Le Sahara mange le Sahel

Alors que la sécheresse s’invite une nouvelle fois cette année au Sahel, une étude de chercheurs de l’université du Maryland, révèle que la superficie du Sahara a progressé d’environ 16% en été depuis près d’un siècle, directement en partie du fait du réchauffement planétaire. Quel avenir pour les populations de cette région déjà déstabilisée ?

Le Sahel est la bande frontière semi-aride entre le Sahara et la zone plus fertile située au sud, le Domaine soudanien. © Nasa/Goddard Space Flight Center Scientific Visualization Studio.

Depuis près d’un siècle, le Sahara a progressé à la fois au nord vers la Méditerranée, et au sud dans le Sahel. Une étude, menée par Sumant Nigam et Natalie Thomas, de l’Université du Maryland aux Etats-Unis, a calculé qu’il s’est étendu de 10% en moyenne annuelle (soit de 900 000 km2) et jusqu’à 16% pour la saison estivale, soit environ 1 400000 km2 de plus qu’en 1920… Près de trois fois la superficie de la France ! Ce qui ne peut qu’inquiéter: de manière saisonnière, ce désert (*) a tendance à étendre sa surface durant les hivers, qui sont secs, et à la réduire durant les étés, qui sont plus humides. Cette avancée du Sahara est générale sur toute la largeur de l’Afrique, à l’exception de deux secteurs situés au nord et dans la pointe sud de l’Algérie, qui ont reverdi.

Réchauffement et mécanismes climatiques à l’œuvre

Selon cette étude publiée fin mars dans le Journal of Climate de l’American Meteorological Society, cette progression du Sahara depuis 1920 est pour partie directement causée par le réchauffement planétaire. « Les déserts se forment généralement dans les régions subtropicales du fait de la circulation de l’air dans les cellules de Hadley« , explique Sumant Nigam professeur de sciences atmosphériques et océaniques. En clair, de l’équateur au tropique, l’air monte d’abord dans l’atmosphère au niveau de l’équateur puis redescend en s’asséchant dans la zone subtropicale. Pour Sumant Nigam, le réchauffement à l’équateur élargit probablement la zone de circulation de cet air, causant ainsi l’avancée vers le nord des déserts subtropicaux.

L’avancée vers le sud du Sahara suggère cependant, toujours selon lui, que d’autres mécanismes du système climatique, influençant notamment le phénomène de mousson, sont également à l’œuvre, comme les cycles de variations décennales des températures à la surface des océans: oscillation multi-décennale de l’Atlantique (AMO) qui alterne à l’échelle de plusieurs décennies (dans la partie nord de cet océan et avec une amplitude de quelques dixièmes de degrés) les anomalies moyennes positives et négatives; oscillation décennale du pacifique (PDO) qui alterne, tous les 20-30 ans, les phases chaudes et froides au centre du Pacifique et dont les effets sont répercutés par une circulation atmosphérique qui prend forme au niveau de l’équateur (circulation atmosphérique de Walker). Localement, les forçages de ces oscillations sont ensuite plus ou moins amplifiés par la quantité d’eau dans les sols, par l’albédo, par la dynamique de la végétation… Sans parler d’une autre variation cyclique, plus courte: El Nino.

Ainsi, les phases chaudes de l’AMO sont par exemple favorables à l’augmentation des précipitations au Sahel, qui est la zone climatique de transition (semi-aride) entre le Sahara et la savane fertile plus au sud, sur toute la largeur de l’Afrique. Au contraire, les phases froides à la surface de l’Atlantique sont plutôt favorables à la sécheresse dans cette région, sécheresse qui s’est déjà illustrée par des famines dans les années 1970 et 1980…

Pour quantifier la part directe du réchauffement planétaire anthropique dans cette avancée du Sahara, les scientifiques ont utilisé des méthodes statistiques qui ont retiré les effets des cycles naturels du climat sur les variations des précipitations. Conclusion: le réchauffement global serait directement responsable du tiers de la progression du Sahara depuis un siècle. Mais des relevés climatiques plus longs sont nécessaires, selon les responsables, pour aboutir à des conclusions plus fiables.

« En Afrique, la tendance d’étés chauds qui deviennent plus chauds et de saisons des pluies qui s’assèchent sont liés à des facteurs qui incluent l’augmentation des gaz à effet de serre »

Surtout, alors que nous sommes depuis une vingtaine d’années dans une période positive de l’oscillation multi-décennale atlantique, théoriquement donc plutôt propice aux précipitations au Sahel, l’étude confirme que le Sahara gagne toujours du terrain, notamment l’été. Indicateur du changement: le Lac Tchad. « Le bassin du Tchad se réduit au fur et à mesure que le Sahara descend vers le sud. Et le lac s’assèche. C’est une empreinte très visible de la réduction des précipitations, pas seulement au niveau local mais à travers l’ensemble de la région », explique Sumant Nigam. Ce qui ne peut et ne pourra donc que favoriser, ici, les situations de crises humanitaires.

En cette année 2018, la sécheresse a du reste une nouvelle fois donné rendez-vous au Sahel. Plus généralement, en analysant les tendances relatives aux températures en surface, les scientifiques montrent que le stress thermique a augmenté dans plusieurs régions d’Afrique, y compris au Soudan et en Afrique du Nord. « De manière générale, la partie nord du continent s’est plus réchauffée que la partie sud, en toutes saisons », souligne l’étude. Des tendances à la baisse des précipitations sont notamment identifiées pour les pays bordant le Golfe de Guinée, en particulier dans les bassins du Niger et du Congo.

« En Afrique, la tendance d’étés chauds qui deviennent plus chauds et de saisons des pluies qui s’assèchent sont liés à des facteurs qui incluent l’augmentation des gaz à effet de serre et des aérosols dans l’atmosphère », argumente Ming Cai, directeur de programme à la division des sciences atmosphériques et géospatiales de la Nationale Science Foundation, qui a financé ces recherches. « Cette tendance a un effet dévastateur sur la vie des populations africaines qui dépendent d’économies basées sur l’agriculture », prévient-t-il.

Une région déjà fragilisée: insécurité alimentaire, épidémies récurrentes, systèmes de santé défaillants, gouvernement par la violence, djihadisme…

Pour ces chercheurs du l’Université du Maryland, la prochaine étape sera d’étudier à quoi peuvent conduire ces tendances… En effet, quid de l’avancée du Sahara quand on aura basculé dans une phase négative de l’AMO, favorisant traditionnellement elle-même la sécheresse au Sahel ? Rappelons que cette région déjà fragilisée aujourd’hui –insécurité alimentaire, épidémies récurrentes, systèmes de santé défaillants, gouvernement dans la violence, djihadisme…- abrite des dizaines de millions d’êtres humains de l’Atlantique à la mer Rouge, notamment au Sénégal, en Mauritanie, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, au Nigeria, au Tchad, au Soudan… Et avec toujours une importante croissance démographique.

Enfin, « nos résultats sont spécifiques au Sahara, mais ils peuvent avoir des implications pour les autres déserts du monde », estime Sumant Nigam: désert d’Arabie, désert de Gobi, désert d’Australie, désert d’Amérique du Nord… Quid en effet de terres aujourd’hui arables avec un réchauffement de 2, 3 ou 4°C de plus ? Il y a 8000 ans, avec une planète plus froide de 4°C en, le Sahara était verdoyant…

(*) Un désert est défini par des précipitations annuelles de 100 mm par an sinon moins.

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