La réduction progressive de l’utilisation des hydrofluorocarbures (HFCs) doit éviter une nouvelle aggravation future supplémentaire du réchauffement global. Cette bonne nouvelle ne règle pas pour autant le problème central du réchauffement planétaire, celui des énergies fossiles -pétrole, charbon, gaz- que les sociétés humaines doivent abandonner pour conserver un environnement viable.
Puissants gaz à effet de serre totalement créés par les hommes, les hydrofluorocarbures (HFCs) que l’on trouve dans les réfrigérateurs, climatiseurs, aérosols et autres mousses d’isolation, ne devront quasiment plus être utilisés d’ici 2050. C’est le MOP28 (1), réunion annuelle du Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone qui, après des années de négociations, l’a décidé en ce mois d’octobre à Kigali (Rwanda).
La concentration des HFCs augmente vite mais tout en restant marginale en termes de réchauffement planétaire
Ce n’est pas un hasard: en interdisant à partir de 1989 les chlorofluorocarbures (CFCs) puis les hydrochlorofluorocarbures (HCFCs) comme fluides réfrigérants parce que ces molécules étaient néfastes à l’ozone stratosphérique qui nous protège des rayons ultra violet du soleil, le Protocole de Montréal avait ouvert la voie aux HFCs pour les remplacer. Or, si les HFCs ne menacent pas la couche d’ozone, ce sont comme les CFCs et les HCFCs de puissants gaz à effet de serre.
Bilan: la concentration de HFCs a rapidement augmenté dans l’atmosphère. Selon le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), le forçage radiatif (2) du HFC-134a (le plus important des HFCs en termes de réchauffement global, que l’on trouve dans des réfrigérateurs, congélateurs et systèmes de climatisation), a ainsi doublé entre 2005 et 2011, passant de 0,0055 watt par mètre carré à 0,01 W/m2. A quantité égale et sur une échelle de 100 ans, le HFC-134a est 1300 fois plus puissant que le CO2. Doublement également pour le HFC-143a (utilisé pour des fluides réfrigérants) et le HFC-152a (aérosols, mousses de polystyrène extrudées) et +25% pour le HFC-23 (extincteurs) tandis que le forçage radiatif du HFC-32 (gravure plasma) a été multiplié par 5 et celui du HFC-125 (industrie des semi-conducteurs) par 3.
Cependant, la participation au réchauffement planétaire des HFCs -0,02 W/m2 pour les six HFCs cités- reste encore très marginal par rapport à celles des autres gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère: en 2011, 1,82 W/m2 pour le CO2, 0,48 W/m2 pour le méthane, 0,17 W/m2 pour le protoxyde d’azote, 0,17 W/m2 pour le CFC-12, le chlorofluorocarbure actuellement le plus « réchauffant » et qui a été notamment remplacé par le HFC-134a suite au Protocole de Montréal. A quantité égale et sur une échelle de 100 ans, le CFC-12 est 10 200 fois plus puissant que le CO2, près de 10 fois donc la puissance du HFC-134a.
Réduire l’utilisation de HFCs ne dispense donc en aucun cas de sortir des énergies fossiles
Toujours selon le GIEC, la famille des halocarbures (des gaz à effet de serre créés par l’homme) représentait au total en 2011 un forçage radiatif de 0,36 W/M2 dont 0,33 pour les gaz nocifs à la couche d’ozone qui ont déjà été émis et dont la durée de vie dans l’atmosphère peut être très longue. Elle atteint un siècle pour le CFC-12.
Ainsi, si l’effet des HFCs sur le réchauffement global reste à ce jour négligeable, le Protocole de Montréal fait en sorte, avec cet « amendement de Kigali », que la lutte contre le trou de la couche d’ozone n’aggrave pas à l’horizon 2050, à cause des hydrofluorocarbures, la question des gaz à effet de serre. « Business as usual », une étude publiée par Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America (PNAS) estime en effet que le forçage radiatif dû aux HFCs serait de l’ordre de 0,2 à 0,3 W/m2 à la moitié du XXIe siècle, principalement du fait de l’explosion de leur utilisation dans les pays en développement.
Dit autrement, dans le scénario du « laisser faire », les HFCs pourraient avoir en 2050 à peu près le même impact sur le réchauffement que les CFCs aujourd’hui, mais dans le contexte d’un forçage radiatif en forte augmentation, avec 4 à 5 W/m2 si l’on prend en compte tous les autres gaz à effet de serre et les effets « refroidissants » des aérosols. Réduire l’utilisation de HFCs ne dispense donc en aucun cas de sortir des énergies fossiles d’ici un petit demi siècle, afin de ne pas dépasser certains seuils de concentration atmosphérique en dioxyde de carbone, de l’ordre de 450 ppm (parties par millions) pour avoir encore une chance de conserver un environnement viable.
