François Hollande veut faire de la France un modèle d’excellence écologique. Il ouvre sans doute là le chantier le plus important de son mandat. Mais avec quelle conscience de l’urgence climatique? Et avec quelle « transition » énergétique ?
A bien écouter et réécouter son discours d’ouverture de la Conférence environnementale du Gouvernement Ayrault, la première du nom (mais qui se répétera tous les ans), une chose semble certaine: François Hollande sait. Il sait que le « réchauffement » climatique (disons plutôt « changement » ou « bouleversement » climatique), un « fait scientifique » et non une « hypothèse », engage « l’avenir de l’humanité » (disons plutôt l’avenir de l’espèce humaine sur Terre); il sait que la « cupidité » obstrue actuellement le futur de nos enfants…
Conversion écologique de notre système de développement
Face à cela, le Président veut que la France, grâce à sa « transition » énergétique et écologique, et grâce à sa « diplomatie environnementale », montre la voie, à savoir « l’excellence » (elle aussi environnementale), ou dit-il encore, « la conversion écologique de notre système de développement ». Et François Hollande s’engage: à aller plus loin en terme de diminution des émissions de gaz à effet de serre (40% en 2030, 60% en 2040); à fortement renforcer l’efficacité énergétique; à reprendre l’idée de contribution carbone; à donner à la future Banque publique d’investissement une mission environnementale; à sortir de l’ornière les industries éoliennes et photovoltaïques; à refuser les permis d’exploitation des gaz de schiste qui viennent devant l’Etat; à lancer un plan de construction et rénovation thermique d’un million de logements par an; à taxer moins le travail et plus la pollution (c’est-à-dire l’énergie fossile?); à créer une Agence nationale de la biodiversité; à parvenir à un accord global sur le climat en 2015 (en accueillant au passage la conférence de l’ONU à Paris)…
François Hollande souligne également que ses décisions doivent déterminer l’avenir « pour de longues années », et qu’il s’agit ni plus ni moins que de trouver un « nouveau modèle de développement » par rapport à ce que l’on a connu au XXème siècle. Son approche pour mettre en place cet immense chantier, n’ayons pas peur des mots, sera celle de la « démocratie », de la « vérité » puis du « choix », car il n’y a « rien à craindre de la transparence », dit-il.
Quelle conscience du changement climatique?
Ici, il y a un léger hic. Si transparence il y avait véritablement dans la transmission de l’information scientifique aux citoyens, aucun media, aucune organisation sérieuse n’irait plus discuter ou minorer la réalité du changement climatique. Ce qui n’est en fait pas encore le cas. François Hollande lui même, dans son discours, a cité l’objectif de ne pas dépasser une augmentation moyenne de 2 degrés d’ici 2100 alors que les scientifiques savent et disent qu’un tel objectif n’est maintenant quasiment plus atteignable, sauf si l’on parvient d’ici la fin du siècle à (faire) pomper du CO2 de l’atmosphère. Pour l’heure, notre modèle actuel de fonctionnement nous conduit davantage vers 5 ou 6 degrés de plus en un siècle. Cela correspond à peu près à la différence entre un âge glacière et un climat tempéré… A notre échelle, il s’agit tout simplement d’une catastrophe.
Changement d’ère climatique, emballement climatique, extinction de la plupart des espèces, débâcles, inondations, tempêtes, épidémies, famines, guerres… Ou que sais-je encore, il n’est pas possible d’employer un autre mot que celui de « catastrophe », désolé. Ce n’est pas être « catastrophiste », c’est simplement évoquer avec conscience et gravité une réalité qui, si l’on n’y fait pas face, nous conduira à une situation réellement catastrophique. C’est cette vérité là que les hommes, y compris peut-être François Hollande, y compris chez les Verts, ont du mal depuis des années à regarder en face. Elle est tellement grosse cette vérité ! Du coup, les hommes n’agissent pas vraiment. Et pendant ce temps là, comme un cancer, le mal progresse et devient chaque jour un peu plus difficile à stopper.
En revanche, individuellement, une fois qu’on a passé le cap, que l’on a bien pris la mesure de la situation et que l’on s’est dit -« Ah là, c’est vrai que ça craint vraiment »- alors on peut commencer à discuter sérieusement des causes du problème et à réfléchir aux bons remèdes. Rassurez-vous, malgré un écho trop modeste, ce travail a été bien entamé depuis plusieurs dizaines d’années par nombre de scientifiques et de « militants climatiques », de Dennis L. Meadows à Jean-Marc Jancovici, en passant par James Lovelock, Hans Jonas, Jared Diamond, Lester Brown, Edgar Morin…
Une croissance limitée dans un monde fini
Voilà donc comment la « transition » énergétique et écologique pourrait s’entrevoir, sans forcément contredire les propos présidentiels salués par écologites, associations, ONG… D’abord, et c’est sans doute le point central, faudrait-il inscrire dans le marbre une fois pour toute que la croissance infinie de biens matériels, générant elle-même une croissance exponentielle de gaz à effet de serre, n’est pas compatible avec un monde fini comme le nôtre. Et qu’il en est de même avec la croissance de la population humaine. Dès lors, beaucoup de pays pourraient revoir leur conception de la démographie. Et les biens « réparables » pourrait être sérieusement favorisés face aux « consommables ».
