+1,5°C ? +2°C ? +3°C ?… Compte à rebours pour sortir des énergies fossiles

Les données du GIEC le prouvent: au-delà de l’objectif de +2°C, si l’humanité ne décide pas de laisser sous terre une bonne partie de ses actuelles réserves de pétrole, charbon et gaz, alors ce sont bien les pires options de + 4 à + 5°C à échéance 2100, avec poursuite du réchauffement -ou du chaos- pendant le siècle suivant, qui l’attendent.

Années d'émissions restantes (sur la base des émissions actuelles) pour les différents budgets carbone attribués par le GIEC à des niveaux de réchauffement de +1,5°C, +2°C et +3°C. ©Carbonbrief

Années d’émissions restantes (sur la base des émissions actuelles) pour les différents budgets carbone attribués par le GIEC à des niveaux de réchauffement de +1,5°C, +2°C et +3°C. ©Carbonbrief

Certaines interventions de la Conférence des Nations-Unies sur le climat de Lima (COP20) ont mis une question “brûlante” sur la table: au lieu de viser un objectif de +2°C, ne serait-il en fait pas plus prudent de viser +1,5°C ? En effet, dans son dernier rapport (volume 2), le Groupement d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pointe, avec ne serait-ce “que” +1°C par rapport à la moyenne 1986-2005 -c’est-à-dire +1,6°C depuis la période préindustrielle- les risques suivants :

– Conséquences sévères pour la survie de certains « systèmes uniques et menacés » (écosystèmes, cultures…).

– Risques élevés de vagues de chaleur, de précipitations extrêmes et d’inondations des zones côtières.

– Impacts croissants sur la biodiversité de la Terre et pour l’ensemble de l’économie mondiale.

– Risques croissants de changements soudains et irréversibles pour certains écosystèmes et systèmes physiques terrestres. Selon le GIEC, ce risque augmente même de manière « disproportionnée » entre 1 et 2°C de plus par rapport à la moyenne 1986-2005.

1 chance sur 2 de rester en dessous de +1,5°C avec un budget de CO2 brûlable est fixé à 550 milliards de tonnes

Malheureusement, outre le fait qu’on a déjà pris quelques dixièmes de degrés par rapport à la moyenne 1986-2005, l’option +1,5°C reste, sauf sursaut de conscience généralisée, bien mal engagée. En effet, dans la synthèse globale de son rapport (page 64), le GIEC livre une table qui évalue les chances que l’on a d’atteindre un réchauffement inférieur à 1,5°C ou inférieur à 2°C ou inférieur à 3°C, selon le budget carbone que l’on s’attribue. C’est cette table qui indique que l’on ne doit pas émettre plus de 1000 milliards de tonnes de CO2 si l’on veut rester en dessous d’un réchauffement de +2°C, sachant qu’on en a déjà émis un peu moins de 2 000 milliards depuis 1870, à peu près les débuts du pétrole.

Le GIEC est même plus précis que cela. Il indique que l’on a 66% de chances de rester en dessous des +2°C si on émet moins de 1000 milliards de tonnes de CO2 après 2011. Les chances passent à 50% si l’on émet 1300 milliards de tonnes et à 33% si l’on émet 1500 milliards de tonnes.

De la même manière, il indique qu’on a 33% de chances de rester dans la limite de +1,5°C de réchauffement si on émet 850 milliards de tonnes de CO2 après 2011. Les chances montent à 50% pour 550 milliards de tonnes émises et à 66% pour 400 milliards de tonnes émises. Quant à la barre des +3°C, nous avons 66% de ne pas l’atteindre avec 2400 milliards de tonnes émises après 2011, 50 % avec 2800 milliards et 33% avec 3240 milliards de tonnes.

Même dans l’hypothèse non souhaitable d’une trajectoire vers +3°C, l’humanité est obligée de laisser des énergies fossiles sous terre pour éviter encore pire

Si maintenant on enlève ce que l’on a consommé depuis 2011 dans ces différents budgets carbone, on obtient ce que l’on peut encore émettre à partir de cette année 2014. Et si l’on divise par nos émissions annuelles actuelles, en tenant également compte du changement d’usage des terres, alors on arrive aux nombre d’années qu’il reste avant de devoir définitivement sortir des énergies fossiles pour respecter le niveau visé de réchauffement, le but étant évidemment de réduire les émissions afin d’allonger le temps qu’il nous reste. C’est ce calcul qu’ont fait en Angleterre les experts de l’organisme Carbon Brief.

