Faut-il parler de « réchauffement climatique » ou de « chaos global » ?

En février, alors que la planète était « balayée » par des événements extrêmes, la température moyenne dans l’hémisphère Nord n’a été que la 53e plus chaude (depuis plus d’un siècle) à la surface des terres mais la 5e plus chaude tout à côté, à la surface des océans, selon les données de l’agence américaine NOAA. Etonnant non?

Température moyenne à la surface des terres et des océans en février 2014 par rapport à la moyenne des 30 dernières années (période 1981-2010). De profondes distorsions selon les régions du globe. Doc NOAA.

Températures moyennes à la surface des terres et des océans en février 2014 par rapport à la moyenne des 30 dernières années (période 1981-2010). De profondes distorsions selon les régions de l’hémisphère Nord. Doc NOAA.

Un vrai casse-tête le climat ? Même si cet hiver a été particulièrement doux en Europe et le 2e le plus chaud depuis 1900 pour la France, la période décembre-février pointe sur le plan planétaire à la 9e position selon le centre de données NCDC de l’Agence américaine NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), et le mois de février est seulement estimé comme le 21e mois de février le plus chaud depuis la fin du 19e siècle. C’est le premier mois depuis mai 2013 à ne pas figurer dans son Top Ten NOAA des mois les plus chauds. Si l’on ne prend en compte que la surface des terres (où l’on vit faut-il rappeler), il se classe même au 44e rang des mois de février les plus chauds, c’est-à-dire au niveau de l’année 1943 !

On imagine d’ici les sourires « sceptiques » murmurer une nouvelle fois que le « réchauffement » ralentit, qu’il est même un leurre… Pour améliorer la compréhension du problème climatique et qualifier au mieux la réalité qu’impose une concentration croissante de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, ne serait-il pas plus clair et pertinent de parler de « chaos » ou de « bouleversement » plutôt que de « réchauffement »  ? La réponse est « oui ». Voici pourquoi…

« Nombre des phénomènes extrêmes survenus en 2013 correspondent à ce à quoi l’on pouvait s’attendre dans le contexte du changement climatique »  (Organisation météorologique mondiale)

Ce qui est frappant dans ce mois de février, durant lequel des événements extrêmes ont fait les gros titres (tempêtes et inondations à l’ouest de l’Europe, froid polaire et tempête de neige aux Etats-Unis…), ce sont avant tout les fortes disparités météorologiques régionales dans l’hémisphère Nord quand on fait le tour du globe (voir la carte du centre de données du NOAA, ci-dessus). Partons de l’Atlantique Nord et allons vers l’est:

– Grand froid dans l’Atlantique Nord entre l’Amérique du Nord et l’Europe de l’Ouest.

– Grande douceur à grand chaud en Europe de l’Ouest, dans la moitié Nord de l’Afrique et au Moyen-Orient.

– Grand froid en Sibérie et au sud en Asie centrale.

– Grande douceur dans l’extrême Est de la Sibérie et en Alaska.

– Grand froid sur les Etats-Unis entouré de grands chauds en Californie et en Amérique centrale au Sud, dans le Pacifique à l’Ouest et dans l’Atlantique au Sud-Est…

Au total, la température moyenne de février dans l’hémisphère Nord se classe à la 53e position des mois de février les plus chauds (sur plus d’un siècle) à la surface des terres mais… à la 5e position à la surface des océans ! Un tel décalage de température terres-océans est remarquable. D’autant que, rappelons-le, l’atmosphère utilise du chaud et du froid pour fabriquer du vent.

Par ailleurs, l’Organisation météorologique mondiale (OMM), agence de l’ONU, établit elle-même un lien entre le changement climatique et les récentes tempêtes, inondations et autres sécheresses autour de la planète. « Nombre des phénomènes extrêmes survenus en 2013 correspondent à ce à quoi l’on pouvait s’attendre dans le contexte du changement climatique anthropique. Nous avons assisté à des précipitations plus abondantes, à des vagues de chaleur plus intenses et à une aggravation des dommages causés par les ondes de tempête et les inondations côtières du fait de la hausse du niveau de la mer: le typhon Haiyan qui s’est déchaîné aux Philippines en est la tragique illustration », à noté le secrétaire général de l’OMM, Michel Jarraud, en cette fin mars, à l’occasion de la présentation du compte-rendu annuel de l’OMM sur l’état du climat. Concernant la France, l’OMM cite en particulier les tempêtes à répétition qui ont frappé le littoral Manche-Atlantique cet hiver.

Michel Jarraud confirme également que « le réchauffement du climat ne marque aucune pause. Le réchauffement des océans s’est accéléré et atteint de plus grandes profondeurs. Plus de 90% de la chaleur piégée par les gaz à effet de serre est stockée dans les océans. Or les concentrations de ces gaz atteignent des niveaux records, ce qui signifie que l’atmosphère et les océans vont continuer de se réchauffer durant les siècles à venir. Les lois de la physique ne sont pas négociables, » ajoute-t-il.

