Pétrole: 2016, année “charnière”

Prévoyant un déficit de trésorerie de plus de 102 milliards de dollars cette année pour les 134 entreprises d’exploration et de production de pétrole cotées et opérant en Amérique du Nord, le cabinet AlixPartners estime que, “pour survivre”, ces entreprises doivent continuer à réduire drastiquement leurs investissements de 30 à 50% supplémentaires, leurs coûts de sous-traitance de 20 à 30%, et bien sûr leurs charges salariales. Tout cela en envisageant des cessions d’actifs… Et en attendant déplétion et “stranded assets”.

Evolution des dépenses d'investissement dans le secteur pétrolier

Evolution des dépenses d’investissement dans le secteur pétrolier. Il y a comme un pic… Doc. AlixPartners.

Alors que le cours du pétrole est finalement tombé à la mi-janvier en dessous de 30 dollars le baril et que certaines prévisions envisagent maintenant une chute en-deçà de 20 dollars, une étude du cabinet international de conseil en stratégie AlixPartners prévoit pour 2016 un déficit de trésorerie de plus de 102 milliards de dollars pour les 134 entreprises d’exploration et de production cotées et opérant en Amérique du Nord, soit environ 2 milliards de dollars de pertes par semaine ou encore 280 millions par jour.

Ces entreprises “ne peuvent pas survivre très longtemps sans trésorerie”

Pour AlixPartners ce déficit “vertigineux” met en évidence “un besoin urgent de générer des liquidités pour l’ensemble des entreprises de ce secteur” : entreprises d’exploration et de production -y compris les grandes compagnies intégrées-, prestataires de services et d’équipements pétroliers ou encore raffineries. “Les acteurs concernés peuvent en effet s’en sortir sans bénéfices mais ne peuvent pas survivre très longtemps sans trésorerie, nécessaires au paiement des factures et au maintien de l’activité”, commente AlixPartners.

Le constat de base, c’est que les compagnies exploitantes continuent à pomper alors que le marché est engorgé, que la croissance chinoise est revue à la baisse et qu’il faut également compter avec le retour de l’Iran dans le concert de l’or noir. Or, la hausse de la demande mondiale de pétrole sera limitée pour 2016 à 1 – 1,5%, selon AlixPartners qui prévoient ainsi que les prix du pétrole WTI resteront volatils et n’augmenteront pas à plus de 45 à 65$ ces prochaines années.

Progression à prévoir de l’activité fusion – acquisition

Confirmant que ces prix du pétrole “se situent en dessous du seuil de rentabilité dans de nombreuses régions de forage”, AlixPartners note que nombre de bassins “se trouvent dans la « zone rouge » et que “même les plus importants d’entre eux sont actuellement en difficulté”. Aux Etats-Unis, les seuils de rentabilité des champs de Barnett, Bakken et Eagle Ford peuvent par exemple respectivement atteindre plus de 62 $, 65 $ et 70 $, indique le rapport.

L’étude montre également que les profits de 2015 de ces entreprises sont en baisse de 20 à 30 % sur la base de l’EBIT (Eanings before interest and taxes) et que la rentabilité sur capitaux employés (ROCE) du secteur sera de 3% contre 20% il y a une dizaine d’années. Pour “sortir de l’impasse” et “survivre à cette récession”, le secteur doit “continuer à réduire drastiquement ses investissements (30 à 50% de réductions supplémentaires), ses coûts de sous-traitance (de 20 à 30%), ses charges salariales tout en envisageant des cessions d’actifs”, ajoute AlixPartners qui pronostique une progression de l’activité fusion – acquisition pour 2016.

Les dépenses d’investissement (capex) pour l’exploration et la production ont déjà chuté de 741 milliards de dollars en 2014 à 541 milliards de dollars l’an passé, soit – 27%. “L’activité de forage aux Etats-Unis a décliné de plus de 50% dans les douze derniers mois”, complète AlixPartners.

“Le secteur doit adapter et même réinventer son modèle économique”

Les conclusions de l’étude invitent également les entreprises “à améliorer la productivité de leurs sites en se concentrant sur leur empreinte opérationnelle, en réorganisant leurs équipements, en supprimant les sites de services peu rentables, en harmonisant les tâches collectives et en identifiant les puits qu’elles pourraient céder ou fermer”.

Côté emplois, même si plus de 200 000 suppressions de postes ont déjà eu lieu dans le secteur depuis dix-huit mois, il faut selon AlixPartners “aller plus loin que les licenciements à grande échelle déjà effectués afin de réduire les coûts du travail de façon efficace”.

« La récession actuelle ne ressemblera à aucune autre car elle est le fruit du succès du forage non conventionnel, du ralentissement de la Chine mais aussi d’une décennie de hausse immodérée des coûts soutenue par des prévisions très optimistes de prix » commente Florent Maisonneuve, Managing Director chez AlixPartners et co-responsable Europe de la practice Oil & Gas. Pour lui, « Le secteur doit adapter et même réinventer son modèle économique. 2016 s’annonce donc comme une année charnière. Pour espérer survivre et prospérer par la suite, les entreprises vont devoir se montrer à la fois audacieuses et proactives. »

Et sans parler de la suite, à savoir de la déplétion qui à terme va forcément poindre à la suite de la chute de l’activité de forages, avec des prix volatils repartant alors à la hausse… Et du problème des “stranded-assets”, actifs “bloqués” et devant perdre leur valeur du fait de l’impossibilité de brûler 80% des réserves actuellement disponibles d’énergie fossile (pétrole, charbon, gaz) si l’on veut conserver une chance de limiter le réchauffement global à +2°C, objectif universellement confirmé par l’Accord de Paris issu de la COP21…

3 réflexions sur « Pétrole: 2016, année “charnière” »

  1. Ping : Pétrole: 2016, année “charnière” |

  2. bonjour
    belle analyse.
    je vous propose d’inscrire 2009 comme année charniere pour le pétrole, date où le ROACE a plongé face à l’augmentation des couts d’exploration et conséquemment de maintenance (Total, seadrill….).
    cela a fait re-augmenter les prix du pétrole jusqu’en 2014 pour accompagner les investissements plus importants (plus profonds)
    depuis 2015, la guerre du prix par l’arabie a été compensée par une baisse des investissements, la vente d’actifs mais surtout le recours à l’endettement pour maintenir le dividende semble-t-il

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