Loi de transition énergétique: – 40% de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, est-ce vraiment suffisant ?

L’un des objectifs directeurs du projet de loi relatif à la transition énergétique “pour la croissance verte”, est de réduire de 40% à l’horizon 2030 les émissions françaises de gaz à effet de serre par rapport à 1990. Différents calculs montrent qu’on gagnerait à porter l’ambition à – 55% au moins, en particulier dans la perspective du sommet sur le climat de Paris fin 2015, celui-ci devant déboucher sur un accord mondial contraignant pour limiter à +2°C le réchauffement global depuis l’ère préindustrielle. Question également de respect pour les générations à venir.

Les scénarios du GIEC. Nous sommes actuellement sur la trajectoire rouge. L'enjeu de la conférence sur le climat de Paris, fin 2015, est de nous faire viser la courbe bleue foncé. Doc. IPCC

Les scénarios du GIEC. Nous sommes actuellement sur la trajectoire rouge. L’enjeu de la conférence sur le climat de Paris, fin 2015, est de nous faire viser la courbe en bleu foncé, avec plus aucune émission de carbone d’ici la fin du siècle. Doc. IPCC

Etudié à partir de ce 1er octobre à l’Assemblée nationale, le « projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissante verte » va engager la France pour plusieurs dizaines d’années. L’un de ses principaux objectifs généraux est de « réduire les émissions de gaz à effet de serre de 40 % entre 1990 et 2030 » et de les diviser par quatre entre 1990 et 2050 (ce qui revient à une baisse de 75%).

Si cet objectif de -40% à l’échéance 2030 est réputé faire « consensus » depuis qu’il a été annoncé par le président François Hollande lors de la Conférence environnementale de 2012, sera-t-il pour autant suffisant en termes d’efficacité et d’ambition, notamment dans la perspective de la conférence sur le climat qui sera accueillie fin 2015 en France, et qui affiche la volonté de mettre en place un accord mondial contraignant en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre de sorte que l’on ne dépasse pas +2°C de réchauffement global depuis le début de l’ère industrielle ? Plusieurs calculs montrent que, pour faire vraiment preuve d’ « excellence » et montrer la voie comme il a été promis, on gagnerait à avoir une ambition de l’ordre de – 55% au moins.

Au niveau planétaire, – 40% de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030, c’est – 54% entre 2012 en 2030

1- Selon le rapport officiel 2014 de la France (1), nous sommes passés dans ce pays (hors utilisation des sols et forêts) de 560 millions de tonnes équivalent CO2 d’émissions de gaz à effet de serre en 1990, à 496 millions en 2012, soit une baisse de 11,4% (-22% par habitant). Sur cette base, notre objectif de -40 % en 2030 par rapport à 1990 reviendrait à émettre à cette date au maximum 336 millions de tonnes équivalent CO2. Cela représente un effort de -32,3% par rapport à 2012.

Au niveau mondial cependant, une baisse équivalente (-40% entre 1990 et 2030) impose à la planète une réduction d’au moins 54% par rapport aux émissions globales de 2010, selon les chiffres de la base de données européenne EDGAR (38,3 milliards de tonnes équivalent CO2 émises en 1990 contre 50,1 milliards en 2010). Questions: Comment dès lors demander aux autres d’appliquer une telle baisse sans s’y engager soi-même ? Comment expliquer aux Chinois qu’ils devraient faire les mêmes efforts par habitant que les Français alors que nos progrès depuis 1990 sont en partie issus de l’explosion de leurs émissions durant la même période (près de 300% d’augmentation) ?

Faire un effort de -40% en 40 ans (1990-2030), c’est obliger la génération suivante à faire un effort de -60% en 20 ans (2030-2050)

2- Si nous réduisons nos émissions de GES de 40% en 2030 par rapport à 1990, nous passerons donc d’un indice 100 en 1990 à un indice 60 en 2030, avec pour objectif un indice 25 en 2050 (division par 4 des émissions par rapport à 1990). Conséquence: en décidant de faire un effort de -40 % en 40 ans (passage de l’indice 100 à l’indice 60) et de -75% entre 1990 et 2050 (passage de l’indice 100 à l’indice 25), on lègue à la génération suivante l’obligation de réduire les émissions de gaz à effet de serre d’environ 60 % entre 2030 et 2050 (passage de l’indice 60 à l’indice 25), c’est-à-dire en 20 ans… Et cela alors que le monde sera de plus en plus contraint par la problématique énergie-climat.