Sinon, à l’horizon 2100, le GIEC envisage dans son scénario « business as usual »` un forçage radiatif net de 8,3 W/m2 avec une contribution de 80% pour le CO2 et de 95% pour le CO2 et le méthane rassemblés, la pollution et l’usage des terres ayant pour leur part des effets plutôt « refroidissants » (-10% environ). On trouverait ensuite le protoxyde d’azote (N2O), l’ozone (O3) puis, avec quelques pourcents, les autres gaz à effet de serre dont les HFCs.
Une réduction de l’utilisation des HFCs à plusieurs vitesses
La réduction de l’utilisation des HFCs par les pays développés commencera dès 2019 avec les objectifs suivants: -10% par rapport à la moyenne 2011 – 2013 entre 2019 et 2023, -40% en 2024-2028, -70% en 2029-2033, -80% en 2034-2035 et -85% en 2036 et après. Un groupe de pays formé par la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Tadjikistan et l’Ouzbekistan, aura un calendrier légèrement différent: -5% en 2020-2024, -35% en 2025-2028, -30% en 2029-2033, -80% en 2034-2035 et -85% en 2036 et après.
Les pays en développement auront un peu plus de temps. Dans la plupart des cas, le calendrier est le suivant: gel de l’utilisation des HFCs entre 2024 et 2028, puis réduction de 10% en 2029-2034, de 30% en 2035-2039, de 50% en 2040-2044, et de 80% en 2045 et après. Pour certains pays en développement à climats très chauds et fortement dépendants des climatiseurs, le sursis sera un peu plus long: gel de l’utilisation entre 2028 et 2031, puis réduction de 10% en 2032-2036, de 20% en 2037-2041, de 30% en 2042-2046, de 85% en 2047 et après. Les pays faisant partie de ce dernier groupe sont le Royaume de Bahreïn, l’Inde, l’Iran, l’Irak, le Koweït, le Sultanat d’Oman, le Pakistan, le Qatar, l’Arabie Saoudite et les Emirats arabes unis.
D’autres gaz industriels à effet de serre: hexafluorure de soufre (SF6), perfluorocarbures (PFCs)…
Les « alternatives » aux HFCs comme fluides frigorigènes existent déjà avec les hydrofluoro-oléfines (HFOs) qui sont en fait des HFCs insaturés à faible durée de vie, et avec également les fluides dits « naturels »: ammoniac, CO2 et… hydrocarbures. On trouve dès à présent des HFOs dans des mousses d’isolation ainsi que dans la climatisation automobile, du CO2 également dans la climatisation, de l’isobutane dans le froid domestique, de l’ammoniac et du CO2 dans le froid industriel…
Enfin, la programmation de la réduction des HFCs ne doit pas faire oublier les autres gaz industriels à effet de serre, totalement créés par l’homme, même s’ils représentent aujourd’hui, comme les HFCs, un forçage radiatif minime. Il s’agit notamment de l’hexafluorure de soufre (SF6) et des perfluorocarbures (PFCs), également mentionnés dans les négociations sur le climat.
Selon le dernier rapport du GIEC, la durée de vie dans l’atmosphère du SF6, principalement utilisé dans l’industrie électrique, est de 3200 ans pour un potentiel de réchauffement global (PRG) à 100 ans équivalent à 23 500 fois celui du CO2. Concernant les PFCs, gaz fluorés qui peuvent servir aux climatiseurs, aux instruments de cuisson (anti-adhésif), aux imperméabilisants ou encore aux emballages, leur durée de vie se compte régulièrement en milliers d’années pour des puissances valant des milliers de fois celle du CO2 à quantité égale. Le GIEC souligne que 99% d’une émission de perfluorométhane (fréon 14 ou PFC-14 ou encore CF4, émis par l’industrie de l’aluminium, et notamment utilisé dans les technologies au plasma) seront toujours présents dans l’atmosphère 500 ans plus tard. Potentiel de réchauffement global à 100 ans: 6630 fois celui du CO2. Durée de vie: 50 000 ans.
(1) 28ème rencontre des parties du Protocole de Montréal sur les substances qui appauvrissent la couche d’ozone. Les MOP sont un peu au Protocole de Montréal ce que les COP, conférences des parties, sont à la Convention-Cadre des Nations-Unies sur les changements climatiques (CCNUCC).
(2) Forçage radiatif: estimation du réchauffement (ou du refroidissement pour un forçage radiatif négatif) dû à telle ou telle cause. S’estime en watt par mètre carré.
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