Le terme de « réchauffement global », s’il correspond bien à une réalité physique de la Terre, n’est pas le plus révélateur pour décrire les effets les plus importants des changements climatiques sur notre environnement, c’est-à-dire sur nos vies

Approfondissons encore un peu. Du point de vue d’un physicien justement, l’atmosphère terrestre doit être considéré comme « un engin titanesque qui utilise la différence de température entre le rayonnement solaire et l’espace intersidéral pour pomper autour de la planète des masses gigantesques d’air et de vapeur d’eau. Mieux l’engin est isolé (l’effet de serre étant simplement, pour la physique, une façon d’améliorer l’isolation de l’atmosphère), plus il peut concentrer efficacement la chaleur et l’humidité à certains endroits après les avoir enlevées ailleurs. Voilà pourquoi la manifestation la plus évidente d’une hausse relativement rapide de la concentration de chaleur dans l’atmosphère n’est pas un réchauffement généralisé: c’est plutôt une augmentation des conditions météo extrêmes aux deux bouts de l’échelle de température », écrit l’Américain John Michael Greer dans un ouvrage récemment traduit en français, « La fin de l’abondance » (1). John Michael Greer est une figure incontournable du débat sur le pic pétrolier aux Etats-Unis. Il est notamment connu pour sa comparaison entre les sociétés humaines et les machines thermodynamiques.

Dit autrement, quand l’atmosphère se réchauffe, l’effet important n’est pas l’augmentation de la température moyenne, mais « la hausse de la différence de concentration d’énergie entre l’atmosphère et les océans ». L’eau des océans se réchauffant plus lentement que l’air et les masses terrestres, l’atmosphère va donc modifier son travail (la météo que l’on connaît jour après jour) quand apparaît un changement de la quantité de chaleur global -changement issu dans notre cas de la concentration croissante des gaz à effet de serre.

Suivant ce raisonnement, le terme de « réchauffement global » de la planète, s’il correspond bien à une réalité physique de l’atmosphère de la Terre, n’apparaît donc pas comme le plus adapté pour décrire les effets les plus importants des changements climatiques sur notre environnement, c’est-à-dire sur nos vies et nos activités. 5 degrés de température moyenne globale en moins par rapport à aujourd’hui, c’est rappelons-le quelques kilomètres de glace sur la tête de l’Europe du Nord (ère glaciaire), c’est-à-dire bien plus qu’un ressenti de 5°C en moins. Les termes « bouleversement », ou même « chaos », semblent de bien meilleurs révélateurs de cette réalité, même s’ils s’avèrent beaucoup plus « inquiétants » pour l’avenir et réclament à l’évidence des actions immédiates.

(1) « La fin de l’abondance, l’économie dans un monde post-pétrole », de John Michael Greer.  Traduit et publié en français en 2013, aux Editions Ecosociété (Québec). Préface d’Hervé Philippe. 19 euros.

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Quelques phénomènes extrêmes et remarquables de 2013

Liste établie par l’Organisation météorologique mondiale (OMM).

– Le typhon Haiyan (Yolanda), l’un des plus violents qui ait jamais atteint les côtes, a eu des effets dévastateurs dans le centre des Philippines.

– Dans l’hémisphère Sud, la température de l’air à la surface des terres était particulièrement élevée, ce qui s’est traduit par des vagues de chaleur de grande ampleur; en 2013, l’Australie a enregistré des températures records; 2013 se classe au deuxième rang des années les plus chaudes en Argentine et au troisième rang en Nouvelle-Zélande.

– Des masses d’air polaire glacial ont envahi une partie de l’Europe et le sud-est des États-Unis.

– Une grave sécheresse a sévi en Angola, au Botswana et en Namibie.

– De fortes pluies de mousson ont entraîné de graves inondations à la frontière indo-népalaise.

– Le nord-est de la Chine et l’est de la Fédération de Russie ont été touchés par des pluies abondantes et des inondations.

– De fortes pluies et des inondations ont frappé le Soudan et la Somalie.

– Le sud de la Chine a été confronté à une grave sécheresse.

– Le nord-est du Brésil a souffert de la pire sécheresse de ces cinquante dernières années.

– Aux États-Unis, la tornade la plus large jamais observée a frappé la ville d’El Reno, dans l’Oklahoma.

– En Europe, des précipitations extrêmes ont entraîné de graves inondations dans les régions alpines, en Allemagne, en Autriche, en Pologne, en République tchèque et en Suisse.

– Israël, la Jordanie et la Syrie ont subi des chutes de neige sans précédent.

– Les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère ont atteint des niveaux records.

– Le niveau des océans a atteint de nouveaux maximums records.

– L’étendue de la banquise de l’Antarctique a atteint un maximum record.