On pourrait ensuite faire un tour dans l’histoire du monde depuis l’avénement du charbon, du gaz et du pétrole, ces énergies se trouvant à la source même de nos émissions de gaz à effet de serre. On y verrait que l’architecture même de notre société repose sur l’or noir, sa facilité d’emploi, sa puissance: les voitures, les villes, les banlieues, les ZAC, les voyages, les machines… Or, désormais, la production de pétrole n’augmente plus et l’extraction est arrivée à un palier. Un palier à partir duquel le pétrole coûte de plus en cher à exploiter. 1ère conséquence: des gisements hier non rentables pourraient le devenir, d’où du reste l’irruption des hydrocarbures de schistes dans le débat. 2ème conséquence: le prix des hydrocarbures est condamné à des hausses potentiellement brutales et volatiles. D’où certaines propositions d’augmentation régulières et prévisibles du prix de l’énergie pour éviter les situations de crise.
Détaxer le travail humain, taxer la consommation d’énergie
Par ailleurs, à quoi servent pour bonne part les énergies fossiles depuis 1750 ? A fabriquer et à faire fonctionner des machines, à rendre toujours plus rentable des productions, mais en ôtant des tâches aux hommes. D’où des propositions pour détaxer le travail humain et taxer en revanche la (sur)consommation d’énergie. Ce qui aurait pour effet de remettre à l’ordre du jour et à l’honneur le travail manuel, en particulier dans les campagnes, sinon dans les champs. Et ce qui apparaît cohérent avec une production de biens réparables, comme avec une relocalisation, et sans être injuste socialement. En revanche, il est vrai que l’avenir pourrait s’obscurcir pour différentes activités : construction automobile, aéroports, voyages à bas coût…
L’énergie fossile facile a par ailleurs facilité dans le bâtiment la construction des « passoires » thermiques, qu’il s’agisse d’immeubles collectifs ou de maisons individuelles. Pour certaines, la question est même de savoir s’il faut rénover ou s’il vaut mieux casser et reconstruire… Sans parler de la conception même des villes, bâties elles aussi en fonction des voitures individuelles. En tout cas, les propositions de rénovations/reconstructions existent. Le chantier est effectivement énorme. On pourrait même en profiter pour développer à grande échelle des énergies solaires trop peu souvent évoquées: les solaires thermique et thermodynamique.
Réduction des gaz à effet de serre: pas de place pour le nucléaire?
Enfin, la transition énergétique pose effectivement la question de l’évolution du « mix » énergétique de chaque pays, c’est-à-dire de son panel de sources d’énergie. Si l’urgence est bien de faire diminuer le plus rapidement possible les gaz à effet de serre, ce qui est effectivement le propos, il est nécessaire -en plus d’un puissant renforcement de l’efficacité énergétique- de remplacer progressivement la part des énergies fossiles par des sources d’énergie sobres en carbone, à savoir les énergies renouvelables et/ou l’énergie nucléaire. Qu’on le veuille ou non, en France, cette question là existe, même si elle est difficile compte tenu de certaines questions liées au nucléaire, notamment celle des déchets.
Si la réponse est de décider qu’en plus de l’urgence climatique -qui menace l’humanité à l’échelle d’un siècle- il y a nécessité à commencer en même temps à réduire le nucléaire, alors il devient nécessaire de remplacer à la fois les énergies fossiles et nucléaire par les renouvelables, ce qui devient un travail très couteux et de très long terme. A titre d’exemple, il a fallu 50 ans au pétrole pour s’imposer, et cela est considéré comme particulièrement rapide.
La nouvelle question est donc de savoir quel « chantier » la « transition énergétique » va faire attendre le plus et avec quels risques: le climat, pour lequel l’objectif de la France est maintenant d’atteindre une diminution de 40% de nos gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 2000 (et de 60% en 2040), ou le nucléaire pour lequel la France veut réduire la part de 75 à 50 % dans notre production d’électricité d’ici 2025 ? Aura-t-on, selon la volonté de transparence de François Hollande, un débat de vérité, démocratique et citoyen, sur ce sujet?
Discours de François Hollande lors de l’ouverture de la Conférence environnementale 2012
Dossier de presse de la Conférence environnementale 2012
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