Ainsi, il ne nous reste plus, à notre vitesse actuelle d’émissions, que 6 ans de budget carbone si nous voulons avoir 2 chances sur 3 de rester en dessous de +1,5°C de réchauffement. Il nous reste à peine 10 ans de budget pour avoir 1 chance sur 2, et environ 17 ans pour avoir 1 chance sur 3.

Pour avoir 2 chances sur 3 de rester sous les + 2°C, il nous reste à peine 21 ans de budget carbone. La chance tombe à 1 sur 2 avec 28 ans de budget carbone et à 1 sur trois avec 33 ans. Les délais sont bien sûr un peu plus longs pour rester sous la barre des +3°C: 2 chance 3 avec 56 années de budget carbone 2014, 1 chance sur 2 avec 66 années et une chance sur trois avec 77 années.

Enfin, il est intéressant de noter que même dans l’hypothèse non souhaitable d’une trajectoire vers +3°C, l’humanité sera obligée de laisser des énergies fossiles sous terre pour éviter une situation encore pire. Carbon Brief estime en effet que pour avoir 2 chances sur 3 de ne pas dépasser les +3°C il faudra laisser dans le sous-sol environ 58% des réserves actuelles. Le stock à ne pas brûler passe à 84% pour avoir 2 chances sur 3 de rester en dessous d’un réchauffement de +2°C et à 95% pour avoir les mêmes chances de rester sous les +1,5°C.

Nos réserves actuelles d’énergies fossiles peuvent provoquer, en moins de deux siècles, un réchauffement au moins aussi puissant que celui qui nous sépare de la dernière glaciation

Dit autrement, si l’humanité ne décide pas de sortir des énergies fossiles alors c’est bien l’option + 4°C + 5°C à échéance 2100 et avec poursuite du réchauffement (ou du chaos) pendant le siècle suivant qui l’attend. Confirmation: le pire des scénarios du GIEC est corrélé avec une plage d’émissions de CO2 de l’ordre de plus de 5000 milliards de tonnes entre 2012 et 2100. Or, l’estimation moyenne des réserves disponibles en combustibles fossiles était en 2011 du même ordre, allant jusqu’à 7100 milliards de tonnes en estimation haute, selon le GIEC. Les ressources estimées d’énergies fossiles représentaient pour leur part la même années des émissions de plus de 30 milliards de tonnes de CO2.

Ce qui donne donc en moins de deux siècles, juste avec nos réserves actuelles, un réchauffement potentiel au moins aussi puissant que celui qui nous sépare de la dernière glaciation, il y a environ de 10 000 ans où l’on trouvait des centaines de mètres de glaces sur le Canada, le sud de l’Amérique latine, les Iles britanniques, l’Europe du Nord, le Nord russe, avec un niveau de la mer inférieur de plus de cent mètres au nôtre. Est-ce donc un monde aussi différent du nôtre que dirigeants du monde et négociateurs “climat” des conférences des Nations-Unies veulent léguer à leurs enfants ?

15 réflexions sur « +1,5°C ? +2°C ? +3°C ?… Compte à rebours pour sortir des énergies fossiles »

  1. Bonjour et merci pour votre travail d’information

    une info : le calcul du temps qu’il nous reste uniquement basé sur les fossiles est faux, puisque les fossiles ne représentent que 75% des émissions de CO2

    Donc, en fait, il faut baisser les temps restants d’un quart

    • Bonjour Adrien,
      Merci de l’intérêt que vous portez à notre travail. Il n’y a pas à baisser les durées indiquées. En effet, même si on ne les détaille pas, les calculs de Carbonbrief que vous évoquez tiennent compte du changement d’usage des sols. Je vous remets ici le lien accessible à partir du texte: https://docs.google.com/a/carbonbrief.org/spreadsheets/d/19LBuGJiyOAPDeiKgRe9hWPPVa-dKB5Z_C5PXAw6gflk/edit?pli=1#gid=0
      Par ailleurs, comme indiqué par le GIEC (Rapport 5, VOL 1, Résumé aux décideurs, P.10), les émissions annuelles de CO2 dues à l’utilisation de combustibles fossiles et à la production de ciment étaient de 8,3 GtC en moyenne sur 2002-2011 tandis que les émissions annuelles nettes de CO2 anthropiques dues à des changements d’utilisation des sols étaient de 0,9 GtC. Le rapport est donc plutôt actuellement de 90% – 10 % (en ce qui concerne le CO2 uniquement).
      Bien à vous.
      Vincent

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