Les premiers efforts sont les plus faciles à réaliser

3- Comme nous vivons encore actuellement toujours dans une sorte de gabegie énergétique, les premiers efforts seront mécaniquement les plus faciles à faire. Ceux de 2030 devraient être au moins pour partie assez différents…

Accord climat 2015 de Paris: quelques hypothèses d’objectif global

4- Le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne dans son rapport 2013-2014 que pour conserver une chance de rester dans la limite de +2°C de réchauffement global depuis l’ère préindustrielle, nous ne pouvons plus émettre pour le restant du siècle qu’environ 270 milliards de tonnes d’équivalent carbone (GTC) de CO2 à partir de 2012. Nous en émettons actuellement plus de 10 par an (10,8 pour 2013).

Ce « réservoir » de 270 GTC de CO2 (très inférieur au potentiel total d’émissions des réserves prouvées d’énergie fossile) ne représente que 27 ans d’émissions sur la base de 2012, donc à peine de quoi aller jusqu’en 2040. Selon Jean Jouzel, vice-président du GIEC, cette situation nous impose de diviser les émissions humaines de gaz à effet de serre par trois entre 2020 et 2050 à l’échelle de la planète (mais bien plus pour les pays industrialisés).

Faisons donc l’hypothèse que l’accord climat de Paris -qui ne rentrera en application qu’en 2020- ait pour objectif d’émettre en 2030 deux fois moins de CO2 qu’en 2012, soit 5 GTC, et qu’on arrive vers 2020 à un maximum mondial d’émissions annuelles de l’ordre de 11-12 GTC, ce qui est très optimiste. Dans ce cas, en atteignant l’objectif de –50% en 2030, nous aurons quand même peu ou prou émis entre 2012 et 2030, 160 GTC (dont 80-90 GTC d’ici 2020). Le « réservoir virtuel » afficherait donc alors environ 110 GTC de réserve pour arriver à zéro carbone avant la fin du siècle, soit une vingtaine d’années des émissions de 2030.

Imaginons maintenant que l’objectif 2030 de l’accord devant être signé l’année prochaine soit une baisse globale de 30% des émissions par rapport à 2012 (c’est à peu près l’ambition de la France par rapport à ses émissions de cette année là) et qu’on arrive encore à stabiliser les émissions mondiales d’ici 2020 à 11-12 GTC de CO2. Il resterait alors une réserve d’environ 90 GTC à émettre en 2030 pour arriver à zéro carbone avant la fin du siècle, soit 13 ans des émissions 2030 (7 GTC). Si l’ambition baissait à – 20%, la réserve afficherait seulement 11 ans des émissions de cette année là. Avec une ambition de -10%, la réserve tomberait à 80 GTC environ pour moins de 10 ans d’émissions…

Jusqu’à près de 20% d’incertitude dans les mesures des émissions

5- L’objectif de – 40% d’émissions de gaz à effet de serre entre 1990 et 2030 ne prend pas en compte les risques liés aux incertitudes actuelles de l’évaluation de nos émissions. Selon le rapport officiel 2014 de la France (1), “l’incertitude sur les émissions (potentiel de réchauffement global –PRG- total) hors UTCF (utilisation des sols et forêts) pour l’année 2012 est de plus ou moins 16,7% en niveau d’émission”. Ainsi, les émissions totales 2012 des six gaz à effet de serre “directs” sont évaluées pour la France à 496 millions de tonnes équivalent CO2, mais pour une fourchette allant de 413 à 579 millions de tonnes. L’incertitude dépasse 19% si les émissions liées à l’utilisation des sol et aux forêts sont incluses. Dans les deux cas, l’incertitude est plus importante que les progrès officiellement affichés depuis 1990.

Et si on prenait en compte la déplétion pétrolière ?

6- L’objectif de -40% ne prend pas en compte le pic pétrolier mondial. Sauf si l’on utilise toujours plus intensément du charbon malgré la contrainte climatique -ce qui n’est en fait pas du tout exclu- la déplétion pétrolière issue du pic que nous passons actuellement, va elle-même favoriser une réduction des émissions (du moins celles qui sont issues des produits pétroliers), mais avec par ailleurs des conséquences subies, surtout si on ne l’anticipe pas.

(1) Rapport national d’inventaire pour la France au titre de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

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