’est l’industrie des combustibles fossiles.»

    Possible aussi que ce qui dégrade la méthane dans l’atmosphère, les hydroxyles, suffisent de moins en moins à la tâche, qu’on approche la limite de ce que l’atmosphère peut digérer suggèrent d’autres scientifiques.

    Désolé, je n’ai pas de bonnes nouvelles
    C’est du courage que nous devons semer, il est trop tard pour l’espoir…

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  6. Bonjour
    Comment se fait-il que le taux de CO2 atmosphérique ait continué à augmenter pendant l’épidémie de covid 19 alors que quasiment toute l’industrie et les transports étaient à l’arrêt?
    Voir les courbes journalières de Mauna Loa.
    Comment l’expliquer?

    • Bonjour,
      1- La concentration atmosphérique de CO2 évolue sur une année en fonction principalement de la végétation, étant entendu qu’il y a plus de continents (donc de végétation) dans l’hémisphère nord que dans l’hémisphère sud. Ainsi, le taux de CO2 augmente quand l’activité végétale diminue (pic en avril-mai, printemps de l’hémisphère nord) et diminue quand l’activité végétale reprend (plus bas en septembre – octobre, automne de l’hémisphère nord). Et le pic (comme le plus bas) augmente chaque année du fait principalement de l’utilisation massive d’énergie fossile. L’épisode Covid19, provoquant juste une baisse temporaire des émissions, est négligeable à ce niveau de concentration.
      2 – Pour que la concentration atmosphérique de CO2 puisse éventuellement commencer à baisser il est nécessaire que nos émissions soient durablement divisée au moins par deux. En effet, ces émissions sont deux fois plus importantes que ce que captent les végétaux et les océans. Dit autrement, tant que nous n’aurons pas diminué dans cette proportion nos émissions, il est certain que la concentration de CO2 continuera à augmenter. De plus, si nous les diminuons dans cette proportion et que la baisse se poursuit ensuite, il n’est pas certain que la concentration de CO2 baisse. D’un côté, la hausse de la concentration de CO2 a forcé les végétaux à en capter davantage mais la montée en puissance du réchauffement fragilise les puits de carbone que sont les océans et les végétaux, ces derniers pouvant même devenir, au-delà d’un certain stade, émetteurs de CO2.

  7. Ping : Gaz à effet de serre: la barre de 500 ppm équivalent CO2 franchie! | Dr Pétrole & Mr Carbone

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